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Khashoggi et l’embarras de Trump

Lundi, 22 octobre 2018

Il ne serait pas judicieux de croire que la crise du meurtre du journaliste saou­dien Jamal Khashoggi ne concerne que l’Arabie saoudite. En fait, cette crise a mis le président américain, Donald Trump, dans l’une des situations les plus compli­quées depuis son arrivée à la Maison Blanche. Pour la première fois, celui-ci s’est trouvé confronté aux Américains ordinaires qui constituent sa base populaire et qui lui demandent aujourd’hui ce qu’il ne peut pas faire.

Dans ses relations avec l’Arabie saoudite, Trump a adopté une politique exclusivement basée sur les transactions financières, sans essayer de la voiler d’un cou­vert de principes comme font d’habitude les autres pays quand ils cherchent leurs inté­rêts.

Trump est apparu plus d’une fois à la télévision pour répéter effrontément à l’intention du prince héritier Mohamad bin Salman: « Vous êtes riches, et ces milliards que vous payez ne sont pour vous que des cacahuètes ». Il était même allé plus loin, juste avant la crise de Khashoggi, en annonçant dans un discours diffusé en direct qu’il avait appelé le roi Salman pour lui dire dans une vulgarité inhabituelle dans les usages diplomatiques: « Roi, nous vous protégeons— et vous ne seriez peut-être pas là plus de deux semaines sans nous—, vous avez à payer pour votre armée ».

Si ce discours dégoûtant a vexé beaucoup d’Américains, ce qui est d’autant plus effrayant c’est l’ignorance du président amé­ricain de la réalité des relations de son pays avec l’Arabie saoudite. Est-il possible que Trump ignore ce que tout le monde sait ? Ignore-t-il vraiment que son pays ne finance aucune dépense militaire de l’Arabie saoudite et que c’est le contraire qui est vrai? En fait, les armes américaines vendues à l’Arabie sont payées en entier et sans délai et ne coû­tent pas un centime aux Etats-Unis.

Trump n’a qu’à se référer aux registres militaires américains pour savoir quel pays s’est chargé de la grande partie des frais des troupes américaines en Iraq. Autrement dit, s’il y a un pays qui finance les dépenses mili­taires de l’autre, c’est bien l’Arabie saoudite, pas les Etats-Unis. Ajoutons à cela que l’Ara­bie saoudite n’a jamais reçu d’aide économique de quelque sorte que ce soit des Etats-Unis.

Mais Trump a choisi que les rela­tions internationales des Etats-Unis soient bâties sur un seul principe : obtenir le maximum d’argent quitte à tordre les faits et propager les mensonges, tout en croyant que ce style de communication augmente­rait sa popularité auprès des Américains ordinaires élevés aux films de cow-boys.

Mais tout en faisant monter le chantage, Trump continue de parler de l’Arabie saou­dite comme d’un pays ami, voire « un proche allié ». C’est ainsi que Trump s’est empressé de défendre l’Arabie saoudite lorsque l’af­faire Khashoggi a éclaté.

Mais ce crime et les circonstances de son déroulement ne sont pas notre propos ici, ils seront traités dans un prochain article. Ce qui nous intéresse là c’est comment cette crise a constitué une impasse pour le président Trump. Au début de la crise, celui-ci a décla­ré que le régime saoudien n’y était pour rien et que le roi Salman lui avait personnellement affirmé qu’il n’était pas au courant de ce qui s’était passé, rappelant que l’incident avait eu lieu au consulat saoudien à Istanbul, pas en Arabie saoudite.

Mais les pressions se sont intensifiées au fil des jours, venant de la part des médias, de plusieurs membres du Congrès et de certains hommes d’af­faires. Le Congrès a appelé Trump à appliquer la loi Magnitsky qui autorise l’imposi­tion de sanctions contre des diri­geants étrangers coupables de graves violations des droits de l’homme. D’autres voix ont demandé la suspension des ventes d’armes au Royaume.

Face à une telle mobilisation de l’opinion publique améri­caine, on ne peut que se deman­der où étaient tous ces gens face aux meurtres prémédités et sys­tématiques des centaines de Palestiniens aux mains des Israéliens? Il est vrai qu’aucun de ces Palestiniens n’a jamais écrit pour le Washington Post, comme Jamal Khashoggi lequel, dit-on, défendait les droits de ses concitoyens, mais ces Palestiniens n’en sont pas moins des personnes innocentes qui défendent leur liberté et leurs droits natio­naux.

En tout cas, tout cela n’a pas empêché Donald Trump de défendre les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et de critiquer ceux qui appellent à leur suspension. « Je n’aime pas l’idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars aux Etats-Unis », a-t-il déclaré. Expliquant que les Saoudiens dépensent cette somme en équipements mili­taires qui créent des emplois pour les Américains.

Des informations que Jonathan Caverley a contestées dans son article du 12 octobre au New York Times. Selon lui, les ventes d’armes que Trump a conclues avec les Saoudiens ne dépassaient pas les 20 milliards de dollars, un chiffre qui représente une infime proportion des exportations d’armes et de la création d’emplois aux Etats-Unis. A titre indicatif, le journaliste a cité le groupe Lockheed Martin qui avait conclu des accords de vente d’hélicop­tères avec l’Arabie saoudite pour un montant de 6 mil­liards de dollars et 450 emplois escomptés.

Trump a dépêché à Riyad son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, dans une tentative d’alléger les pressions qui s’exercent pour l’amener à imposer des sanctions à son « proche allié ». Mais le res­ponsable américain est rentré chez lui avec la demande de patienter encore quelques jours.

En prônant la patience et la raison, Trump réussira-t-il à maintenir le soutien de sa base populaire qui l’a toujours connu pour sa témérité et sa désinvolture ?

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