J’ai eu l’occasion d’assister aux séances du dialogue national que ce soit celles tenues au palais présidentiel ou avec le Front du salut national. Abstraction faite de la nature des discussions — il n’est pas de mon ressort d’en dévoiler les détails — je pense que la porte est encore entrouverte pour de nouvelles initiatives dans l’objectif de mettre fin à la situation de polarisation et d’éloignement politique entre ceux qui appellent au dialogue et ceux qui refusent d’y participer. Dans ce contexte, j’ai donc décidé de prendre une initiative, tout en espérant qu’il y en aurait d’autres, afin de dépasser la crise actuelle de tension politique. Cette initiative a deux objectifs. Tout d’abord, je participe au dialogue national avec l’espoir qu’il s’élargira et deviendra utile. Ensuite, je penche du côté de la pensée qui réclame certains amendements sur les articles de la Constitution, sujet de différends, et qui refuse qu’une seule faction politique, quelle qu’elle soit, s’accapare du destin du pays. Tout ceci nécessite un dialogue national sérieux et franc, afin d’éviter les pires des scénarios. Le titre principal qui peut résumer la scène actuelle tout entière est : l’absence de confiance. Du côté du Front du salut national, il y a des doutes sur l’efficacité du dialogue et le respect de ses résultats. Ceux qui y participent et ne cessent d’appeler les forces politiques qui forment le Front à y participer estiment que leurs appels sont vains. Pour réactiver le dialogue, il faut réinstaller la confiance.
Mon initiative comprend 6 points. Premièrement, une reconnaissance échangée de la légitimité du pouvoir et de l’opposition, et de l’impossibilité de changer un pouvoir sans passer par les urnes. Il n’est pas question d’accuser l’opposition de traîtrise ou d’athéisme. On remarque que les deux parties sont d’accord sur ce point : les forces de l’opposition disent qu’elles ne tentent pas de renverser le président élu et ceux qui appellent au dialogue national disent que l’opposition est une partie essentielle de l’équation politique. Mais à mon avis, chez les deux côtés il y a des soupçons qui ne peuvent se dissiper que par la franchise qui doit précéder toute conciliation réelle.
Deuxièmement, il faut se débarrasser du sentiment de victoire en demi-teinte et de défaite partielle. Même si les urnes ont révélé un gagnant et un perdant, la réalité est qu’il n’y a ni perdant réel ni gagnant réel et que les deux sont dans une position difficile. Les partisans du « oui » ont réussi à faire passer le référendum, mais dans des conditions exceptionnelles qui ont mené à un climat politique qui souffre de polarisation, en plus de regards soupçonneux au niveau international et d’une conjoncture économique critique. Quant aux partisans du « non », ils n’ont pas réussi à faire tomber le projet de Constitution, bien qu’ils aient réussi à monopoliser le tiers des voix. Cependant, ils doivent agir selon les règles du jeu même si dans les dernières semaines un climat de baisse relative du soutien populaire à l’opposition s’est fait sentir.
Troisièmement, il faut élaborer une conception claire pour traiter les matières de la Constitution sujettes de différends et qui ont besoin d’être amendées. Cela passe par la mise en place d’un agenda pour la collecte des réclamations, leur classification et leur discussion. Puis celles-ci doivent être soumises à l’opinion publique avec un engagement présidentiel et un autre des forces politiques de soumettre ces articles au Parlement dès son élection. Ceci signifie que les partisans de la Constitution doivent être convaincus que certains articles doivent être amendés. Et que les opposants comprennent qu’il n’est possible d’amender qu’un nombre limité d’articles. En bref, il faut lever le niveau des concessions et baisser le niveau des ambitions.
Quatrièmement, il faut promulguer une loi électorale équilibrée, n’anéantissant pas les chances des petits partis de remporter des sièges, imposant une transparence et l’intégrité électorale et garantissant une surveillance du processus électoral dans toutes ses étapes : les candidatures, les campagnes, le décompte des voix et l’annonce des résultats. Et ce, en plus de la protection des catégories les moins représentées comme la femme, les coptes et les jeunes. L’absence d’une telle loi peut mener à encore plus de polarisation et de tensions politiques.
Cinquièmement, il faut ouvrir un dialogue autour du rôle du Conseil consultatif au cours de la prochaine phase en se mettant d’accord sur un agenda législatif qui réponde aux besoins essentiels. Et ce, sans trop élargir le nombre des projets de lois, un nombre qui inquiète certaines forces politiques qui craignent que les quelques mois au cours desquels le Conseil consultatif aura une responsabilité législative ne soient exploités pour faire passer des lois qui permettent au courant islamiste de s’accaparer de toutes les institutions de l’Etat, comme la loi sur les manifestations et sur l’organisation des médias. Ces lois nécessitent un dialogue profond effectué dans un environnement de stabilité politique. Ces lois doivent donc être reportées jusqu’à l’élection d’un nouveau Parlement.
Sixièmement, la nécessité d’élargir le dialogue national autour des causes qui dépassent la polarisation politique, avec en tête le refus de la violence dans toutes ses formes. L’état des institutions, de la loi et de la situation économique doit intéresser toutes les forces politiques. La présidence annonce toujours que le dialogue n’a pas de plafond alors que les forces de l’opposition penchent toujours pour un agenda élargi qui comprend les causes relatives à la nature du pouvoir, la relation avec l’opposition et les règles de l’action politique. Un compromis peut être trouvé. Enfin, il n’est pas question de situation de polarisation complète entre les deux parties puisque à l’intérieur de chacune d’elles il y a des variations. Ceux qui sont assis à la table des négociations sont de divers courants. Et parmi ceux qui ne participent pas au dialogue il y a aussi des opinions différentes en ce qui concerne les défis de la phase à venir.
Le dialogue est donc indispensable et il est possible que des points parmi ceux que j’ai cités soient déjà appliqués, mais je voulais exposer une conception complète et je pense que ceux qui sont assis à la table du dialogue national et ceux qui le refusent sont d’accord sur la majorité de cette conception. Reste la question de la gestion du dialogue.
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