La récente décision du Conseil central palestinien de suspendre la reconnaissance d’Israël souligne la défaillance de la politique arabe, celle qui consiste à faire des concessions en premier pour que l’interlocuteur soit moralement obligé d’en faire aussi. Cette méthode a proliféré de façon maladive partout dans le monde arabe depuis les années 1970 lorsque le président Sadate avait pris l’initiative de reconnaître Israël à travers sa visite en novembre 1977 à Jérusalem.
Il a ensuite laissé à Israël le temps et la liberté d’envisager ses prochaines démarches. Alors que selon les politologues, celles-ci auraient été beaucoup plus généreuses si cette reconnaissance offerte par le plus grand pays arabe était intervenue dans le cadre d’un règlement global définissant les responsabilités de chacune des parties.
Je me rappelle à cette époque comment les Israéliens nous faisaient marcher, et comment en réponse à la question : « Comment réagirez-vous à la visite de Sadate ? », le premier ministre Menahem Begin avait répondu : « Si Sadate vient en Israël, je lui rendrai la visite en Egypte ».
Mais si par la suite on a obtenu d’Israël bien plus que la visite de son premier ministre, c’est surtout grâce à un travail politique ardu pendant les dix ans qui ont suivi cette visite, jusqu’à la récupération de la ville frontalière de Taba en 1989.
Ce n’était pas la première fois que Sadate applique cette politique. Quatre ans avant sa visite à Jérusalem, il avait expulsé les experts russes. Le conseiller à la Sécurité nationale américaine à l’époque, Henry Kissinger, exprima alors l’étonnement de Washington face à cette décision pour laquelle les Etats-Unis auraient été prêts à payer un prix cher si Sadate l’avait négociée.
Cette politique fut adoptée par les autres pays arabes après les années Sadate, alors qu’Israël, tout en profitant de l’altruisme arabe, s’est engagé dans les négociations et a bien calculé ce qu’il allait, ou non, offrir.
L’initiative de paix arabe est peut-être l’exemple le plus frappant. Survenue une vingtaine d’années après la mort de Sadate, elle a offert à Israël tout ce qu’il souhaitait en termes de reconnaissance et de normalisation en échange de son retrait des territoires occupés et de la création d’un Etat palestinien.
Et voilà que la reconnaissance d’Israël a gagné la plupart des pays arabes, officiellement ou implicitement, et que la normalisation s’est établie à l’échelle politique, économique et même sportive, sans qu’Israël se retire d’un pouce des territoires occupés, et sans que l’Etat palestinien voie le jour. Au contraire, nous avons vu Israël se faire offrir Jérusalem, la capitale palestinienne, sur un plateau d’argent.
Le journaliste américain Thomas Friedman racontait, lors d’une rencontre à laquelle j’ai assisté, comment il a réussi à convaincre le feu roi d’Arabie saoudite, Abdallah bin Abdel-Aziz, que cette initiative allait changer la donne au Moyen-Orient. Friedman a utilisé l’expression anglaise « game changer ». Selon lui, l’initiative était susceptible de soumettre Israël à des pressions internationales accrues et de le mettre face à ses responsabilités.
Comme prévu, les Arabes, connus à travers l’histoire pour leur générosité extrême, ont bien accueilli l’initiative de Friedman qui a été adoptée lors du sommet arabe de Beyrouth en 2002. Depuis, les Arabes, selon toute apparence, ont commencé la mise en oeuvre de cette initiative, sans le moindre signe favorable de la part d’Israël.
Pas plus loin que cette semaine, nous avons vu le premier ministre israélien, détesté sur le plan international plus que ses prédécesseurs, accueilli en visite officielle à Oman avec son épouse Sara, accusée de gains illicites et d’abus de pouvoir. Et nous avons vu la ministre israélienne de la Culture et du Sport pleurer d’émotion, en voyant les responsables émiratis relever pour l’hymne national israélien à l’occasion de sa visite officielle. Alors que nous cherchons sans les trouver le retrait israélien des territoires occupés et l’Etat palestinien revendiqués par cette initiative.
Les Palestiniens ont bien fait de se réveiller enfin pour reconsidérer leurs anciennes politiques qui consistaient à donner sans rien recevoir en échange. Ainsi, lors de sa dernière réunion à Ramallah, le Conseil central palestinien a décidé de mettre fin à toutes les obligations de l’Autorité palestinienne concernant les accords avec les autorités d’occupation, et de suspendre la reconnaissance de l’Etat d’Israël jusqu’à ce que celui-ci reconnaisse l’Etat palestinien sur les territoires occupés en 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.
Ainsi, les Palestiniens ont appliqué pour la première fois la politique de réciprocité et du donnant-donnant qui est à la base des relations internationales.
En ce qui concerne la reconnaissance de l’Etat palestinien, il convient de noter que les Palestiniens n’ont pas besoin qu’Israël reconnaisse leur Etat, car l’acte juridique international de création de l’Etat d’Israël est le même que celui de l’Etat palestinien. Il s’agit de la résolution onusienne de novembre 1947 que tous les pays du monde ont reconnue, y compris Israël.
Attendre une nouvelle reconnaissance israélienne d’un Etat palestinien est une absurdité de la politique arabe. Il aurait fallu s’adresser à la communauté internationale qui a reconnu cette résolution, plutôt qu’à Israël qui n’en reconnaît que la moitié.
La suspension de la reconnaissance d’Israël par l’Autorité palestinienne jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse l’Etat palestinien est en réalité une tentative d’appliquer la résolution des Nations-Unies dans son intégrité, non de manière boiteuse comme le fait Israël. La nouvelle position palestinienne met la communauté internationale, qui a naguère voté la partition de la Palestine, face à ses responsabilités en ce qui concerne la mise en oeuvre de cette résolution, et ce, loin de toute initiative généreuse arabe.
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