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L’Université et la comédie parlementaire

Dimanche, 23 octobre 2016

Les tentatives d’appliquer la Constitution, une mission qui devrait être au coeur du travail parlementaire, se déroulent toujours en dehors de l’hé­micycle. Et c’est là l’une des curio­sités du cirque installé au parlement. La deuxième session a débuté mais le parlement continue à ignorer sa mission historique pour laquelle il a été élu.

En mettant en pratique une disposi­tion primordiale de la Constitution, le recteur de l’Université du Caire, Gaber Nassar, a devancé tous les députés de ce parlement bouffon, qui n’ont pas encore élaboré la loi rela­tive à son application. Il s’agit de l’article interdisant la discrimination fondée sur la religion. Le professeur Nassar a pris la décision de suppri­mer la mention de la religion sur tous les formulaires de l’université, et qui divisaient les étudiants entre musul­mans et chrétiens.

Le recteur de l’Université du Caire, qui a lui-même participé à la rédaction de la Constitution, n’a pas attendu que le parlement se réveille de son sommeil pour s’atteler à la tâche historique qui consiste à pro­mulguer les lois complémentaires à la Constitution. Il a utilisé ses préro­gatives légales pour prendre cette décision, dans une première initia­tive du genre pour appliquer la Constitution à cet égard. Et dans une démarche louable, le syndicat des Ingénieurs, présidé par Tareq Al-Nabarawi, a décidé d’emboîter le pas à l’Université du Caire, deve­nant ainsi le premier syndicat à appliquer ce principe constitution­nel.

L’article 53 de la Constitution sti­pule que : « Les citoyens sont égaux devant la loi : égaux en droits, en libertés et en devoirs publics, sans discrimination de religion, de croyance, de sexe, d’origine, de race, de couleur, de langue, d’inva­lidité, de niveau social, d’affiliation politique ou d’appartenance géo­graphique, ou toute autre raison. La discrimination et l’incitation à la haine sont des crimes pénalisés par la loi. L’Etat assure les mesures nécessaires pour éliminer toutes formes de discriminations, et la loi prévoit la création d’un commissa­riat indépendant à cet effet ».

Je me rappelle l’anecdote rendue célèbre par notre plus grand écrivain Naguib Mahfouz. Celui-ci a obtenu une bourse d’études à l’étranger qui lui fut interdite par l’administration de l’université à cause de son nom « qui semblait chrétien ». Cet inci­dent, qui n’est pas unique en son genre, montre une tendance domi­nante dans la société. Ce genre d’in­cident a dû traverser l’esprit du rec­teur de l’Université du Caire, alors qu’il prenait sa décision historique. J’espère que cette décision ne sera pas retirée ou ignorée après que le professeur Nassar quitte son poste l’année prochaine.

L’article constitutionnel susmen­tionné prévoit la création d’un com­missariat concerné par la lutte contre la discrimination. Le parlement devait promulguer la loi relative à sa mise en place, ce qu’il n’a pas fait. Comme si le parlement ne souhaitait pas la fin de la discrimination et encore moins, l’application de la Constitution.

La députée Anissa Hassouna a pro­posé un projet de loi à cet effet. Or, sa discussion a été ajournée, bien que ce soit en rapport avec une loi complé­mentaire à la Constitution et dont la promulgation est exigée par celle-ci.

Si la Constitution criminalise la discrimination et l’incitation à la haine, de tels actes resteront non pénalisés tant que la loi prévoyant les peines n’aura pas été promulguée.

Et il n’y a pas que l’article 53 qui insiste sur l’égalité des citoyens et qui criminalise la discrimination. L’article 2 aussi souligne l’importance d’éla­borer des politiques et des pro­grammes susceptibles d’assurer l’égalité et de stopper la discrimina­tion.

Le projet de loi présenté par la députée Anissa Hassouna précisait les prérogatives qui permettraient audit commissariat de réaliser ses objectifs en matière de lutte contre la discrimi­nation. Dans son projet, elle a proposé que les membres de ce commissariat soient égaux à ceux des gouvernorats, chacun présidant une antenne locale. Le projet de loi insiste sur l’indépen­dance des membres du commissariat dans l’exercice de leurs fonctions, et les soumet aux mêmes restrictions que les ministres en termes de conflits d’intérêts. Il souligne l’autonomie budgétaire du commissariat, tout en précisant ses ressources.

A ce propos, j’ai reçu une lettre importante du juge international Fouad Riyad :

« Il est désolant de constater que les institutions de l’Etat n’ont pas pris soin (ou peut-être n’ont-elles pas eu le courage) de supprimer la case consacrée à la religion sur les papiers officiels. Et ce, malgré les textes des Constitutions égyptiennes successives et les traités internatio­naux contraignants pour l’Egypte et qui interdisent la discrimination basée sur la religion ou le sexe, et en dépit de la souffrance que les Egyptiens endurent à cause de cette discrimination pratiquée officieuse­ment, sinon officiellement, dans de nombreux établissements de l’Etat.

A ce propos, me vient à l’esprit la tentative que j’ai faite dans les années 1990 alors que je présidais la Société égyptienne de droit interna­tional. J’avais essayé de supprimer la mention de la religion sur les car­nets de la société, ce qui se heurta à un refus officiel. Peut-être parce qu’à l’époque, les Frères musulmans jouissaient d’un vrai pouvoir, un pouvoir qui refusait de reconnaître l’Egypte en tant qu’Etat uni, comme on l’a découvert plus tard.

Aujourd’hui, il n’y a pas lieu de maintenir ces mêmes pratiques inconstitutionnelles qui prônent la division. Je profite de la sage déci­sion du recteur de l’Université du Caire, celle qui vise à faire cesser la discrimination parmi les étudiants, pour tirer la sonnette d’alarme et attirer l’attention sur le danger exis­tentiel qui menace l’Egypte et qui est le produit de cette conduite irres­ponsable qui alimente la discrimina­tion parmi les citoyens dans les divers domaines de leur vécu. Je le fais poussé par mes propres observa­tions et par mon expérience profes­sionnelle de juge au Tribunal inter­national pour les crimes de guerre, qui m’a permis d’observer de près la dislocation d’un grand pays comme la Yougoslavie en trois entités. Ce fut le résultat des appels à la haine, de l’animosité entre les groupes reli­gieux et de l’oppression des plus faibles par les plus forts.

Je suis tout aussi alarmé face à la montée de la haine et des appels à la violence de la part de la majorité musulmane à l’égard de la minorité chrétienne, une attitude qui rend la coexistence d’autant plus difficile, sinon impossible, et dont j’ai été témoin durant mes voyages aux quatre coins de l’Egypte en tant que président d’une commission d’en­quête, et auparavant comme membre du Conseil national des droits de l’homme.

Il est temps que l’Etat prenne une position ferme pour mettre un terme à cette discrimination choquante, deve­nue partie intégrante de l'Egypte. L’Etat et les citoyens doivent éliminer par tous les moyens le fanatisme reli­gieux qui nourrit cette discrimina­tion ».

Parallèlement, l’institution de la sauvegarde de la Constitution a publié un communiqué exprimant son sou­tien aux décisions de l’Université du Caire et du syndicat des Ingénieurs, et appelant les autres institutions à les suivre. Mais où en est le parlement par rapport à ces décisions ?.

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