Une désaffection publique croissante pour la politique ? Les résultats du premier tour des législatives ont en effet confirmé une baisse considérable du taux de participation qui, selon la Haute commission électorale, s’est établi à 26,6 % des 27 millions d’électeurs inscrits. La tendance devrait se confirmer au second tour, prévu du 21 au 23 novembre. Ce pourcentage est comparable à celui des dernières législatives, en novembre 2010, sous l’ancien président Hosni Moubarak (27,4 %), mais contraste avec celui des premières législatives tenues en décembre 2011 et janvier 2012, après le soulèvement populaire de janvier 2011 (62 %).
Le contexte dans lequel se déroule la consultation électorale explique donc en grande partie l’apathie ou l’engouement du public. Quelques facteurs ont certes contribué à ce résultat aux législatives de 2015 : une certaine lassitude du public qui a dû se rendre à plusieurs reprises aux urnes depuis 2011, ou difficulté, pour plusieurs, à comprendre un système électoral assez complexe divisé entre listes de partis et candidatures individuelles. D’autres rajoutent qu’un grand nombre de candidats inconnus du public a contribué à faire baisser le taux de participation. Mais tel était, voire davantage, le cas aux législatives de 2011, où toutes les figures de l’ancien régime avaient été écartées de la course pour laisser place à de nouveaux candidats, dominés par les courants islamistes.
Les jeunes, qui forment plus de la moitié du corps électoral, ont surtout brillé par leur absence. Désillusion et déception sont les mots-clés qui expliquent l’abstentionnisme des jeunes. Pour eux, le boycott du vote est une sorte de protestation contre des promesses économiques et politiques non tenues et un vécu qu’ils rejettent. Le manque de choix entre candidats, certes nombreux, mais qui appartiennent dans leur grande majorité à la même couleur politique, qui n’ont pas grand-chose à offrir ou ont des programmes vagues, explique aussi la faible participation. La coalition électorale Pour l’amour de l’Egypte, qui a raflé au premier tour les 60 sièges destinés aux listes de partis, ne dispose pas de programme clair, en partie à cause de l’inclusion sous sa bannière de plusieurs partis politiques. Sa réussite s’explique avant tout de par l’inscription sur ses listes de figures publiques bien connues et par le fait qu’elle est considérée comme proche du pouvoir et soutenue, en conséquence, par plusieurs médias. Ses principales composantes sont les partis des Egyptiens libres, L’avenir d’une patrie et le néo-Wafd, qui appartiennent au courant libéral de droite.
Leurs paires de gauche ont décidé de retirer leur liste de partis de la course aux législatives pour protester contre ce qu’ils avaient considéré comme des restrictions empêchant leur participation effective au scrutin, dont des dépenses élevées liées au dépôt de candidatures, qui leur font défaut. Ils ont décidé de se rabattre sur les candidatures individuelles pour garder une certaine représentativité au prochain parlement. Mais d’ores et déjà, ils savent qu’ils sont bien désavantagés par rapport aux riches hommes d’affaires, inscrits ou non sur les listes des partis de droite, qui disputent les sièges réservés aux indépendants. Le parti des Egyptiens libres, fondé par l’homme d’affaires Naguib Sawirès, est arrivé en première position au premier tour avec 41 sièges, dont 5 remportés sur la liste Pour l’amour de l’Egypte, et 36 sur celle des candidats indépendants. Les partis de gauche dénoncent un système électoral, dominé par le scrutin individuel, qui favorise les riches et l’usage de « l’argent politique » pour remporter les sièges de la Chambre des députés. « Acheter des voix » électorales est un phénomène qui a toujours existé dans les scrutins législatifs, accentué par les candidatures individuelles.
La non-participation de la confrérie des Frères musulmans, déclarée organisation terroriste en décembre 2013, et l’appel au boycott des législatives lancé par elle à l’adresse de ses partisans, contribuent à expliquer la faiblesse du taux de participation. N’empêche que l’ensemble du courant islamiste, toutes tendances confondues, souffre d’un net recul depuis la destitution de l’ancien président Mohamad Morsi, issu de la confrérie. L’année que celle-ci avait passée à la tête du pouvoir a porté énormément de préjudice aux forces islamistes, aujourd’hui sur la défensive. En témoignent les faibles résultats obtenus par le parti salafiste Al-Nour, seul survivant de la mouvance islamiste, qui doit son salut à son adhésion à la chute de Morsi.
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