Avec l’élection du général Michel Aoun, le chef du Courant patriotique libre, le Liban est enfin sorti de l’état de vide présidentiel pour entrer dans une phase délicate. Le vide présidentiel est terminé pour que commence une situation d’expectative en attendant la formation du gouvernement et la réaction de l’élite politique vis-à-vis des dossiers épineux tant sur le plan régional qu’interne. La question du consensus entre Aoun et Hariri est toujours d’actualité. Ce compromis suffira-t-il pour sauver le Liban des séquelles de la guerre qui a enflammé ses frontières et pour régler ses crises internes ? Ou bien ce compromis se limitera-t-il à sauvegarder l’élite politique qui n’a pas trouvé d’autres alternatives ?
En tout cas, ce compromis n’a pas été facile. Raison pour laquelle les interprétations de ce changement de cap du chef du Courant du futur, Saad Al-Hariri, ont été multiples. Celui-ci avait effectivement refusé pendant plus de deux ans l’élection de Aoun à la présidence. Ces interprétations sont mêmes contradictoires concernant la vision du Hezbollah, d’une part, et celle du Courant du futur, d’autre part. Le Hezbollah a toujours campé sur ses positions soutenant l’élection de Aoun et refusant tout changement, même lorsque Hariri a essayé de mêler les cartes et de présenter un autre candidat du clan du Hezbollah, Soliman Frangié. C’est pourquoi la première interprétation va jusqu’à prétendre que le Hezbollah a battu le Courant du futur et lui a imposé l’élection du candidat qu’il voulait depuis le départ. Une autre interprétation se rapporte à la présence iranienne. Hariri aurait voulu reculer face à la tempête iranienne qui se déchaîne dans la région jusqu’à ce qu’elle se calme et que certaines données changent. Il ne voulait pas que son courant reste éloigné de la nouvelle équation où l’Iran joue un rôle important.
Selon la deuxième interprétation, Hariri tente de disloquer la coalition entre le plus grand courant chrétien (celui de Aoun) et le Hezbollah, ou du moins de réduire son plafond. L’interprétation objective se trouve peut-être à distance égale entre ces deux interprétations auxquelles deux autres facteurs importants viennent s’ajouter. Premièrement, Hariri aurait craint que les chrétiens en colère, vu l’absence d’un président qui les représente selon l’équation confessionnelle, ne fassent porter à son courant la responsabilité du recul de leur position dans cette équation. Raison pour laquelle son initiative est intervenue au moment où la colère chrétienne a commencé à s’amplifier menaçant de troubles internes. Deuxièmement, Hariri est préoccupé par le destin des sunnites du Liban après ce qui leur est arrivé en Iraq et en Syrie. Il aurait alors jugé plus sage d’améliorer les relations avec les chrétiens à travers le consensus qui a permis l’élection de Aoun. Hariri aurait aussi réussi à avorter le plan du Hezbollah. Ce dernier voulait consacrer l’état de vide présidentiel jusqu’à la fin de la période du Conseil des députés qui devait intervenir dans 4 mois. Dans ce cas, le Hezbollah aurait atteint son objectif. Celui d’inviter à une conférence pour redistribuer les quotas confessionnels pour que les chiites obtiennent un plus grand quota, partant du fait qu’ils représentent aujourd’hui une part plus importante de la population qu’en 1943.
Le Liban se trouve donc devant un consensus fragile entre les différents acteurs de l’élite politique et chacun tente de réaliser ses intérêts sans entrer dans des aventures douteuses. Le consensus dans ce cas vise à sauver l’élite politique et garantir sa survie sans atteindre pour autant le stade d’une entente autour des principales causes sujets de différends.
Il est donc tout à fait logique de se demander si la sauvegarde de l’élite politique peut sauver le Liban. Tout pas vers l’avant mène certainement à une amélioration de la conjoncture et relance les espoirs de sauver le Liban. Aoun a d’ailleurs relancé ces espoirs dans son discours d’investiture. Il a adopté une position équilibrée, et a promis de rester en position d’arbitre, selon la Constitution, et de ne pas faire partie des conflits politiques. Il a également confirmé l’importance d’adopter une nouvelle loi de vote assurant une représentation équitable avant la date des législatives. Son engagement le plus important était d’écarter le Liban des conflits extérieurs pour ne pas continuer à s’enliser dans un champ de mines.
Bien que ce dernier engagement soit plus que nécessaire pour sauver le Liban, il demeure le plus difficile avec l’implication de nombreuses parties libanaises dans la guerre syrienne.
Partant, sauver le Liban restera difficile sans un minimum d’entente autour de la crise syrienne au niveau régional et autour de la loi de vote du Conseil des députés au niveau local. Tout dépendra de la volonté de Aoun et de Hariri de coopérer pour entamer le processus de sauvetage longuement attendu.
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