Le sommet égypto-russe organisé à Moscou la semaine dernière a marqué un changement qualitatif dans la nature et l’étendue de la coordination entre les deux pays. Il a fait évoluer la relation bilatérale au-delà de la coopération dans certains domaines, pour devenir un « partenariat global » dont l’étendue couvre tous les domaines. Par définition, le partenariat est un partage des charges et des intérêts, mais aussi une coopération pour faire face aux défis et des efforts communs pour la réalisation des objectifs.
Les relations amicales entre Le Caire et Moscou remontent aux années 1960, lorsque le président Gamal Abdel-Nasser a trouvé en Moscou un puissant allié et un contrepoids à la puissance américaine et aux autres pays occidentaux soutenant Israël. Les Russes, de leur côté, ont trouvé en l’Egypte une puissance régionale qui soutenait les mouvements de libération nationale et un pays ennemi des régimes conservateurs alliés aux Etats-Unis et à l’Occident. Personne en Egypte n’oublie que, paradoxalement, la coopération entre l’Egypte et l’ex-URSS a été rendue possible grâce aux Etats-Unis qui refusaient de financer la construction du Haut-Barrage.
Ensuite, la coopération s’est étendue à tous les pays du bloc de l’Est, à commencer par le contrat des armes tchèques et jusqu’à la création d’usines d’industrie lourde comme le fer et l’acier, les voitures, l’aluminium, en passant par les industries manufacturières telles que la production de sucre, la construction navale à Alexandrie et l’usine de chaudières à vapeur, unique en son genre au Moyen-Orient jusqu’en 2000, année où Israël a commencé à construire une usine similaire. A l’échelle militaire, l’expertise de l’ex-Union soviétique a joué un rôle majeur dans la reconstruction et le développement des forces armées égyptiennes. Moscou assurait les armes ainsi que la formation nécessaire à leur utilisation, leur maintenance et leur développement. L’Egypte a aussi profité de l’expertise de l’ex-URSS et des pays de l’Europe de l’Est dans le domaine de l’industrie militaire.
Il convient de noter que les relations russo-égyptiennes, y compris la coopération militaire, n’ont jamais été rompues. Elles sont passées par des hauts et des bas, mais n’ont à aucun moment cessé, même pendant l’apogée du rapprochement américano-égyptien à l’époque de Sadate.
Aujourd’hui que ces relations ont retrouvé leur force, leur élan et leur vitalité, la question est de savoir pourquoi maintenant. Selon certaines analyses simplistes le rapprochement russo-égyptien n’est rien de plus qu’une réaction à des politiques et à des positions américaines hostiles aux intérêts arabes et pas toujours aux attentes du Caire. Cette interprétation est inexacte dans la mesure où les politiques des Etats-Unis n’ont pas changé depuis le début de la présence américaine au Moyen-Orient.
Il doit y avoir donc un autre facteur fondamental. Celui-ci réside dans la transformation radicale de la politique étrangère égyptienne à partir de 2013. Depuis cette date, la diplomatie égyptienne s’est libérée des anciens schémas dans lesquels elle s’était enfermée et des anciennes limites qu’elle s’était imposées. La politique étrangère de l’Egypte est devenue plus pragmatique, plus proactive, plus orientée vers les intérêts du peuple égyptien et vers la protection de la sécurité nationale, tout en prenant en compte la diversité et l’équilibre des relations avec les grandes puissances. Dans ce contexte, le rapprochement avec la Russie constitue un retour à l’équilibre qui faisait défaut à la politique étrangère égyptienne.
La présence de dénominateurs communs avec la Russie a fait de ce rapprochement une évolution logique. Parmi ces dénominateurs communs figurent notamment la similitude des systèmes de gouvernance et de gestion, ainsi que la conformité des visions des deux gouvernements. Ceci s’explique par une ressemblance structurelle des institutions étatiques, mais aussi par le fait que les dirigeants des deux pays appartiennent à une même institution, celle des renseignements qui suppose des capacités spéciales chez ceux qui y appartiennent. Les affinités personnelles et politiques entre les présidents égyptien et russe sont en effet très visibles.
Cette similitude institutionnelle et ces affinités personnelles ont fait que les deux pays partagent la même manière de réagir face aux problèmes et aux menaces, notamment le terrorisme et la violence, et la même vision de l’ordre mondial, un ordre qui ne repose pas sur la justice ou les principes, mais sur la force des nations et des peuples. C’est ce qu’on a vu ces dernières années dans les positions de l’Egypte et de la Russie vis-à-vis des problèmes et crises régionaux, surtout face aux organisations terroristes, et dans leur concertation pour sauver « l’Etat » en Syrie, en Libye et au Yémen. Ces dénominateurs communs ont créé des espaces de coopération entre les deux pays dans les domaines de la sécurité et de la diplomatie. Ce qui a, à son tour, permis, ou plutôt exigé, le renforcement de leur coopération militaire en matière d’armement et d’entraînement. Les exercices militaires conjoints qui ont lieu tous les ans depuis 2016 sont autant un gage de cette amitié.
Dans la même logique, Le Caire et Moscou renforcent leur coopération économique, depuis le commerce bilatéral qui a connu une augmentation de 6,5 milliards de dollars l’an dernier jusqu’aux investissements dans la zone industrielle russe près du Canal de Suez. Par ailleurs, la reprise des vols russes à destination de l’Egypte et l’accord sur le retour des touristes russes constituent un aspect important de cette coopération.
Enfin, la coopération dans le domaine nucléaire est une importante avancée en termes de coopération dans les projets nationaux comme le réacteur d’Al-Dabaa. C’est un projet aux multiples facettes impliquant le transfert de technologie, la production d’énergie et la désalinisation, outre ses dimensions politiques et stratégiques.
Ce riche tableau est le titre d’une nouvelle phase dans les relations égypto-russes qui s’étalent sur tous les domaines et se renforcent au fil des jours.
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