La grève des policiers traduit un malaise profond.(Photos: AP)
Pour la première fois depuis 1986, les force antiémeutes, appelées« Forces de Sécurité Centrale » (FSC), ainsi que de policiers se révoltent contre le pouvoir. La dernière fois, il y a 27 ans, les conscrits de police des FSC s’étaient rebellés contre les conditions inhumaines de leu travail. Ils ont été brutalementmatés par l’armée. Aujourd’hui,la situation est beaucoup plus compliquée, le phénomène est plus large et le malaise est plus profond :des milliers des FSC et d’officiers sont en grève ou observent des sit-in depuis plusieurs jours dans plusieurs villes et gouvernorats, pour toute une série de raisons.
Les grévistes réclament la démission du ministre de l’Intérieur, le général Mohamad Ibrahim, qu’ils accusent d’être trop proche des Frères musulmans, au pouvoir, de vouloir « frériser » le ministère et d’entraîner les forces de l’ordre au profit de la confrérie, dans la crise politique du pays, les mettant ainsi en confrontation directe et permanente avec les protestataires. Ce qui approfondit l’hostilité, déjà prononcée, entre la police et une partie de la population. Les policiers réclament à cet égard la suppression de la nouvelle loi sur les manifestations qui, selon eux, risque d’exacerber la tension entre les deux parties. Ils demandent également de meilleures conditions de travail, dont une amélioration de leur armement, et une loi définissant leurs droits et devoirs et les protégeant contre des protestations et des attaques de plus en plus violentes et meurtrières.
Selon le ministre de l’Intérieur, 186 policiers ont trouvé la mort et 800 autres ont été blessés depuis le soulèvement populaire du 25 janvier 2011. La police et le ministère de l’Intérieur étaient au coeur du soulèvement populaire qui a renversé le régime de Hosni Moubarak. La date symbolique du 25 janvier, qui coïncide avec la fête nationale de la police, a été choisie par les manifestants pour marquer leur rejet de la torture et des méthodes brutales souvent pratiquées en toute impunité par les différents organes de la police, dont les FSC et le tristement célèbre service de la Sûreté d’Etat. Depuis, la réforme du ministère de l’Intérieur a été au centre des revendications des forces politiques et révolutionnaires, une requête considérée comme indispensable à l’établissement d’une vraie démocratie. Or, rien n’a été vraiment fait depuis la chute de Moubarak.
Certes, le ministère a changé six fois de tête en deux ans. Mais ce furent des changements de façade et de personnalités plutôt que de politiques et de mentalités. Et les promesses de réforme ne se sont pas concrétisées. A la suite de la chute de Moubarak, plusieurs associations de défense des droits de l’homme ont présenté au gouvernement plusieurs projets de réforme et de restructuration du ministère de l’Intérieur et des forces de l’ordre. Mais en raison du manque de volonté politique de la part du Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA), au pouvoir à l’époque, rien n’a été fait de consistant. Certes, le redoutable service de la Sûreté d’Etat, responsable d’abus notoires, a été supprimé en mars 2011 pour être remplacé par celui de la Sécurité nationale. Celle-ci est censée s’occuper seulement de terrorisme et de trafic de drogue. Mais diverses informations indiquent que ses prérogatives et son personnel restent assez proches de ceux de son prédécesseur. A l’approche de la présidentielle de juin 2012, le Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans, a révélé en avril son programme politique, Al- Nahda (renaissance), qui appelle à la restructuration du ministère de l’Intérieur et à l’adoption d’une nouvelle loi réglementant son action.
Mais le Parlement de l’époque, dominé par le PLJ et les salafistes et dissous en mi-juin, n’a finalement rien fait en conformité avec ce programme, laissant libre cours aux mêmes pratiques de la police. Une situation qui n’a pas changé depuis l’élection du président Mohamad Morsi, issu des Frères musulmans. Selon le centre Al-Nadim pour la réhabilitation des victimes de la torture, 88 personnes ont subi des tortures policières dans les 100 premiers jours de Morsi au pouvoir, dont 34 ont succombé à leurs blessures. Le rapport du centre, publié en octobre dernier, souligne également que l’Egypte n’avait pas connu de nombre aussi important de victimes de torture en si peu de temps. L’Organisation égyptienne des droits de l’homme avait indiqué que durant les quinze années s’étendant de 1993 à 2008, la torture policière a provoqué la mort de 204 personnes. Bien que les Frères musulmans ressentent le besoin de réforme des forces de police, ils ne semblent pas pressés à s’engager dans cette voie pour des considérations politiques. L’un des dirigeants du PLJ, Hamdi Hassan, a récemment indiqué qu’il ne serait pas judicieux d’entrer en confrontation avec la police en ce moment, étant donné les défis sécuritaires que rencontre le pays. Il faisait ainsi allusion à l’existence d’une résistance à la réforme au sein du ministère de l’Intérieur.
Certes, cette résistance existe, mais plusieurs initiatives de réforme avaient fait leur apparition parmi les officiers de police de rang intermédiaire. Elles réclamaient de purger le ministère des hauts gradés corrompus, d’introduire une meilleure formation plus adaptée à un système démocratique, et de mettre un terme à l’impunité des policiers. Mais toutes ces propositions sont restées lettre morte. Plusieurs soupçonnent, en effet, le pouvoir en place de vouloir utiliser la police comme un instrument dans sa lutte contre ses rivaux politiques. C’est d’ailleurs l’un des griefs adressés par les policiers grévistes contre le ministre de l’Intérieur. Toujours est-il que la réforme de la police demeure très problématique en ce temps de troubles sociaux et d’extrême tension et polarisation politiques. La dégradation du climat politique et économique et l’aggravation de la crise entre les différents protagonistes sur la scène politique rendent, en effet, très difficile d’entamer une sérieuse réforme de la police. Souffrant déjà d’une mauvaise image, les forces antiémeutes et les policiers se sont trouvés régulièrement en première ligne face à une myriade de protestations populaires et d’attaques en tous genres contre les institutions de l’Etat. Sur la défensive depuis le soulèvement du 25 janvier, ils se sentent désarmés devant la violence des attaques qu’ils subissent et ont l’impression d’être « coincés » entre, d’un côté, leur hiérarchie et le régime, qui les enjoignent de faire face aux protestations populaires et, de l’autre, la population, ou plutôt un ensemble de groupes politiques et autres qui semblent souvent déterminés à prendre leur revanche sur un corps d’Etat à la mauvaise réputation. Dans ce climat d’extrême hostilité entre policiers et protestataires en tous genres, la torture et les mauvais traitements de civils sont monnaie courante. En l’absence d’une solution politique qui ramène un début de calme dans la rue, ce cercle vicieux de violence et de contre-violence n’est pas prêt à cesser. Il a fini par créer une situation intenable pour un nombre croissant de policiers et de membres des FSC. D’où leur mouvement de grève et de protestation qui a fait tache d’huile, rendant impératif le fait que le pouvoir soit à leur écoute ainsi qu’une réforme en profondeur de tout l’appareil de sécurité .
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