A quelques mois de l’expiration du dernier mandat présidentiel de Barack Obama, les Etats-Unis poursuivent la modification progressive de leur politique vis-à-vis de l’Egypte. Ainsi, l’Administration américaine a demandé au Congrès, fin février, de supprimer toutes les conditions attachées à l’octroi de l’aide militaire à l’Egypte. Ces conditions, imposées par le Congrès après le soulèvement populaire du 25 janvier 2011, exigent du progrès vers la démocratie et le respect des droits de l’homme. La loi qui les impose autorise toutefois l’Administration à les outrepasser si les intérêts américains l’exigent. Cette permission a été utilisée par l’ancienne secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, lors du premier mandat d’Obama et par l’actuel chef de la diplomatie, John Kerry, pendant le second mandat présidentiel. Le changement de position américaine, exprimé par Kerry devant le Congrès le 24 février, démontre la conviction de Washington de l’inanité, désormais prouvée, de ces conditions. En effet, les menaces de réduction ou de suspension de l’aide militaire n’ont jamais modifié la politique du régime égyptien. Le 9 octobre 2013, Washington a suspendu la livraison des gros matériels d’armement, à la suite de la dispersion violente des deux campements des Frères musulmans au Caire le 14 août de la même année. Constatant le peu d’effet de cette mesure, l’Administration américaine est revenue sur sa décision et a annoncé la reprise des livraisons le 31 mars 2015.
Cette volte-face s’expliquait aussi, et surtout, par les développements négatifs survenus depuis la suspension dans le monde arabe. L’exacerbation des conflits en Syrie, en Libye, en Iraq et au Yémen, et la montée en puissance de l’extrémisme religieux et de la menace terroriste, représentés notamment par l’Etat islamique, ont obligé les Etats-Unis à modifier leur position en faveur des puissances régionales qui luttent contre l’EI, dont l’Egypte. Pour convaincre ses interlocuteurs du Congrès de la nécessité de supprimer les conditions attachées à l’aide militaire, le secrétaire d’Etat a invoqué la propagation de la violence et du terrorisme dans un monde qui, selon lui, est devenu « sans frontières ». Il en a cité l’exemple de l’attentat terroriste perpétré par un couple et inspiré de Daech, à San Bernardino, en Californie, le 2 décembre dernier, faisant 14 morts et 22 blessés graves. En résumé, Washington croit aujourd’hui que le terrorisme n’est plus confiné au monde arabe et qu’il atteint dorénavant l’Occident.
Pour justifier sa demande de supprimer les conditions liées à l’aide militaire, Kerry a également souligné devant le Congrès la volonté des Etats-Unis de garder son influence en Egypte face à une forte compétition internationale. Il a notamment cité l’aide financière massive apportée au régime égyptien par trois monarchies du Golfe, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït, et qui a dépassé les 20 milliards de dollars depuis la destitution du président Mohamad Morsi en juillet 2013. Le chef de la diplomatie américaine a fait la comparaison entre cette importante aide et celle fournie chaque année par les Etats-Unis (1,3 milliard de dollars d’assistance militaire et 150 millions d’aide économique) en se posant la question suivante à l’adresse des membres de la commission des allocations extérieures, chargée de l’aide : « Qui aura plus d’influence ? » sur l’Egypte.
Le changement de la position américaine sur l’aide militaire à l’Egypte est le fruit d’une réflexion bien mûrie. Divers développements le prouvent. Outre la levée de la suspension de livraison des gros matériels militaires, décidée le 31 mars dernier, les Etats-Unis ont repris le « dialogue stratégique » avec l’Egypte, interrompu depuis 2009, lors de la visite de Kerry au Caire, en août dernier. Cette visite indiquait clairement que Washington était en passe d’abandonner la politique du bâton, qui n’a pas fait ses preuves, au profit de celle du dialogue pour régler ses problèmes avec Le Caire. Ce changement de conduite était d’autant plus nécessaire que Washington a un besoin grandissant de ses alliés régionaux en raison de la montée des menaces à ses intérêts, au même moment où il refuse d’abandonner sa politique, mise en place depuis l’arrivée au pouvoir d’Obama en 2009, de retrait des affaires du monde arabe et du Moyen-Orient et de refus de toute implication militaire dans les conflits de la région.
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