Un règlement politique serait-il en marche en Libye, déchirée par plus de six années de guerre civile ? Le récent « accord » de Paris, annoncé le 25 juillet, et la première visite, les 5 et 6 août, du nouveau représentant des Nations-Unies en Libye, Ghassan Salamé, sont autant de signes que les choses commencent à bouger, depuis l’accord de paix de Skhirat (Maroc) de décembre 2015. Mais qu’en est-il réellement des chances d’une percée politique ?
Les principaux résultats de la rencontre de Paris étaient de réunir les deux principaux acteurs de la crise libyenne, Fayez Al-Sarraj, président du Conseil présidentiel et premier ministre, et le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’armée nationale libyenne et homme fort de l’est libyen, et de les pousser à s’entendre sur plusieurs principes de réconciliation nationale, notamment la nécessité d’une solution politique, un cessez-le-feu et la tenue d’élections générales, présidentielle et législatives, au printemps 2018.
Il ne fait aucun doute que l’accord de Paris est un pas positif, comme beaucoup d’autres initiatives qui l’ont précédé, mais qui ont toujours achoppé sur des difficultés d’application provenant de la multiplicité des acteurs sur la scène libyenne, et dont les positions et intérêts personnels, politiques et économiques sont souvent contradictoires. Cet Etat, peu propice à un accord politique consensuel, est alimenté par des interventions étrangères, régionales et internationales, qui radicalisent les positions de certains belligérants libyens, les encourageant à préférer une solution militaire à un règlement pacifique qui impliquerait des concessions. Pour faire avancer une solution politique, comme le stipule l’accord de Paris parrainé par le président français, Emmanuel Macron, il faudra relever certains défis. Il s’agit, en premier lieu, de convaincre les autres principales parties prenantes en Libye, tribus, milices et forces politiques, de la nécessité de travailler à un accord politique, qui exigerait forcément de faire des concessions, vu les intérêts divergents. Cette tâche ardue serait dévolue au nouveau représentant de l’Onu qui a participé aux réunions de Paris, mais aussi aux autres parties régionales et étrangères qui tiennent à une stabilisation de la Libye. Conscient de la complexité de l’échiquier libyen, Salamé a adressé à l’issue de l’accord de Paris un message aux parties libyennes dans lequel il les a notamment prévenus : « Si vous voulez garder les choses en l’état, vous n’avez pas besoin de moi ». C’était une invitation aux parties à faire des choix difficiles et courageux, permettant de faire avancer une solution politique. Les quelques réactions, qui ont été annoncées jusqu’ici par certaines parties libyennes, ne sont pas encourageantes, dénonçant en particulier leur exclusion des rencontres de Paris. Mais ces positions ne sont pas nécessairement définitives et pourraient être réversibles.
Un deuxième défi consiste à surmonter le manque de confiance entre les protagonistes libyens. Un état de fait visible dans les positions prises par les uns et les autres. Khalifa Haftar a attaqué à plusieurs reprises certains membres du Conseil présidentiel, les accusant d’être des extrémistes liés aux groupes terroristes Al-Qaëda ou Daech. Il n’a pas caché son intention de marcher sur la capitale Tripoli afin d’unifier le pays par les armes et mettre un terme à la division actuelle entre l’est, sous sa domination, et l’ouest, contrôlé par le gouvernement d’union nationale dirigé par Sarraj et des milices alliées. Ces dernières, en particulier celles dirigées par les islamistes, ne cachent pas, de leur côté, leur hostilité à Haftar. Et il ne semble pas que Sarraj soit en mesure d’infléchir ces milices. Son gouvernement ne contrôle effectivement que certaines régions de l’ouest du pays et quelques quartiers de la capitale, alors que les milices dites de « Misrata » et celles de l’ancien gouvernement islamiste, non reconnu internationalement, dominent d’autres régions de l’ouest, y compris des quartiers à Tripoli. En outre, la région de Fezzan, dans le sud-ouest, où sévissent des milices tribales, échappe en grande partie au contrôle des deux protagonistes de l’accord de Paris. Cette situation soulève de sérieux doutes sur la capacité d’organiser des élections générales, si des progrès tangibles vers un accord entre les principaux acteurs ne sont pas réalisés d’ici au printemps prochain. Ceci nécessite en pratique l’introduction de modifications à l’accord de Skhirat, notamment pour tenir compte de la montée en puissance du général Haftar. L’accord de Paris était une première reconnaissance occidentale de cette nouvelle réalité ; Macron étant le premier président occidental à l’avoir rencontré et associé à la recherche d’une solution. Reste à faire pression sur les autres parties pour qu’elles acceptent, elles aussi, une telle évolution.
Enfin, l’un des points faibles de l’accord de Paris est de ne pas avoir associé les autres parties régionales et internationales impliquées dans le conflit libyen. Rome a, par exemple, fortement ressenti le cavalier seul de Paris. L’Italie, ancienne puissance coloniale en Libye, développe une politique très active dans ce pays. Elle fait face, beaucoup plus que ses partenaires européens, à l’une des conséquences les plus négatives de la guerre en Libye : l’afflux sur son sol de dizaines de milliers de réfugiés illégaux, chaque année. L’invitation de puissances régionales voisines, très concernées par la situation en Libye, telles l’Egypte et l’Algérie, était également de nature à donner une impulsion et de l’élan à l’initiative française. Mais rien n’empêche l’implication a posteriori de ces acteurs régionaux et internationaux, attachés à la paix et à la stabilité en Libye, dans les efforts d’application de l’accord de Paris .
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