Alors que le conflit en Syrie semble toucher à sa fin, les Etats-Unis s’emploient à mettre en place une nouvelle politique qui s’adapterait à la nouvelle donne. Premier élément annoncé : Les forces spéciales américaines stationnées dans ce pays depuis 2015 ne se retireront pas tant que les forces militaires de l’Iran et de ses alliés, notamment le Hezbollah libanais, restent en Syrie. C’est ce qu’a indiqué le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, le 24 septembre. De son côté, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a souligné le 11 octobre que les Etats-Unis ne verseraient pas « un seul dollar » pour la reconstruction de la Syrie avant que les forces iraniennes et leurs alliés ne quittent le pays.
Cette position représente un revirement dans la politique de l’Administration américaine envers la Syrie. Le président Donald Trump a toujours soutenu qu’il souhaite ne pas impliquer l’armée de son pays dans les conflits coûteux du Moyen-Orient. La seule exception à cette règle était de combattre et vaincre le groupe terroriste Daech, qui avait occupé de larges territoires en Iraq et en Syrie, à partir de l’été 2014. C’était la raison de l’envoi de quelque 2 000 militaires américains dans le nord-est de la Syrie, région à majorité kurde, où ils prêtaient main-forte aux Forces Démocratiques Syriennes (FDS) face à Daech. Cette région s’était autoproclamée en mars 2016 Fédération de Syrie du nord, une zone autonome de facto, soupçonnée par Damas de velléités séparatistes.
Après la défaite de Daech en Syrie et en Iraq fin 2017 et la progression de l’armée syrienne qui, grâce au soutien militaire russe et iranien, a repris le contrôle de l’ensemble du territoire, sauf quelques poches de résistance, comme l’enclave d’Idleb au nord-ouest et celle à majorité kurde au nord-est, Washington cherchait une raison pour le maintien de ses troupes en Syrie. Et c’était « l’endiguement de l’Iran ». Qualifiant cette nouvelle politique de « changement stratégique », John Bolton a indiqué que son pays oeuvre désormais à contenir l’Iran, après la déroute de Daech. Cette position fait suite à la décision de Washington, en mai dernier, de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et de réimposer des sanctions américaines sur Téhéran.
Or, le maintien de troupes américaines en Syrie pour cette raison posera un problème juridique et l’Administration Trump aura du mal à convaincre le Congrès du bien-fondé de sa position. Les Etats-Unis sont interdits de lancer des opérations militaires en dehors de leurs frontières sans le consentement du pouvoir législatif. Mais les différentes Administrations américaines de George W. Bush, Barack Obama et Trump ont été capables d’engager l’armée dans des combats contre les Talibans, Al-Qaëda, Daech et leurs affiliés grâce à la loi nommée Autorisation d’usage de la force militaire contre les terroristes, votée par le Congrès en 2001, à la suite de l’attaque des deux tours jumelles du World Trade Center le 11 septembre de la même année. Bien que Daech n’existât pas à l’époque de l’adoption de cette loi, les Administrations Obama et Trump ont librement interprété la loi, considérant qu’elle leur donne mandat pour combattre toutes les organisations terroristes. Cependant, la République islamique d’Iran ne rentre pas dans cette catégorie même si Washington l’accuse de soutenir le terrorisme.
Etant donné la grande difficulté de convaincre le Congrès de voter une nouvelle loi permettant d’engager l’armée américaine contre la présence militaire iranienne en Syrie, l’Administration Trump continue à justifier la présence des forces spéciales américaines dans le nord de la Syrie par la volonté d’éradiquer Daech et d’empêcher son retour au pays. « Les Etats-Unis continueront à former les forces locales (les FDS) … Notre objectif est de mettre sur pied des éléments de sécurité locale qui empêcheraient le retour de Daech », a réitéré le secrétaire à la Défense, James Mattis, omettant de parler de l’objectif de contenir l’Iran. Même son de cloche chez le représentant spécial du Département d’Etat en Syrie, nommé le 17 août dernier, James Jeffrey, qui a soutenu que l’unique objectif de l’armée américaine en Syrie est de combattre Daech et de prévenir son retour, tout en ajoutant que la présence même des forces américaines a « certaines implications pour le reste de la situation ».
Il faisait probablement référence au fait que la présence des forces américaines dans le nord-est de la Syrie en soutien aux FDS, qui contrôlent la rive est de l’Euphrate, coupe la voie terrestre aux forces iraniennes qui voudraient transporter hommes et équipements en Syrie à travers la frontière avec l’Iraq. L’adjoint au secrétaire à la Défense pour les affaires de sécurité, Robert Karem, a reconnu lors de son témoignage devant le Congrès le 26 septembre que « certains aspects de nos opérations militaires ou de notre présence sont utiles pour contenir l’Iran » et l’empêcher, ainsi que le régime syrien, de traverser la rivière. C’était la première fois que le département à la Défense reconnaît que l’armée américaine en Syrie a d’autres missions que celle d’éradiquer Daech et de prévenir son retour.
La région à l’est de l’Euphrate est également stratégique car elle renferme l’essentiel des réserves de la Syrie en pétrole et gaz naturel, qui sont une source majeure de revenu pour le régime de Damas. Les Etats-Unis espèrent mettre à profit leur présence dans cette région doublement stratégique et leur soutien aux Kurdes syriens, qui cherchent à acquérir leur autonomie, pour peser sur le contenu du règlement de la crise syrienne et obtenir des concessions de Damas, notamment le départ des Iraniens et du Hezbollah.
Vu qu’elle n’est pas autorisée par le Congrès à s’engager militairement contre Téhéran, l’Administration Trump se limiterait à faire usage de la présence militaire américaine comme un levier pour influencer la tournure que prendraient les événements dans les mois à venir, à la lumière de la victoire en vue des forces gouvernementales. Pour ce faire, elle chercherait, selon des responsables du Département d’Etat et du Pentagone, à persuader la Russie, alliée de Damas, de faire pression sur le président Bachar Al-Assad pour qu’il réduise ses rapports avec l’Iran et lui demande de retirer ses forces de la Syrie. Pour le moment, ces efforts n’ont pas donné de résultat. En août, Washington a rejeté une proposition russe de restreindre les mouvements des forces iraniennes et de leurs alliés en Syrie, en échange de la suspension de la deuxième salve de sanctions contre Téhéran, prévue à partir du 4 novembre prochain. Si les Etats-Unis insistent sur un « jeu à somme nulle » dans leur bras de fer avec l’Iran, comme ils le laissent entendre, il serait difficile de voir comment Téhéran sacrifierait les gains de sept ans d’implication dans le conflit syrien sans contrepartie.
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