Des mutations importantes surviendront inéluctablement en Turquie en conséquence du coup d’Etat raté. Les mesures répressives et despotes adoptées contre toute personne jugée antagoniste aux orientations du pouvoir du chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdogan, en sont la preuve certaine. Ceci confirme également que le régime qui a incité le peuple à sortir dans les rues pour défendre la démocratie est déterminé à commettre les pires attaques contre la démocratie.
Sans entrer dans les détails de ce coup d’Etat dont les informations arrivent à un rythme accéléré, il est difficile de surmonter la réalité que ce coup d’État qui n’a duré que huit heures n’a nullement ébranlé les sentiments des dirigeants et des figures de proue de ce régime. Il est également difficile de surmonter l’ampleur des mesures répressives adoptées contre les institutions juridiques et les dirigeants de l’armée. Mais surtout contre ce que le régime turc appelle « la société parallèle », soit les partisans et les sympathisants du penseur islamiste éminent Fethullah Gülen en Turquie. Bien plus, la Turquie a appelé les Etats-Unis à l’extrader vers Ankara. Ces réalités confirment que le régime turc n’ignorait pas totalement ce coup d’Etat, qu’il suivait ses détails les plus importants et qu’il s’était préparé pour l’avorter ou du moins pour minimiser ses pertes, tout en oeuvrant à l’exploiter pour éradiquer tous les foyers de l’opposition au leadership despote du chef de l’Etat.
Par conséquent, ce renversement non seulement donnera les mains libres au régime pour anéantir l’opposition et exercer les pires formes de despotisme, sous le prétendu couvert de la protection de la démocratie, mais il mènera aussi au renforcement de ses nouvelles orientations régionales. En effet, celles-ci représentaient un changement radical dans les politiques et les coalitions régionales adoptées durant les cinq dernières années, notamment en ce qui concerne la crise syrienne et ses répercussions, la protection accordée à de nombreuses factions de l’opposition syrienne dans leurs différentes appartenances avec leur violente hostilité au régime de Bachar Al-Assad, leur insistance à renverser son régime et à entrer dans des heurts violents avec ses alliés, notamment la Russie et l’Iran. Il insiste également sur le fait d'empêcher les Kurdes syriens, leurs organisations politiques et leurs factions militaires d’obtenir « une zone régionale kurde » dans le nord de la Syrie.
Ces politiques ont engendré d’énormes pertes. Outre les dépenses causées par le coût exorbitant du soutien de l’opposition syrienne et de l’accueil de milliers de réfugiés syriens, la Turquie a essuyé de grandes pertes à cause du gel de ses relations économiques et commerciales avec la Syrie. Elle est également entrée dans des heurts violents avec la Russie après avoir abattu un avion russe à la frontière turco-syrienne. Ce qui lui a valu des sanctions russes qui ont eu un impact pénible sur l’économie turque. Par ailleurs, la Turquie a assumé les pires attaques terroristes, des attaques attribuées à Daech. Un fait qui a placé Erdogan et son régime dans une impasse l’obligeant à adopter d’autres voies d’action :
Premièrement, présenter des excuses à la Russie et normaliser les relations avec elle. Réactiver la coalition avec Israël, car la Turquie a réalisé la présence croissante de la Russie en Syrie et dans les pays du Machreq arabe au détriment de l’influence américaine. Deuxièmement, à la lumière du rapprochement israélo-russe, Erdogan a réalisé l’ampleur des ententes américano-russes relatives à la crise syrienne qui vont généralement dans l’intérêt des Russes. Ce qui l’a incité à accélérer l’amélioration des relations avec la Russie et Israël, mais aussi à adopter deux autres voies. Faire monter la discorde avec les Etats-Unis en raison de sa coalition avec les ennemis kurdes en Syrie et de leur soutien pour leurs ambitions pour une « fédération kurde au nord de la Syrie ». Déclarer l’intention officielle par la voix du premier ministre de reprendre les relations avec le régime d’Assad en Syrie au détriment de ses engagements envers l’opposition syrienne.
Les évolutions du coup d’Etat raté ont dévoilé l’ampleur des tensions régissant les relations de la Turquie avec les Etats-Unis. Ceci s’est révélé dans le fait que Washington a pris du temps à annoncer une position tranchée sur ce coup d’Etat. Ceci s’est également reflété dans le fait que la Turquie a fermé son espace aérien, ce qui a empêché les attaques aériennes américaines contre Daech à partir de la base aérienne d’Incirlik en Turquie et l’incarcération du général Bakir Erkan, dirigeant de la base turque d’Incirlik. De plus, Ankara a demandé à Washington d’extrader l’opposant turc Fethullah Güllen. Mais John Kerry a déclaré que cela ne sera possible que si Washington reçoit officiellement des accusations nettes confirmant l’implication de Gülen dans le coup d’Etat. Ce qui signifie que Washington n’a pas l’intention d’extrader Gülen, comme l’espère Ankara.
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