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Aznavour, l’Egypte et la presse française

Lundi, 08 octobre 2018

J’ai trouvé curieux le fait que, dans leur couverture du décès, survenu lundi 1er octobre, de la légende de la chanson française, Charles Aznavour, les médias français ont omis ses nombreuses visites en Egypte. Ces médias ont longuement parlé de ses tournées à travers le monde, soulignant notamment qu’il avait visité les Etats-Unis et le Japon, qu’il avait chanté dans tous les pays européens, ainsi qu’à Jérusalem et Tel-Aviv, mais n’ont pas évoqué de près ou de loin l’Egypte qu’il a visitée au moins trois fois. La première de ces visites a eu lieu en 1952, alors qu’il n’était pas encore la star qui allait marquer l’histoire de la chanson. Il était venu en compagnie d’Edith Piaf, l’Oum Kalsoum de la France, pour laquelle il écrivait des chansons. Piaf a chanté pour le public égyptien une seule fois à l’Ewart Hall de l’Université américaine du Caire.

Quant à la dernière visite d’Aznavour en Egypte, elle remonte à 2008. Je l’avais invité alors à mon petit domaine où il a passé une journée avec sa famille sous les palmiers de cette splendide province située au pied des célèbres pyramides de Dahchour, loin de l’ambiance des hôtels, des salles de spectacles et des cérémonies officielles. Entre les deux visites, les relations d’Aznavour avec le monde arabe et ses artistes n’ont jamais cessé. D’après ce qu’il m’a raconté ce jour-là, Aznavour adorait Oum Kalsoum qu’il avait découverte pour la première fois lors d’une visite au Maroc, il avait aussi une relation d’amitié avec Farid Al-Atrach. Au Liban, il avait rencontré Fayrouz et son mari, Assy Al-Rahbany, et leur a rendu visite chez eux à Kifa.

Aznavour, l’Egypte et la presse française
En 2006, au Caire, lorsqu’il a été primé par le Festival international du film.

En 2008, Aznavour avait 84 ans, il était devenu un symbole de la France, tout comme Oum Kalsoum pour l’Egypte, ou Louis Armstrong (lequel a également visité l’Egypte) pour les Etats-Unis. Cette année-là, Aznavour a donné un concert époustouflant à l’Opéra du Caire. Le lendemain, alors qu’il se réjouissait du soleil de l’hiver et des dattiers de Dahchour, il sortit son appareil photo pour prendre des clichés de la pyramide de Snéfrou qui ne ressemble à aucune autre pyramide égyptienne. « A mon âge, cet appareil photo est ma mémoire qui n’oublie rien », dit-il avant de me demander à propos de Snéfrou. Je lui expliquai que c’était le père de Chéops, et qu’il fut le premier pharaon à ériger une vraie pyramide après l’époque des pyramides à degrés de l’Ancien Empire. Chéops s’était inspiré de la « pyramide rouge » de son père pour construire la sienne sur le plateau de Guiza. Et Aznavour de commenter : « Je connais le fils bien sûr, pas le père. Ce qui montre que je suis encore jeune ».

D’aucuns ignorent peut-être qu’Aznavour a beaucoup souffert au début de sa carrière artistique. Il a essuyé des moqueries à cause de sa petite taille, de son physique qui ne correspondait pas à celui d’un jeune premier, de sa voix cassée et rouillée qui dénotait avec les chanteurs en vogue au milieu du XXe siècle, comme Tino Rossi, Jean Sablon, entre autres.

Aznavour, l’Egypte et la presse française
Salmawy accueillant Aznavour dans sa résidence au pied de la pyramide de Snéfrou.

Charles Aznavour, de son vrai nom Shahnourh Aznavourian, était issu d’une famille arménienne qui a dû fuir la république soviétique de Géorgie. Il m’a raconté combien il a souffert des attaques qu’il avait subies à ses débuts, ce qui l’a amené à quitter la France pour le Canada. Dans son exil volontaire, il a passé cinq ans à peaufiner son talent et sa culture. De retour à Paris, il s’est fait remarquer par Edith Piaf, la première à avoir repéré son talent exceptionnel d’auteurcompositeur. Elle interprétera quelques-unes de ses chansons. Aznavour s’est ainsi fait connaître et a commencé à interpréter ses propres chansons. La Mamma, qu’il a chantée au début des années 1960, l’a placé au rang des grands chanteurs français.

Sa renommée mondiale, il l’a acquise grâce à sa voix chaleureuse et singulière, son expressivité émotionnelle, sa musique profonde, ainsi que les paroles de ses chansons qui constituent des poèmes à part entière. Ce même jour, il m’a offert un recueil de nouvelles qu’il a écrit et qui venait de paraître en France : « Voilà que je pratique la littérature comme vous, essayerez-vous de chanter comme moi ? ». Comme tout grand artiste, Aznavour avait son côté patriotique qui l’a appelé à soutenir la cause du peuple arménien à qui il doit ses origines ethniques.

Aznavour, l’Egypte et la presse française
Aznavour entouré de Ali Al-Sammane et de Mounir Fakhri Abdel-Nour.

Il m’a néanmoins confié qu’il n’avait connu l’Arménie qu’en 1963, quand il l’a visitée pour la première fois dans le cadre d’une tournée dans l’ex- Union soviétique. Mais son attachement émotionnel à son pays d’origine n’est survenu qu’après l’horrible tremblement de terre qui l’a frappé en 1988 et qui a tué au moins 50 000 personnes et déplacé un demi-million d’habitants. « Cet événement a ravivé en moi le souvenir du génocide arménien par les Turcs. J’ai donc créé la fondation caritative Aznavour pour l’Arménie pour aider le peuple arménien. Puis en 1991, combien a été ma joie lorsque l’Arménie proclama son indépendance de l’Union soviétique. Je ne pensais pas que cela pourrait se produire de mon vivant », me confia-t-il. Sa mort est survenue alors qu’il s’apprêtait à se produire à Erivan, capitale de l’Arménie.

Les relations de l’artiste avec le monde arabe n’étaient pas limitées à cette visite en Egypte, visite inoubliable pour reprendre ses mots. En fait, il a chanté au Festival de Jerash en Jordanie et a donné plusieurs concerts à Beyrouth. Cette journée qu’il a passée chez moi avec des membres de sa famille m’a permis de découvrir que la femme de son fils Nicolas était à moitié marocaine et que Rachid, le mari de sa fille Katia, était algérien. Mais les médias français ne se sont pas trop arrêtés à ce genre de détails .

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