A l’image de leur action en Syrie et en Iraq, les Etats occidentaux souhaitent intervenir militairement en Libye contre l’Etat Islamique (EI). Ils n’attendent qu’une invitation du gouvernement d’union nationale, formé en décembre dernier, pour venir en aide à l’armée et aux milices qui lui sont alliées, contre les extrémistes de Daech.
L’impatience des Occidentaux s’explique par leurs inquiétudes face au danger que représente l’EI qui, bien implanté en Libye, se trouve aux portes de l’Europe. Plusieurs attentats terroristes revendiqués par Daech ont été effectivement commis récemment sur le sol européen. Les capitales occidentales craignent en outre que des militants de l’EI ne s’infiltrent parmi les réfugiés qui affluent en Europe via la Libye, devenue plaque tournante, avec la Syrie et l’Iraq, de l’émigration clandestine en raison du chaos sécuritaire et politique qui y règne. L’objectif des Occidentaux est d’empêcher, avant qu’il ne soit trop tard, que ce riche pays pétrolier ne devienne un bastion de l’organisation extrémiste, posant davantage de menaces aux pays voisins et aux intérêts de l’Occident. Les militants de Daech en Libye avaient déjà, à plusieurs reprises, proféré des menaces à l’encontre des Etats occidentaux, notamment l’Italie, l’Etat européen le plus proche de ce pays du nord de l’Afrique.
Le danger est d’autant plus réel que les frappes aériennes de la coalition internationale menée depuis septembre 2014 par les Etats-Unis contre l’EI en Syrie, puis en Iraq, ainsi que les frappes de la Russie en Syrie, ont contraint des centaines de militants de Daech à fuir ces deux pays pour trouver refuge en Libye, accentuant la menace qui s’y pose. Selon le chef du commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM), le général David Rodriguez, le nombre des militants de Daech en Libye a doublé durant les 12-18 mois derniers, passant de 2 000-3 000 à 4 000-6 000 combattants. En même temps, leur nombre en Syrie et en Iraq a diminué dans la même période, sous l’effet des bombardements, de 20 000-33 000 à 19 000-25 000. Prenant la mesure de cette réalité, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie mènent en Libye, selon des informations concordantes, des actions clandestines de forces spéciales qui visent des cadres et des dirigeants de l’EI. Les objectifs sont de priver l’organisation terroriste de certains de ses principaux commandants militaires, de casser le moral de ses troupes en leur montrant qu’elles ne sont pas à l’abri des attaques des Occidentaux. Ce qui empêche jusqu’ici les Occidentaux de mener ouvertement des opérations militaires est le manque de couverture juridique qui ne peut être assurée que par un appel à l’aide d’un gouvernement légitime dûment investi. C’est chose presque faite par la formation récente d’un gouvernement d’union nationale. Mais ce gouvernement lui manque encore la reconnaissance des deux camps rivaux, islamiste (à l’ouest) et anti-islamiste (à l’est) qu’il peine à obtenir en raison de multiples divergences et de luttes de pouvoir.
Même si elle est réelle, la menace de l’EI en Libye est à relativiser. Daech a pu gagner du terrain et se constituer des fiefs dans le Machreq arabe, en proie aux conflits armés, en jouant sur les lignes de fracture sunnite/chiite, notamment en Iraq, où les divisions sectaires sont claires et exacerbées depuis la chute de Saddam Hussein et où les communautés religieuses/ethniques se trouvent en outre concentrées dans des régions géographiques bien déterminées : les chiites au sud, les sunnites au centre (bastion de l’EI) et les Kurdes au nord. Ces divisions existent aussi en Syrie, même si elles sont moins nettes, car la majorité de la population est sunnite arabe (70 %), mais le pays est gouverné par la minorité alaouite (10 %) qui est une branche du chiisme. S’y ajoute la minorité kurde, sunnite mais non arabe (10 %), concentrée dans le Nord.
En Libye, en revanche, la donne est tout autre. Bien qu’une composante berbère existe et se manifeste à travers les divisions tribales, la majorité écrasante de la population est sunnite (97 %). Cette réalité a fait que le terrain libyen a été plus hostile à Daech, qui a souvent rencontré de sérieuses résistances en provenance d’autres milices islamistes, et pas seulement du camp anti-islamiste à l’est du pays, sous la houlette du chef de l’armée du gouvernement de Tobrouk, Khalifa Haftar. Ainsi, l’EI a été chassé le 20 avril de son fief dans la petite ville côtière de Derna (est) par une coalition islamiste rivale du « Conseil de Choura des Moudjahidine de Derna », qui appartient à la mouvance d’Al-Qaëda. Le bastion majeur de Daech en Libye est la ville de Syrte (centre), région natale de l’ancien dirigeant Muammar Kadhafi. Pour dominer dans cette province, le mouvement extrémiste a notamment joué sur la désaffection et la marginalisation des partisans de l’ancien colonel libyen. La même tactique a été éprouvée dans une plus large mesure en Iraq auprès des partisans « sunnites » de l’ancien régime. Mais l’EI manque en Libye de cette dimension sectaire qui a fait ses succès en Iraq et en Syrie .
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