Jeudi, 12 décembre 2024
Opinion > Opinion >

Les déplacements forcés en Syrie

Lundi, 19 juin 2017

En suivant la crise syrienne depuis son début, on constate que la situation va de mal en pis, mais aujourd’hui, on découvre que le pire n’a pas de fin et que de nouvelles réalités commencent à se former sur le terrain. On se disait que nous étions « plus civilisés » et que, quel que soit le degré de « criminalité » du régime, le « professionnalisme » de l’armée et des institutions de l’Etat le stopperont. A ce propos, il faut se rappeler comment l’Otan est intervenue en Libye après que le régime eut menacé de recourir au bombardement des civils à Benghazi en 2013. Puis les barils d’armes chimiques ont commencé à tomber du ciel. Plus de 120 000 Syriens ont été tués par le bombardement à l’arme chimique et la communauté internationale n’a pas suffisamment réagi face à cette violation continue de la loi internationale humaine.

En 2012, on disait à propos des armes chimiques que le gouvernement d’Assad ne pouvait pas dépasser la ligne rouge tracée par l’ex-président Obama et qu’il n’avait pas besoin de recourir aux gaz comme le sarin, puisque de toute façon, il continuait à tuer les gens par les armes traditionnelles. Mais là aussi, nous avons eu tort puisque le régime d’Assad a utilisé le gaz sarin pour la première fois en août 2013, et 1 400 civils, dont 400 enfants, avaient été tués. Puis le gouvernement syrien a annoncé qu’il avait renoncé à son arsenal chimique après un accord avec les Etats-Unis et la Russie en 2013. Mais il l’a réutilisé en avril 2017 sur Idlib, causant la mort de 83 personnes. Et entre ces deux dates, le gaz chlore a été employé au moins 50 fois sur une large échelle dans le combat d’Alep.

Aujourd’hui, il y a encore pire. On nie que la Syrie est en phase de division. Il est vrai que rien n’est encore clair et les forces qui sont derrière cette décision ne sont encore pas vraiment connues. Mais depuis 2015, a commencé un petit jeu de changement démographique à une petite échelle qui s’élargit petit à petit à travers ce que le gouvernement a appelé la conciliation locale. Quant à l’opposition, elle a décrit le changement en cours comme étant une « purification ethnique » de la majorité des habitants sunnites. Et ce, en attribuant la nationalité à des chiites iraqiens, iraniens et afghans qui viennent habiter à la place des sunnites dans les villes et les villages dont ils étaient obligés de quitter.

Or, l’évolution qui a eu lieu, il y a près d’un mois, ne peut passer inaperçue. Il y a eu un accord d’échange appelé « les 4 villes » qui consiste à effectuer un échange entre, d’un côté, les civils et les rebelles dans les villes de Foua et Kefraya qui sont des enclaves chiites progouvernementales et qui étaient assiégées par l’opposition syrienne armée, et de l’autre côté, les civils et les combattants de Zabadani et Madaya, villes sunnites rebelles assiégées par les forces gouvernementales.

Cet accord est venu après 5 autres concernant les villes principales qui ont participé aux manifestations contre le gouvernement en 2011, puis ont rejoint l’opposition armée dans l’objectif d’empêcher les forces gouvernementales de les envahir, comme cela s’est passé dans la ville de Homs. Le régime avait conclu un accord avec l’armée libre pour évacuer les combattants (2 250) en plus des civils vers le nord. Le résultat fut que l’ancienne ville est devenue complètement vide de ses habitants originaux qui se sont dirigés vers Idlib et qui ont été remplacés par des citoyens progouvernementaux.

Puis, ça a été le tour de la ville de Deraa qui a été strictement assiégée par le régime, et les civils ont presque vécu dans des tunnels pendant 4 ans. La ville était quotidiennement bombardée, et à la fin de l’année 2016, les civils et les rebelles ont décidé de la quitter après les menaces du gouvernement de tout incendier. Les civils se sont donc dirigés vers Idlib qui est devenue la capitale de l’opposition. C’est là que réside le second accord qui a ouvert la porte à la nouvelle politique d’Assad basée sur le déplacement forcé. Et quand Bachar Al-Assad a visité la ville, qui a été complètement vidée de ses 250 000 habitants, il a répondu à une question concernant la transformation démographique en disant que « ce changement s’effectue à travers des générations ».

Ce qui s’est passé à Deraa en décembre 2016 s’est répété à Alep en début de l’année courante, alors que les forces du régime syrien et les milices iraqiennes et iraniennes assistées par les forces aériennes russes ont bombardé les hôpitaux et les centres commerciaux de gaz chlore. Le régime adressait ainsi un message clair aux citoyens pour leur dire que l’évacuation était l’unique choix. Puis, le même scénario s’est répété à Madaya et Zabadani.

La loi internationale, ainsi que les accords de Genève, signés par la Syrie, stipulent clairement dans l’article 129 que « les parties, dans n’importe quel conflit armé non international, n’ont pas le droit de déplacer les habitants civils de façon complète ou partielle pour des raisons relatives au conflit ». De plus, la Charte de la Cour pénale internationale stipule clairement que « le déplacement des habitants civils pour des raisons relatives aux conflits constitue un crime de guerre ».

Pour empêcher le changement démographique et la purification ethnique qui a actuellement lieu en Syrie, il faut que la communauté internationale et l’Onu adoptent une position claire. Il est inutile de poursuivre des négociations absurdes à Genève si le changement démographique de la Syrie, dans le but de réaliser des plans propres au régime syrien, continue. De plus, ceci nécessite une pression de la part des Etats-Unis sur la Russie pour arrêter cette politique planifiée. Sinon, nous continuerons à voir la Syrie que nous connaissons disparue pour toujours.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique