La scène politique égyptienne témoigne en ce moment d’une évolution positive de grande importance. Je veux parler de cette nouvelle tendance consistant à former des coalitions et des plateformes. Certes, c’est un phénomène qui dénote une maturité politique que nous attendions depuis longtemps.
A la dernière élection présidentielle, il y avait 13 candidats en lice, dont 3 appartenant à l’islam politique (après la mise à l’écart du 4e candidat). Les dix autres candidats se prononçaient pour l’Etat civil. Ces derniers, vu leur grand nombre, ont vu leurs chances faiblir. Ils ont, pour ainsi dire, contribué à la victoire de leur concurrent de tendance islamiste.
Les analystes qui se sont mis à décortiquer les résultats du scrutin se sont rendu compte que le nombre de voix recueillies par les partisans de l’Etat civil était de loin supérieur à celui récolté par les 3 candidats islamistes. Mais l’éparpillement des voix a posé un problème pour les premiers. Le rapprochement qui a eu lieu entre les adeptes de la tendance religieuse s’est répercuté de manière évidente sur les résultats des élections, comme ce fut le cas également auparavant lors des législatives.
A mon avis, ce n’était pas une coalition à proprement parler. Le Parti Liberté et justice n’a pas formé de coalition avec le parti salafiste Al-Nour. Et ce, bien que des portefeuilles ministériels aient été proposés aux salafistes au sein du dernier gouvernement formé à l’issue de la victoire du candidat des Frères musulmans. Cependant, ce rapprochement a été accompagné d’une certaine tension qui a culminé à plus d’une occasion, surtout avec le refus des salafistes de participer au gouvernement des Frères. Ensuite, cette tension est apparue dans les positions divergentes des deux parties vis-à-vis du film américain offensant l’islam, et les incidents qu’il a générés. Des manifestations ont ciblé l’ambassade américaine au Caire menées par les salafistes, avec des réserves évidentes de la part des Frères. La confrontation est apparue au grand jour entre les deux ailes principales de l’islam politique.
Au moment où le fossé entre les salafistes et les Frères grandit, de nouvelles coalitions ont commencé à se former entre les différentes tendances politiques opposées au pouvoir religieux.
Amr Moussa, le parti du Wafd ainsi qu’un nombre d’autres partis libéraux comme celui d’Al-Masréyine Al-Ahrar (les Egyptiens libres) ont créé « la coalition de la nation égyptienne », à laquelle ont adhéré ultérieurement d’autres partis. Ils ont signé il y a quelques jours la charte des principes. Si cette coalition avait été formée avant la présidentielle, les résultats auraient été différents.
Amr Moussa a déployé également des efforts louables pour former une plateforme entre plus de 20 partis, dont le parti Ghad Al-Sawra présidé par Aymane Nour ainsi que le parti du Front démocratique. Cette tentative réduirait le nombre des partis existant en Egypte qui est de 70.
Par ailleurs, nous avons vu l’ex-candidat à la présidentielle, Hamdine Sabbahi, former un courant populaire et sortir avec ses partisans, vendredi dernier sur la place Abdine, pour prouver que l’arène politique n’est pas le monopole des Frères. Le choix de la place Abdine était judicieux, car on s’est éloigné de la place Tahrir, où rivalisent tous les courants politiques, et de Madinet Nasr, ainsi que de la rue Moustapha Mahmoud et Roxy qui étaient liés au mouvement « M. le président, pardonnez-nous ». Le choix de Sabbahi a ressuscité la mémoire de la première révolution de l’histoire moderne de l’Egypte contre la tyrannie, celle d’Ahmad Orabi, connue injustement sous le nom de « vague de Orabi ».
En même temps, un troisième rassemblement politique fait son apparition, autour du parti Al-Dostour dirigé par Mohamed ElBaradei. Bien que Baradei ne soit pas encore entré de plain-pied dans la vie politique, il n’en demeure pas moins qu’il continue à attirer de nombreux sympathisants.
Tels sont les trois principaux rassemblements représentatifs du courant civil qui animent la scène. Ils rejettent l’ingérence de la religion dans la vie politique, qui est supposée être un terrain fertile à la discorde. L’importance de ces trois plateformes n’émane pas du moment de leur création, c’est-à-dire au moment où la fragmentation a commencé à se faire au sein du camp religieux. Mais leur intérêt réside dans la possibilité de réunir sous un même drapeau tous ceux qui croient en l’Etat civil. Leur unité confirmera la présence des pro-civils sur la scène face à la mainmise des Frères musulmans sur la vie politique et de leurs confrères salafistes. D’autant plus que ces derniers tentent de s’accaparer toutes les positions et d’exclure les autres tendances.
Cependant, ces coalitions font face à un grand défi. Elles sont divisées en 3 entités. Si elles ne se regroupent pas sous une seule ombrelle, il leur sera difficile d’unifier le camp des partisans de l’Etat civil.
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