Qu’est-ce qui a poussé le président Turc, Recep Tayyip Erdogan, à annoncer des élections présidentielle et législatives anticipées, alors que par le passé, il avait écarté à plusieurs reprises cette possibilité ? Le chef de l’Etat turc a annoncé, en avril dernier, des élections anticipées le 24 juin prochain, soit un an et demi avant la date initialement prévue (novembre 2019). Il a justifié cette accélération du calendrier électoral par « les développements en Syrie et la nécessité de prendre rapidement des décisions importantes sur l’économie ».
En réalité, la décision d’Erdogan est motivée par trois considérations. La première se rapporte à la politique interne. Erdogan veut prendre de court l’opposition et accélérer le passage au régime présidentiel décidé au termes du référendum de 2017. Ceci au moment où il fait face à de nombreuses critiques en raison des conséquences du coup d’Etat manqué de juillet 2016. Celui-ci a été suivi d’une purge au sein de l’administration et dans les appareils de l’Etat au cours de laquelle des milliers de Turcs ont été arrêtés ou emprisonnés. L’état d’urgence a été reconduit à plusieurs reprises donnant au pouvoir une emprise quasi totale sur la vie politique, surtout sur les médias. Plusieurs centaines de sites Internet ont été fermés et de nombreux journalistes sont derrière les barreaux. En organisant des élections anticipées, Erdogan veut enlever à l’opposition toute opportunité de s’organiser ou de nouer des alliances. Celle-ci, formée de quatre partis (les républicains du CHP, les nationalistes du Iyi, les islamistes du Saadet parti et les conservateurs du Parti démocrate) est déjà affaiblie et ne dispose que d’un espace très limité dans les médias. La deuxième considération est d’ordre économique. M. Erdogan espère profiter d’un contexte économique encore favorable avec notamment un taux de croissance de 7,4 % en 2017. Pour lui, attendre est synonyme de perdre, car en dépit de la croissance, l’économie turque donne des signes de fatigue avec une inflation de 11 %, surtout au cours des dernières semaines, la chute de la lire turque face au dollar. Cette situation pourrait empirer dans les mois qui viennent avec le risque pour M. Erdogan de perdre une partie de son électorat.
La troisième considération est d’ordre géopolitique. La récente intervention turque en Syrie a créé une vague patriotique en Turquie. Or, M. Erdogan espère mettre à profit ce climat pour se maintenir au pouvoir. Rappelons aussi que cette même intervention turque en Syrie a créé des frictions entre Ankara et ses alliés de l’Otan, notamment les Etats-Unis. Dans ce contexte, attendre plusieurs mois c’est prendre le risque de voir la position du gouvernement turc se fragiliser. D’où la volonté du président turc d’organiser au plus vite les élections. Le scrutin du 24 juin est crucial pour Erdogan qui veut renforcer ses prérogatives en tant que chef de l’Etat et de briguer deux nouveaux mandats présidentiels et de rester au pouvoir jusqu’en 2028.
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