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Trump vu par les Européens et les Arabes

Lundi, 03 avril 2017

Les médias occidentaux ne cessent de dénoncer la « folie » et l’in­compétence du président américain, Donald Trump. On avance des expli­cations psychologiques (un narcis­sique anxieux et agressif), intellec­tuelles (un inculte manquant de curio­sité), culturelles et politiques (popu­lisme, démagogie et racisme, ou encore affinités coupables avec la Russie de Poutine), ou alors tactiques : Trump serait un maître de la « straté­gie du fou », cultivant l’imprévisibilité pour affaiblir et désarçonner interlocu­teurs, partenaires et ennemis. Cette stratégie, nous dit-on, a pu s’avérer efficace dans le monde du « business » ; elle est dangereuse en politique. Car si elle invite les adver­saires à la circonspection, elle détruit la confiance nécessaire entre alliés. Certaines critiques se veulent plus constructives et affirment que les stra­tégies d’apaisement ou de partage de zones d’influence sont dangereuses à moyen terme. Les rares articles neutres disent qu’en matière d’immi­gration, Obama faisait plus ou moins la même chose, mais sans le dire ; et s’efforcent de mettre en valeur quelques aspects positifs des pre­mières mesures, notamment en matière de défense, ou de recrutement au sein de son administration de per­sonnalités très respectées.

Dans le monde arabe, même si beaucoup sont inquiets de l’hostilité patente aux musulmans, le ton est autre. On se félicite de la fin du « cau­chemar » qu’a été la présidence Obama. Ce dernier alliait non fiabilité, discours moralisateurs, ne tenant pas compte des réalités du terrain, et promptitude au décret des sanctions. Son rapprochement avec l’Iran ou son lâchage de l’ancien président Hosni Moubarak, doublé de ce qui ressem­blait beaucoup à un « pari sur les islamistes » étaient perçus comme une trahison dans les capitales du Golfe (exceptée Doha) et ailleurs. Sa posi­tion sur la Syrie a déçu certains (et plu à d’autres). Son audace initiale sur le dossier palestinien a été suivie d’une reculade et d’une désaffection. Il a fait preuve d’une cécité ou d’une indiffé­rence coupables vis-à-vis de la grande offensive de l’Iran au Machreq. Pertinente ou non d’un point de vue américain, sa politique a été ici perçue comme une succession de trahisons.

Trump, quant à lui, est clairement anti-iranien. Les Saoudiens se disent satisfaits de son appui sur le dossier yéménite, et l’Egypte est rassurée par la proximité des vues sur la Syrie et sur le terrorisme, et par son appui sur plusieurs dossiers. Sur la question israélo-arabe, les choses s’activent (bien sûr, le test réel, à savoir ce que fera son administration une fois confrontée au premier véritable obs­tacle, est encore à venir) et les capi­tales arabes sont rassurées par le fait que Trump évoque moins souvent le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Elles sont conscientes du fait que le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, est le moins mal placé pour imposer un accord à l’ensemble du spectre politique de l’Etat hébreu. Ce que les conseillers de Trump disent à leurs interlocuteurs arabes ne leur plaît pas toujours, mais cela n’a rien à voir avec leurs rapports aux membres de l’Administration Obama. Et enfin, les capitales arabes espèrent moins de pressions sur les dossiers « droits de l’homme ».

J’ai vu certains articles de presse occidentaux ériger le dernier élément en facteur explicatif central. Les régimes arabes sont tyranniques et s’appuient sur la répression et sur des thématiques combinant discours de haine et théories du complot. Ils seraient donc indifférents au carac­tère insupportable de la rhétorique de Trump et aux dérives (voire pis) qu’elle légitime, alors qu’elles ciblent leurs propres populations. Le discours des droits de l’homme constitue une telle menace pour leurs trônes qu’ils sont heureux d’en être débarrassés. Cette approche « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es », permet de délégitimer les dirigeants actuels de Washington et des capitales arabes. Pas question, bien sûr, d’appliquer les mêmes cri­tères à ses propres amis.

Je n’ai pas l’intention d’évaluer les arguments et les perceptions des uns et des autres, mais de souligner le contraste frappant entre ceux qui pren­nent le président Trump pour un fou dangereux et ceux qui le jugent sensé et réaliste. Je ne veux pas m’en sortir par une pirouette et affirmer que nous sommes tous un mélange de raison et de folie, ou rappeler qu’un homme qui réussit à gagner des élections aussi difficiles que les Américaines a au moins un savoir-faire. Je veux souli­gner deux points.

D’une part, il convient de se méfier des rhétoriques odieuses. Dans notre région, on a trop souvent eu tendance à sous-estimer leur impact et à se ras­surer en disant : « Oh, il ne pense pas ce qu’il dit ». Outre le fait qu’il y a de fortes chances que les acteurs pensent ce qu’ils disent, il reste aussi que ces discours instituent des escalades qui peuvent très vite déraper.

D’autre part, il y a une explication simple à la radicale opposition entre les deux perceptions. Depuis 1945, les Etats-Unis ont construit des institu­tions internationales, des systèmes de sécurité collective et d’autres de gou­vernance globale, et ont été un agent de la mondialisation. Et depuis une dizaine d’années, la Russie est perçue comme une puissance révisionniste agressive. L’approche « transaction­nelle » de Trump, son volontarisme affiché et son hostilité aux institutions globales menacent de détruire tout ce qui a été fait et, à juste titre, les capi­tales occidentales sont très anxieuses. La négation des valeurs universalistes n’arrange rien.

Mais les transactions, c’est le « mode d’action usuel » du système régional arabe, dont les institutions ne brillent pas par la solidité ou l’effica­cité. Les dirigeants arabes ont « un savoir-faire » en matière de transac­tions. Et la Russie est un client sérieux, avec lequel il faut traiter. Les menaces que fait peser Trump sur l’ordre global sont donc hors du champ visuel des dirigeants, pour qui la présidence Obama a été un désastre l

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