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Remonter le fil du « deal du siècle »

Mardi, 03 juillet 2018

Au cours de mes vacances annuelles à Paris, alors que je me préparais à suivre de près l’actualité internationale et les derniers sujets qui préoccupent le monde, j’ai été traqué par une série de questions relatives à l’Egypte. Finalement, c’est l’actualité égyptienne qui s’est imposée lors de mes rencontres avec les écrivains, les journalistes et les personnalités politiques. Le premier sujet fut naturellement la participation de l’Egypte à la Coupe du monde. Ainsi, le prix Nobel de la littérature, Jean-Marie Le Clézio, m’a fait part de sa surprise de la mauvaise performance de la sélection égyptienne malgré la présence dans ses rangs de Mohamad Salah, l’un des meilleurs footballeurs au monde. D’habitude, je me contentais d’échanger quelques mots sur le sujet avant de passer à ce qui m’intéresse moi. Le plan qui se tramait pour en finir avec le conflit israélo-palestinien et dont on a commencé à s’intéresser après la récente tournée au Moyen-Orient de Jared Kushner et Jason Greenblatt, respectivement conseiller et gendre de Donald Trump, et émissaire présidentiel pour le Proche-Orient, était le sujet que je ne voulais pas éviter dans mes discussions, ce plan plus connu par « le deal du siècle », la baguette magique qui réussira à régler une crise qui perdure depuis sept décennies, et que j’étais soupçonné d’en connaître les détails du fait que je suis égyptien.

Les premières informations qui me sont parvenues à propos de ce deal, toujours tenu au secret, remontent à l’année 2012, alors que les Frères musulmans étaient au pouvoir en Egypte. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, avait alors effectué une visite surprise au Caire pour rencontrer l’ancien président égyptien Mohamad Morsi. Après cet entretien, le jour même, j’ai vu Mahmoud Abbas qui était très inquiet à propos de ce qu’il avait appris sur des préparations en cours pour la création d’un Etat palestinien à Gaza et la cession de la Cisjordanie à Israël. Les parties de ce deal étaient le régime égyptien des Frères, le gouvernement du Hamas à Gaza et le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahu, le tout sous parrainage américain.

Selon le président palestinien, ce plan prévoyait que l’Egypte concède un territoire du Sinaï contigu à Gaza pour y être annexé, en échange d’une superficie égale du Néguev israélien. Mahmoud Abbas pensait que son refus catégorique d’un tel plan — un refus qu’il avait fait parvenir officiellement à son homologue égyptien —, était suffisant pour l’exclure. Mais à sa grande surprise, le président Mohamad Morsi lui avait fait comprendre que le côté palestinien, représenté par le Hamas, avait accepté ce plan qui lui promettait le gouvernement du futur Etat palestinien.

Ces informations jusqu’ici inédites m’avaient évidemment choqué. J’ai appris que le ministère égyptien des Affaires étrangères n’était pas au courant et que ces discussions s’effectuaient au niveau présidentiel. J’ai parlé avec l’un de nos ambassadeurs distingués à propos de ce marché, que la chute du régime des Frères musulmans avait empêché de se concrétiser. Le diplomate a émis des doutes sur la validité de ces informations, jusqu’au jour où le président palestinien a révélé en personne ce plan secret que l’ancien président égyptien a validé malgré le refus palestinien officiel.

Des modifications auraient par la suite été introduites sur ledit plan qui a été élaboré loin du ministère égyptien des Affaires étrangères. Aujourd’hui encore, tout porte à croire que le secrétariat d’Etat américain n’est pas au courant des détails de ce plan que le président américain a confié à son gendre et conseiller.

Quant à ces modifications, elles concernent notamment le Sinaï, parce que selon mes informations, l’Egypte a refusé catégoriquement d’en troquer une parcelle contre un autre territoire. L’alternative fut d’envisager la possibilité d’utiliser des territoires jordaniens pour exécuter ce plan. Le « package » comprend aussi la construction d’un port méditerranéen mondial, à l’instar du Singapour, qui sera dédié à l’Etat palestinien naissant. Il s’agit de miser sur l’aspect économique pour vendre le plan en faisant de Gaza un pôle économique grâce à un financement saoudien, émirati, koweïtien et qatari. Même si les informations disponibles suggèrent que les trois premiers pays ont refusé l’inclusion du Qatar, et promis d’assumer à eux seuls la facture de la reconstruction de l’Etat palestinien et de l’infrastructure des méga-projets prévus dans le « plan », qui s’élèverait à un milliard de dollars.

Or, la récente tournée de Jared Kushner et Jason Greenblatt ne semble pas avoir porté ses fruits. Les deux responsables se sont heurtés à un refus inattendu de la part du Caire et d’Amman. A leur retour, ils ont déclaré que les chances de réussite du « deal du siècle » étaient « très infimes ».

Entre-temps, le président palestinien avait réitéré son refus dudit plan, mais cela n’a pas empêché les Américains d’aller de l’avant. Risque-t-on aujourd’hui de les voir s’acharner à mettre en oeuvre le même plan en dépit du refus de toutes les parties concernées ?

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