La Turquie a déclenché le 20 janvier 2017 une opération militaire dans le nord de la Syrie appelée « Rameau d’olivier ». Cette opération est le troisième épisode de la politique turque d’interventions militaires en Syrie; et ce, après l’opération de Dar Al-Forat et l’ingérence militaire dans le nord d’Idleb. Dar Al-Forat était appuyée par Washington, alors que celle d’Idleb était sous parrainage russe.
Celle d'Afrine en Syrie intervient en réponse à une tentative d’Ankara de préserver ses intérêts et d’élargir son influence face aux deux, Washington et Moscou. Il ne s’agit nullement d’une opération qui ciblerait les organisations djihadistes. Mais elle a pour objectif de resserrer l’étau turc sur cette ville à majorité kurde en lançant des tirs sur le Parti de l’union nationale du Kurdistan, qui n’est pas classé selon les lois américaines ou kurdes parmi les organisations terroristes.
Rien d’étonnant donc, d’autant plus que tous les indicateurs disaient que les Turcs préparaient une troisième opération militaire sur la scène syrienne. Avec notamment des déclarations sur le droit d’éloigner les organisations kurdes des frontières turques. Ces déclarations se sont accrues avec la montée des tensions américano-turques à l’arrière-plan de cargaisons d’armes qui ont été acheminées aux Forces démocratiques syriennes tout au long des derniers mois. Et ce, outre les rumeurs sur les décisions américaines à propos de la mise en place d’unités de gardes-frontières qui auraient pour mission la protection des Kurdes.
La stratégie militaire turque a plusieurs objectifs-clés. Le plus important était la confrontation par Ankara des menaces kurdes grandissantes à cause du stationnement les Unités de protection du peuple (YPG). Dans ce contexte, le porte-parole de la présidence, Ibrahim Kalin, a déclaré que la Turquie a fait l’objet de plus de 700 agressions à partir de la ville de Afrin en 2017. Il a ajouté que la clause n°51 de la Charte des Nations-Unies accorde à Ankara le droit à l’autodéfense. D’ailleurs, le premier ministre turc, Binali Yildirim, avait déclaré que l’objectif d’Ankara à Afrine était de bâtir une ceinture de sécurité d’une longueur de 30 km qui obstruait de telles attaques dans le futur. Le chef d’état-major Khouloussy Akkar avait fixé à son tour l’objectif plus ambitieux, proclamant que « l’opération continuerait jusqu’à ce que le terrorisme soit neutralisé dans les régions frontalières avec la Turquie ».
Les incitations locales demeurent l’un des moteurs de la politique étrangère turque, façonnée en grande partie par les politiques du Parti de la justice et du développement. Ainsi, le contexte de l’opération Rameau d’olivier est en relation avec les conjonctures turques et la politique étrangère d’Ankara. Selon toute vraisemblance, avant n’importe quelle élection, le leadership turc fait de son mieux pour mobiliser les foules afin qu’elles soutiennent sa politique étrangère. Alors qu’en réalité, tout ce qui lui importe ce sont ses conjonctures internes.
La seconde raison à l’origine de cette opération se rapporte à la spécificité de l’emplacement d'Afrine, mais aussi et surtout au fait que la Turquie continue de réclamer certaines régions qui appartenaient auparavant à l’Empire ottoman.
Dans ce contexte, le président turc avait mis en garde contre les velléités de créer un Etat dans le nord de la Syrie. Il avait même déclaré que les régions qui sont ciblées pour devenir une ceinture « terroriste » au nord de la Syrie appartiennent aux frontières déterminées par la « charte nationale turque ». Cette charte adoptée par le parlement turc en 1920 donnait le droit à la Turquie de décider de l’avenir de régions en dehors de ses frontières géographiques comme Mossoul, Alep et Kirkuk; y compris certains territoires en Grèce et en Bulgarie.
Bien que la ville d'Afrine fût autrefois appelée le Mont des Kurdes et eût incarné l’identité politique du front kurde du Parti des travailleurs du Kurdistan et son leader Abdullah Ocalan en 1980, il n’en demeure pas moins que certains pointent du doigt des tentatives de changements démographiques de cette ville, à travers une implantation de réfugiés turcs. Ceci s’inscrit dans la stratégie de règlement dans le nord de la Syrie à travers la restitution de la région à ses habitants originaux.
Selon les estimations turques, 55% des habitants d'Afrine sont arabes et 35% des Kurdes, et le reste des originaires du Turkménistan. A l’heure où les sources locales disent que le nombre d’habitants kurdes dans le Kurdistan varie entre 70 et 85% de la totalité des habitants.
Il est impossible de dissocier l’escalade turque à Afrine de la montée de la droite nationale en Turquie et de l’appréhension vis-à-vis de la politique américaine dans la région. Autant d’éléments qui inquiètent Ankara et qui expliquent son intransigeance dans sa politique étrangère.
Pendant ce temps, la Russie essaye de profiter de la situation pour éloigner la Turquie de ses alliés occidentaux traditionnels. Et de renforcer la position de Damas face aux unités kurdes appuyées par Washington. Ces nouvelles conjonctures ne bénéficient certainement pas à la Turquie .
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