L’Egypte et les Emirats Arabes Unis (EAU) sont en crise. La récente arrestation de 11 expatriés égyptiens dans cette richissime monarchie du Golfe a fait éclater au grand jour une sourde tension dans les rapports entre les deux pays depuis la chute en février 2011 du régime de Hosni Moubarak, un proche allié des EAU, et surtout depuis l’élection, fin juin, d’un président issu des Frères musulmans. Les rapports se sont encore détériorés depuis que l’ancien candidat à la présidentielle, Ahmad Chafiq, un proche de Moubarak, a trouvé refuge aux Emirats, après sa défaite face à Mohamad Morsi. Il fait face à des accusations de corruption en Egypte.
Les Emirats accusent les 11 détenus égyptiens d’avoir formé une « cellule » appartenant aux Frères musulmans, dont l’objectif est de former des islamistes locaux aux moyens de changer le régime en place. Voulant faire baisser la tension, la présidence égyptienne a dépêché une délégation de hauts responsables, composée de l’assistant du président aux relations extérieures et à la coopération internationale, Essam Al-Haddad, du chef du service de renseignements, le général Mohamad Chéhata, et du secrétaire du président, Khaled Al-Qazzaz, en vue d’obtenir la libération des détenus. Mais elle a reçu une fin de non-recevoir de la part du vice-président des EAU et de son premier ministre, Cheikh Mohamed Bin Rached Al-Maktoum, qui l’a informée que les prévenus seront traduits devant la justice de son pays.
Les dirigeants des EAU, relayés par les médias nationaux, n’ont jamais fait mystère de leur méfiance, voire leur hostilité, vis-à-vis de la doctrine et de la politique de la confrérie aux Emirats et dans les pays du Golfe en général. Cette vision a été clairement exprimée par le chef de la police émiratie, Dahi Khalfan, qui a accusé, à plusieurs reprises, les Frères musulmans de vouloir déstabiliser son pays ainsi que les autres monarchies du Golfe, qu’il a appelé à une action commune contre les visées supposées de la confrérie de renverser les régimes en place. Il est même allé jusqu’à prédire, en mars, que le gouvernement du Koweït serait le premier à être dominé en 2013 par les Frères musulmans, qui cherchent, selon lui, à prendre le pouvoir dans toutes les autres monarchies du Golfe d’ici à 2016. Lorsque le Koweït avait été le théâtre de larges manifestations de protestations en octobre, les médias de cet émirat ont accusé les Frères musulmans d’être derrière ces troubles. La confrérie en Egypte a nié toute implication dans ces événements, comme elle a rejeté les accusations émiraties de vouloir renverser le régime en place. Mais le ministre émirati des Affaires étrangères, Cheikh Abdullah bin Zayed Al-Nahyan, a justifié la défiance dont fait preuve son pays à l’égard des Frères musulmans, en avançant, début octobre, que ceux-ci ne reconnaissent pas « la souveraineté des Etats du Golfe » et que l’objectif de leur organisation est d’utiliser l’Egypte comme base pour s’emparer du pouvoir dans les autres pays de la région.
Depuis l’éclatement, début 2011, de soulèvements populaires dans plusieurs pays arabes et le renversement de régimes autocratiques au profit des Frères musulmans, comme en Egypte et en Tunisie, les Emirats et les pays du Golfe ont renforcé leurs mesures de sécurité et de contrôle contre les mouvements de protestation. Aux EAU, les autorités ont annoncé en septembre avoir arrêté une soixantaine d’islamistes appartenant à l’association d’Al-Islah (réforme), que les autorités affirment être liée aux Frères musulmans. Encouragée par le vent de « révolte » qui souffle sur le monde arabe et par l’arrivée d’islamistes au pouvoir en Egypte et en Tunisie, Al-Islah, qui cherche selon les autorités à établir un Etat islamique, a élevé la barre de ses demandes politiques pour réclamer la création d’un Conseil consultatif semi-élu. Les Emirats ne disposent pas de Parlement et les partis politiques y sont interdits.
A part le Qatar, qui entretient des liens étroits avec les Frères musulmans, les dirigeants des pays du Golfe voient avec suspicion l’accession au pouvoir de la confrérie en Egypte et ailleurs. Ils justifient leur attitude par la structure transfrontalière de la confrérie et par sa doctrine qui aspire à rétablir le système de califat. Ils craignent, malgré les dénégations du président Morsi, que les Frères musulmans ne cherchent à exporter « la révolution » dans leurs pays et à encourager les oppositions contre leur pouvoir. Les EAU et l’Arabie saoudite sont les deux pays du Golfe les plus suspicieux vis-à-vis des Frères musulmans. Ce sont eux qui ont rapidement répondu à l’appel du roi de Bahreïn lorsqu’il était confronté, dans la foulée des soulèvements populaires arabes, à une révolte chiite, en envoyant leurs troupes mater la contestation en mars 2011. Face aux révoltes qui ont secoué plusieurs pays arabes, les dirigeants du Golfe ont été prompts à tenter de contenir de possibles mouvements de protestation, à travers l’accroissement des fonds destinés aux projets sociaux. L’Arabie saoudite y a, par exemple, consacré 130 milliards de dollars, dont 67 milliards destinés à la construction de logements.
Il est difficile de savoir la part de vérité dans les accusations émiraties contre les Frères musulmans. Les autorités de ce pays semblent, par leur action et leur discours dans cette affaire, vouloir adresser des messages de fermeté à l’adresse de la confrérie, mais aussi de l’opposition interne, pour leur signifier qu’elles séviraient avec fermeté contre toute tentative de déstabilisation ou de changement du régime. Il est cependant peu probable que le nouveau pouvoir en Egypte se lance dans des actes de subversion chez ses voisins du Golfe, alors qu’il se démène pour asseoir son propre pouvoir politique et ramener le calme dans une situation politique instable et chaotique et tandis qu’il est embourbé dans une crise économique et financière aiguë, qui risque de se répercuter négativement sur sa popularité lors des prochaines législatives, attendues en mars. En outre, Le Caire compte énormément, pour sortir de cette crise, sur l’aide financière des monarchies du Golfe. L’Arabie saoudite avait promis 4 milliards de dollars sous forme de crédits à taux préférentiels, de dons et de dépôts à la Banque Centrale, alors que le Qatar s’était engagé à offrir 2 milliards de dollars. Quant aux Emirats, ils ont promis 3 milliards de dollars. Mais contrairement au Qatar et à l’Arabie saoudite, rien de l’aide promise par les Emirats n’a été envoyé jusqu’ici à l’Egypte. D’ailleurs, les EAU et l’Arabie saoudite ont chacun des investissements en Egypte de quelque 10 milliards de dollars. L’Egypte est également liée aux monarchies du Golfe par les millions d’expatriés qui y vivent et dont les virements bancaires sont cruciaux pour l’économie du pays. 1,5 million d’Egyptiens travaillent en Arabie saoudite, alors que 400 000 vivent aux Emirats. En revanche, les Etats du Golfe ont besoin du poids de l’Egypte pour contrer les velléités hégémoniques de l’Iran.
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