L’arrestation du membre d’Al-Qaëda, l’Egyptien Hicham Achmawy, à Derna, à l’est de la Libye, est un coup dur pour le terrorisme transfrontalier. Cet ancien membre de l’organisation terroriste Ansar Beit Al-Maqdès, implantée au Sinaï et qui a fait allégeance à l’Etat islamique en novembre 2014, est responsable de plusieurs attentats meurtriers en Egypte, notamment dans le désert occidental, frontalier de la Libye. Achmawy et son groupe, ainsi que d’autres milices islamistes qui ont pullulé en Libye post-Kadhafi, profitaient de l’instabilité politique et du climat d’insécurité produits par le conflit armé pour prospérer et recruter, alimentant la violence régnant et retardant l’aboutissement d’un règlement pacifique et un retour à la normale dans le pays.
La division du pays entre l’ouest, dominé par le gouvernement d’entente nationale de Fayez Al-Sarraj, et l’est, contrôlé par le chef de l’Armée nationale libyenne, Khalifa Haftar, a fait le jeu des milices en tous genres, islamistes, tribales et régionales, car aucun pouvoir central n’arrive à contrôler la situation sur le terrain. Les milices, elles, changent d’allégeance au gré des intérêts de leurs chefs, souvent opportunistes. Les combats récents dans la capitale Tripoli entre milices armées proches du gouvernement d’entente nationale, ayant fait plus d’une centaine de morts, traduisaient avant tout une lutte pour le pouvoir.
Les divergences entre puissances étrangères sur la solution à apporter en Libye compliquent également la recherche d’un compromis permettant de faire avancer un règlement politique. France et Italie, deux puissances méditerranéennes qui maintiennent des intérêts majeurs en Libye, sont en compétition. Paris, qui mène la danse depuis mai dernier, a réussi à pousser les deux protagonistes libyens, Al-Sarraj et Haftar, à s’entendre sur la tenue d’élections générales en décembre prochain, pour ouvrir la voie à une solution pacifique.
Les divisions entre Paris et Rome tiennent à des intérêts divergents. Pour Paris, ses intérêts majeurs en Libye, outre le pétrole, consistent à restaurer la stabilité du pays et à combattre le terrorisme. Car la poursuite du conflit armé a contribué à répandre l’instabilité politique dans la région du Sahel africain, à commencer par le Mali, qui a dû faire face à une insurrection islamiste au nord du pays en 2013, obligeant la France à intervenir militairement dans cette ancienne colonie en faveur du régime en place. Paris maintient en effet des liens étroits avec les pays de cette région, en proie à la montée d’un activisme islamiste mené par une myriade de groupes, dont Al-Qaëda dans le Maghreb Islamique (AQMI). La guerre civile en Libye a rendu poreuses ses frontières avec les pays voisins qui, tous, sauf l’Egypte, sont d’anciennes colonies françaises (Tunisie, Tchad, Niger), où Paris maintient et développe une forte présence. La porosité des frontières libyennes a encouragé les trafics en tout genre, notamment d’armes, en direction des pays voisins, contribuant à accroître les risques d’instabilité dans ces derniers.
Ces priorités d’ordre sécuritaire ont poussé Paris à établir des rapports étroits avec le maréchal Haftar, qui a fait de la lutte antiterroriste, anti-islamiste et de la restauration de la sécurité ses chevaux de bataille. La France estime que cet homme à poigne est le plus à même de rétablir la sécurité et la stabilité en Libye.
Par contre, l’Italie, ancienne puissance coloniale en Libye qui maintient de forts intérêts dans ce pays, voit les choses différemment. Ses intérêts portent principalement sur la question migratoire ainsi que sur l’économie. Première victime en Europe du flux de réfugiés en provenance de l’Afrique subsaharienne, l’Italie cherche avant tout à maintenir et à consolider les engagements pris par le gouvernement d’entente nationale pour réduire le flux d’émigrés illégaux à travers la Méditerranée. L’essentiel des migrants provient de l’ouest de la Libye, sous le contrôle du gouvernement d’Al-Sarraj, et non de l’est du pays, dominé par Haftar. Pour gagner son pari, Rome a pris langue avec les milices de l’ouest libyen impliquées dans le trafic d’émigrés et s’est engagé à les compenser financièrement afin de stopper ce commerce illicite. Il a également ressuscité l’accord conclu en 2008 entre l’ancien premier ministre italien, Silvio Berlusconi, et le dirigeant libyen Muammar Kadhafi, prévoyant que l’Italie verse à la Libye 5 milliards de dollars de dédommagements pour les atrocités et agissements commis pendant l’époque coloniale, en retour d’un arrêt des flux migratoires qui cherchent à atteindre l’Europe via l’Italie.
Sur le front économique, l’Italie entretient d’importants intérêts énergétiques avec son voisin du sud méditerranéen. Elle importe du gaz naturel libyen à travers le gazoduc Greenstream qui lie la région de Wafa (centre ouest) en Libye à l’île italienne de la Sicile via le port de Mellitah, proche de la frontière avec la Tunisie (nord-ouest). Le gazoduc est la propriété d’un joint-venture composée de la société pétrolière et gazière italienne ENI et la Société nationale libyenne de pétrole, gérée par le gouvernement d’Al-Sarraj à Tripoli. Par ailleurs, des sociétés libyennes doivent à leurs partenaires italiens quelque 600 millions de dollars, accumulés depuis le déclenchement du soulèvement populaire contre Kadhafi en 2011.
Ce qui précède explique les liens étroits qu’entretient l’Italie avec l’ouest libyen et le gouvernement d’Al-Sarraj. Rome a également conclu avec Tripoli en septembre 2016 un accord pour le déploiement de 400 soldats italiens dans le port important de Misrata sur la Méditerranée, afin de protéger l’hôpital militaire italien érigé pour soigner les blessés des combats menés alors contre Daech. Mais depuis la défaite de ce dernier en décembre2016, plusieurs en Libye qualifient le maintien de l’hôpital et du contingent qui le protège de base militaire italienne déguisée.
Le gouvernement internationalement reconnu d’Al-Sarraj a ainsi les faveurs de Rome qui voit avec circonspection la montée en puissance du maréchal Haftar et le soutien que lui apporte Paris. Face à l’activisme de la France sur le dossier libyen, l’Italie redouble d’effort et prépare sa propre initiative, avec la tenue prévue en novembre prochain à Rome d’une conférence internationale sur la situation en Libye. Le premier ministre italien, Giuseppe Conte, avait tenu à annoncer cette initiative de la Maison Blanche, en présence du président Donald Trump, à l’occasion de sa visite le 30 juillet dernier à Washington. Il pensait ainsi pouvoir recueillir le soutien du président américain, qui a effectivement exprimé son appui au rôle de l’Italie en Libye .
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