La décision de l’Arabie saoudite de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran constitue une grande surprise. Cette décision a été prise le soir du 3 janvier, jour où le consulat et l’ambassade saoudiens à Téhéran et à Machhad ont été attaqués et incendiés. Et cette décision a été suivie par une autre stipulant la suspension des relations commerciales et des lignes aériennes entre les deux pays. Selon le ministre saoudien des Affaires étrangères, d’autres sanctions peuvent être adoptées.
Les décisions saoudiennes ont eu un fort impact dans les interactions entre l’Iran et les pays du Golfe, et sur les relations irano-arabes de façon générale. En effet, de nombreux Etats arabes ont condamné les attaques iraniennes contre l’Arabie saoudite. Le Soudan, Bahreïn, la Somalie et Djibouti ont effectivement rompu leurs relations avec l’Iran, d’autres comme les Emirats arabes unis ont abaissé le niveau des relations diplomatiques, et des Etats ont convoqué l’ambassadeur saoudien comme le Koweït et le Qatar. A cause de l’effet de surprise, on a eu l’impression que la rupture des relations diplomatiques et l’affrontement médiatique et diplomatique entre les responsables des deux pays ne sont que le début d’un affrontement violent et direct, ou autrement dit, le début d’une guerre. Certains sont même allés jusqu’à mettre en garde contre une guerre confessionnelle entre sunnites et chiites. De plus, tout le monde est d’accord sur les répercussions négatives de cette tension quant au processus politique concernant la Syrie. Or, le prince héritier et ministre saoudien de la Défense, Mohamad Bin Salman, a nié la probabilité de l’engagement de l’Arabie saoudite dans une guerre contre l’Iran, considérant la guerre comme une catastrophe pour la région « et celui qui y pense manquerait de raison », selon ses déclarations dans The Independant le 4 janvier. Et deux jours après, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohamad Javad Zarif, a envoyé un message au secrétaire général des Nations-Unies assurant que son pays ne désirait pas accentuer la tension avec l’Arabie saoudite et ses autres voisins dans la région du Golfe arabe, réclamant à Riyad d’arrêter ce qu’il a appelé le soutien des terroristes et d’écouter la voix de la raison. Ce message semble précisément être adressé à la position saoudienne soutenant les groupes syriens armés qui s’opposent au régime de Bachar Al-Assad, qui est à son tour fortement soutenu par l’Iran. Le fait de nier la probabilité de la guerre signifie que les deux pays sont parfaitement conscients de ses répercussions catastrophiques que ce soit sur leurs intérêts directs ou sur la région, voire sur l’économie mondiale.
Avec l’éloignement de l’éventualité de la guerre, il est fort probable que l’Arabie saoudite continue à s’attirer le soutien politique et poursuit l’affrontement médiatique et politique comme un moyen de pratiquer plus de pression sur l’Iran pour l’obliger à atténuer sa politique d’expansion dans la région arabe et plus particulièrement la région du Golfe, à respecter les principes politiques de bon voisinage stipulés dans les différents accords, et à arrêter de former et de financer des organisations chiites dans les pays arabes fidèles à Téhéran. Ces conditions ont été citées par le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al-Joubeir, en réponse à la proposition de certains Etats, comme la Russie et la Turquie, d’intervenir comme médiateurs entre les deux pays afin d’atténuer la tension entre eux.
Or, les conditions saoudiennes nécessitent des changements structurels énormes dans la politique étrangère iranienne. Chose difficile à réaliser dans un avenir proche, car la structure du pouvoir en Iran est formée de 2 courants. Le premier, qui est le plus répandu dans les cercles de prise de décision, directement parrainé par le guide spirituel, continue à penser que l’exportation de la révolution iranienne dans la région et le tissage d’un réseau d’intérêts avec les communautés chiites dans les différents pays loin des cadres officiels garantissent plus de force à l’Iran. Et que c’est la politique de Téhéran adoptée pendant les 3 dernières décennies en Iraq, en Syrie, au Liban et au Yémen qui lui a permis de dépasser les politiques et positions antagonistes exercées par l’Occident sous la direction des Etats-Unis. Et auxquelles ont secrètement participé des Etats alliés comme l’Arabie saoudite et Bahreïn. Selon ce courant, la dernière position saoudienne est une tentative de gâcher les répercussions positives de l’accord nucléaire avec l’Occident et qui procure à l’Iran plus de pouvoir au niveau régional et mondial.
Quant au second élément, il est formé de ce qu’on appelle les réformistes et qui ont peu d’influence même s’il est dit que le président iranien, Hassan Rohani, appartient à ce courant. Les réformistes penchent vers l’intégration de la notion de l’Etat dans les institutions iraniennes aux niveaux intérieur et extérieur. Ceux-ci pensent qu’il est temps que leur pays allège son intervention dans les affaires des pays voisins et profite de l’accord nucléaire pour dessiner une image positive de leur pays. Certains réformistes ont effectivement tenté d’atténuer les répercussions des attaques contre l’Arabie saoudite en annonçant que ceux qui les ont commises sont des fauteurs de troubles qui n’ont rien à voir avec les institutions officielles. Or, les réformistes participent avec le courant rigoriste dans la condamnation de l’Arabie saoudite pour avoir exécuté l’homme de religion chiite Nimr Al-Nimr.
A la lumière de la division du pouvoir en Iran, l’Arabie saoudite pense que les positions qu’elle a adoptées peuvent jouer un rôle préventif jusqu’à ce que les Etats du Golfe obtiennent des garanties iraniennes concernant l’arrêt de l’ingérence dans ses affaires. Et il est probable que les médiations internationales jouent un rôle dans l’instauration d’une formule acceptée par les deux parties, mais cela ne se réalisera pas dans un avenir proche .
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