La semaine dernière, le ministre algérien de la Culture, Azzedine Mihoubi, a institué le prix Miriam Makeba de la créativité artistique du nom de la chanteuse sud-africaine et militante de renommée internationale, laquelle en 1972 lança ce fameux cri : « Je suis libre en Algérie ». Ce prix doté de 100 000 dollars récompense les meilleurs créateurs ou institutions artistiques. Pour notre génération, Miriam Makeba (1932- 2008) fut l’une des plus grandes chanteuses du milieu du siècle dernier. Elle a acquis une renommée mondiale des Amériques jusqu’au Japon et l’Australie. Sa chanson PataPata, inspirée du patrimoine populaire sud-africain, lui a assuré une célébrité aux quatre coins du monde. Et avec la montée de la lutte contre l’apartheid pratiqué en Afrique du Sud, Makeba est devenue le symbole de cette révolte, voire de tous les mouvements anticolonialistes en Afrique, d’où son surnom Mama Africa.
Miriam Makeba fut déchue de sa nationalité et contrainte à un exil qui durera une trentaine d’années. Elle ne retournera à son pays qu’après la chute du gouvernement d’apartheid et l’élection de Nelson Mandela à la présidence de la République. Celui-ci lui restitue sa nationalité et en 1991 elle a pu chanter pour la première fois à Johannesburg. Aux Etats-Unis, Makeba a rencontré en 1968 le militant des droits civils afro-américain Stokely Carmichael (1941-1968) qu’elle épousa. Originaire de Trinité-et-Tobago, celuici a dirigé le mouvement des Panthères noires qui militait pour les droits des gens de couleur aux Etats-Unis. Carmichael était un opposant farouche à la suprématie des blancs, et a contribué à dévoiler le vrai visage du sionisme, ce qui a entraîné son expulsion des Etats-Unis au motif qu’il représentait un « danger pour la sécurité nationale », selon le directeur du FBI, Edgar Hoover. Makeba a quitté les Etats-Unis avec Carmichael, qui a pris le nom africain de Kwame Ture, pour s’installer en Guinée, pays dont elle devient citoyenne. Plus tard, elle a été nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation des Nations-Unies.
Miriam Makeba.
En 1972, Makeba a été naturalisée algérienne après avoir reçu l’invitation du président Houari Boumediène de chanter en Algérie. C’est dans ce pays où elle chanta sa première chanson arabe Ana Hourra fi El-Djazaïr (je suis libre en Algérie) en hommage à la révolution algérienne. La chanteuse gardait également de bonnes relations avec le leader palestinien Yasser Arafat, et défendait souvent la cause palestinienne. Miriam Makeba est décédée en 2008 en Italie des suites d’un malaise cardiaque, à l’issue d’un concert engagé. Elle a demandé que ses cendres soient dispersées dans le Pacifique, dans le souhait d’être transportées jusqu’aux rives des pays qui l’avaient accueillie. J’ai eu l’honneur d’être choisi pour présider le jury du prix Miriam Makeba, cette chanteuse dont j’étais fan dans ma jeunesse.
Ce jury compte le cinéaste sud-africain Ramadan Suleman, la célèbre chanteuse capverdienne Solange Cesarovna Rodriguez, le grand artiste marocain Abdelwahab Doukkali et l’intellectuel algérien Ahmed Bedjaoui. Nous avons été accueillis par le ministre algérien de la Culture, Azzedine Mihoubi, qui a affirmé d’emblée que le gouvernement algérien n’interférerait pas dans les travaux ou les choix du jury, et qu’il se contentait de mettre comme seule condition que le lauréat soit africain et résidant en Afrique, étant donné que c’est un prix africain. Une décision que nous avons tous approuvée. Ensuite, nous avons entamé une série de réunions à l’Office National des Droits d’Auteur et droits voisins (ONDA) dirigé par Sami Bencheikh.
Celui-ci a, à son tour, bien accueilli les membres du jury sans aucune interférence dans leur travail. Nous devions d’abord préparer un règlement du prix qui allait être décerné pour la première fois, et nous avions convenu de le consacrer aux domaines où Miriam Makeba s’est fait connaître, à savoir la musique, la chanson, l’écriture et le cinéma. Parce qu’à côté de la chanson, Makeba a aussi pratiqué l’écriture, et a joué dans plusieurs films dont Come Back Africa, qui attaquait la discrimination raciale, et qui lui a valu d’être expulsée de l’Afrique du Sud et de perdre sa nationalité. Selon le règlement, le lauréat devait aussi être impliqué dans les causes de l’Afrique, comme l’était Makeba.
A la fin des délibérations, le prix a été décerné au Festival panafricain du cinéma et de la télévision d'Ouagadougou (Fespaco), et à la Fondation sud-africaine Miriam Makeba, créée par la militante légendaire et qui célèbre cette année ses 15 ans d’existence. Une récompense pécuniaire d’une valeur de 80 000 dollars est allée au Fespaco, et de 20 000 à la Fondation Makeba. La remise du prix aura lieu le 9 février prochain lors d’une grande cérémonie.
Dans mon discours au Palais de la culture d’Alger à l’occasion de l’annonce des lauréats, j’ai noté que Miriam Makeba incarnait l’unité de l’Afrique que la colonisation a oeuvré pour diviser, tantôt en Afrique du Nord et en Afrique noire, tantôt en Afrique francophone et anglophone … C’est pourquoi le prix devait être décerné à une entité culturelle transnationale qui représente tout le continent. Je profite de l’occasion pour exprimer mes remerciements à l’Algérie, ce pays frère, et à son ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, pour cette initiative. Combien j’aurais aimé que l’Egypte, qui assumera la présidence de l’Union africaine en 2019, en fasse de même. C’est que le rapprochement avec l’Afrique ne se fait pas uniquement à travers la politique et les échanges de visites ministérielles, mais aussi à travers la culture qui plus que tout autre chose forge l’esprit des peuples.
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