L’aspect le plus dangereux de la culture du chaos avec ses différentes composantes, comme la violence et la confusion, est non seulement le vacarme provoqué par les discours politiques et religieux, mais aussi les cris défigurant certains symboles, institutions et appareils de l’Etat.
En effet, des personnes extrémistes et idéologiquement très rigoristes ont lancé une offensive féroce pour défigurer des personnalités modérées de la prestigieuse institution d’Al-Azhar et ses éminents oulémas. Si nous portons un regard sur certains discours critiquant Al-Azhar et les Azharites, nous verrons que certaines forces islamistes, radicales et salafistes tentent d’infiltrer la prestigieuse institution religieuse qui a de tout temps brandi le flambeau du renouveau de la pensée islamique. La politique suivie consiste à rallier certains étudiants, cheikhs et prédicateurs azharites pour les positionner à l’avant-garde du changement politico-religieux au sein de la société et de l’Etat. En d’autres termes, elles les instrumentalisent pour diffuser leur idéologie politico-islamiste au sein de la société en leur faisant croire que ce message religieux incarne la modération et que la religion doit régir la vie des Egyptiens d’aujourd’hui, ainsi que celle des sociétés arabes et islamiques. Ainsi, il apparaît qu’Al-Azhar a de tout temps été la cible des courants de l’islam politique qui veulent à tout prix contrôler son discours et ses cadres. Si nous revenons un peu en arrière, à la Révolution de Juillet 1952, nous verrons comment le régime tyrannique de l’époque a essayé de rallier le soutien de cette institution et de ses leaders, afin de les transformer en véritables « porte-parole » faisant la promotion de ses politiques sociales et économiques. Al-Azhar a de tout temps été au coeur d’une relation impliquant la mosquée, l’université et le régime au pouvoir. Le pouvoir en place tente d’utiliser cette institution comme outil pour changer les idées et la pensée au sein de la société, ce qui a fait dire à un intellectuel de renom que la tyrannie politique engendre une tyrannie religieuse.
Le discours religieux s’est taillé une place importante dans le contexte extrêmement riche de l’ouverture de la société et du tumulte des idées, des visions, des discours et des écoles de pensée. Al-Azhar et certains de ses grands cheikhs se sont impliqués non seulement dans les discours et les débats, mais aussi dans ce tumulte politique auquel nous assistons depuis quelques mois. Rappelons que ce sont les tendances innovatrices et éclairées au sein d’Al-Azhar avec l’appui de certains courants intellectuels, qui ont contribué à l’acceptation des lois et des Constitutions modernes par la population. Al-Azhar en tant qu’institution religieuse et établissement universitaire a toujours laissé une empreinte sur le climat de tolérance et de dialogue en Egypte. Mais certaines dynasties familiales au pouvoir dans les pays pétroliers et les hommes de religion dans ces pays tentent de limiter ce rôle innovateur et le cantonner en Egypte à travers plusieurs outils. Elles ont alors créé de nouvelles institutions de prédication soutenues par des fonds énormes, afin de rivaliser avec l’ancienne institution ou assimiler ses cadres à travers des bourses ou des mandats qu’on leur offrirait.
Tout cela s’est répercuté sur la manière de penser et le mode de vie de ses Azharites. L’extension du « marché religieux » avec toutes ses composantes : institutions, oulémas, médias et chaînes satellites, a mis en péril le rôle d’Al-Azhar qui s’est retrouvé en concurrence avec ces nouvelles institutions arabes et islamiques qui injectent des fonds énormes, que ce soit pour les individus sous forme de bourses financières et d’offres d’emploi ou bien pour les groupes et les associations à caractère islamique. Dans un second temps, la plupart de ces pays pétroliers cherchent à se doter d’institutions religieuses capables de contrer l’influence internationale d’Al-Azhar. Soulignons dans ce contexte la campagne de critiques menée contre le grand imam, le cheikh d’Al-Azhar, symbole de la modération et de la tolérance, Dr Ahmad Al-Tayeb, ainsi que les oulémas qui l’entourent.
Dr Ahmad Al-Tayeb gère avec un groupe d’oulémas l’institution sereinement et dans un esprit d’entente et de modération sans pareil.
Al-Azhar doit également faire l’objet d’un renouvellement pour pouvoir faire face aux défis sur le plan national, arabe et islamique. Le renouvellement de l’esprit religieux et éducatif d’Al-Azhar doit être l’une des priorités du grand imam, Dr Ahmad Al-Tayeb, qui peut assumer la charge avec calme et sérénité, loin de tout vacarme, et cela à l’heure où Al-Azhar est soumis à une grande épreuve. Tous les mouvements politiques, qu’ils soient islamistes ou non, doivent réaliser pertinemment l’importance du renouvellement et du progrès d’Al-Azhar, qui est intrinsèquement lié à l’avenir de l’Etat égyptien moderne. Al-Azhar, à l’instar des autres grandes institutions nationales, doit se placer au-dessus de tout parti pris partisan, idéologique, politique ou social. Il est à ce titre comparable aux appareils de police et de l’armée d’autant plus qu’il représente à la fois la nation et l’Etat.
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