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L’échec du Printemps arabe

Lundi, 05 septembre 2016

Les houthis ont confirmé leur emprise sur Sanaa. C’est ainsi que le Yémen vient rejoindre la Libye et la Syrie marquant la trans­formation du Printemps arabe en un automne absolu. Cinq ans après la première étincelle du Printemps arabe, pourquoi la majorité des pays concernés comme la Syrie, la Libye et le Yémen n’ont-ils pas réussi le processus de changement politique vers l’instauration d’un régime démocratique et libéral ? Un régime qui réalise les ambitions des jeunes qui ont lancé les manifestations dans les rues des capitales. Pourquoi le revirement démocratique a-t-il échoué dans ces pays bien qu’il ait réussi dans d’autres régions du monde comme les pays de l’Europe de l’Est dans les années 1990 et les pays de l’Amérique latine dans les années 1980 ? Pourquoi les pays du Printemps arabe n’ont-ils pas réussi la transformation des régimes militaires ou autoritaires en régimes démocratiques ? Pourquoi sont-ils devenus des terrains de guerres civiles dont il est difficile de prédire la fin ? Ces pays vont-ils virer dans le chaos en l’absence totale des institutions de l’Etat ?

Nombreuses sont les raisons qui expliquent cet état de choses. Ces raisons n’émanent sûre­ment pas d’une spécificité de la région arabe qui la distingue des autres régions du monde. Elles émanent essentiellement de la nature des régimes dans ces pays.

Dans son livre Competitive authoritarianism, Steven Levitsky fait la différence entre divers genres de régimes autoritaires. Il existe des régimes autoritaires qui permettent un mini­mum de compétitivité électorale, de libertés politiques et des médias. Dans ces régimes, il se peut que les élections soient falsifiées ou que les opposants politiques soient incarcérés, mais il existe un degré de libéralisme dans le com­portement vis-à-vis de l’opposition et dans la gestion de la scène politique. Par ailleurs, il existe des régimes autoritaires qu’il a qualifiés d’hégémoniques, des régimes sous lesquels les résultats des élections, s’il y a des élections, sont connus d’avance et où il n’existe aucun pluralisme politique. Dans le premier cas, les chances d'un changement démocratique sont assez grandes, alors qu’elles sont très faibles dans le deuxième cas. Même s’il y a un change­ment, il mène à la consolidation du régime en place ou à un pouvoir militaire.

La théorie de Levitsky est tout à fait appli­cable aux pays du Printemps arabe. Les régimes autoritaires en Syrie et en Libye étaient des plus fermés et des plus totalitaires à l’échelle arabe, et peut-être même à l’échelle mondiale (à l’ex­ception de la Corée du Nord). Pour ce qui est du Yémen, il était régi, sous le pouvoir de Saleh, par une dictature douce par rapport à la Syrie et à la Libye. Cependant, ce régime a acquis des caractéristiques dynastiques, car la succession héréditaire était déjà en marche avant le déclen­chement de la révolution. De plus, ce régime est resté au pouvoir pendant de longues décen­nies, ce qui a mené à la décomposition des institutions de l’Etat qui ont acquis un caractère clanique ouvrant les portes à la consolidation des réseaux d’intérêts. Le principal souci de ces réseaux était de préserver, par tous les moyens, le régime au pouvoir, même aux dépens des hauts intérêts de l’Etat qui avaient pratiquement disparu. C’est ainsi que la famille au pouvoir déterminait ces hauts intérêts.

Les révolutions arabes se sont alors fortement heurtées à des structures despotes et des régimes peu soucieux de démocratisation. Bien au contraire, ces régimes ont joué un rôle destructif non seulement en entravant le processus de chan­gement, mais aussi en le détruisant à travers des organisations paramilitaires, comme ce fut le cas avec Daech en Syrie et en Iraq, avec le Hezbollah en Syrie, au Liban et en Iraq, et avec les Houthis au Yémen. Toutes ces organisations ont été créées de manière directe ou indirecte par les régimes politiques dans l’objectif d’entraver le processus de changement. C’est pourquoi ces pays sont entrés dans un état de chaos politique et militaire. Ce qui a ouvert la porte à des guerres civiles entre des structures sociales déjà fragiles formées d’ap­partenances tribales et confessionnelles.

Le dernier facteur qui a contribué à l’échec du processus de changement politique dans les pays du Printemps arabe est l’absence d’institutions régionales capables de diriger, ou du moins de parrainer le processus de changement, un rôle qu’a assuré l’Union européenne en Europe de l’Est. En effet, la Ligue arabe est une organisa­tion traditionnelle qui n’est pas concernée par tel ou tel processus, et d’autant moins par l’imposi­tion de ce processus en tant que réalité politique. Par conséquent, elle a laissé chaque pays prendre sa propre voie. Le processus de changement devient encore plus difficile à cause de l’hésita­tion de la communauté internationale à intervenir dans les conflits militaires et les guerres civiles. Malheureusement, il paraît évident aujourd’hui que la guerre civile est l’enfant légitime des régimes autoritaires qui ont gouverné nos pays arabes pendant de longues décennies.

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