Que signifient les attaques simultanées menées le 1er juillet par l’Etat Islamique (EI) contre l’armée et la police au Nord-Sinaï ? Ces attaques cherchaient visiblement à imiter l’exemple de Daech en Iraq et en Syrie, où l’organisation extrémiste occupe de larges portions du territoire des deux pays. « L’EI, Province du Sinaï » (anciennement Ansar Beit Al-Maqdès) voulait s’emparer d’une portion du territoire de la presqu’île, précisément dans la ville de Cheikh Zoweyad, située entre Al-Arich et Rafah. Son objectif était plus symbolique que réel, car le contexte et les circonstances qui ont permis à Daech de s’étendre en Syrie et en Iraq n’existent pas en Egypte.
Le groupe extrémiste ne prolifère en effet que dans les pays connaissant une forte instabilité sécuritaire (guerre civile en Syrie) ou de sérieuses tensions sectaires entre sunnites et chiites (Iraq). Les mêmes ingrédients se trouvent en Libye, où un conflit armé sévit entre forces islamistes et anti-islamistes, provoquant une division de facto du pays entre zones d’influence. Ce climat d’insécurité et de chaos, où l’Etat est absent, a créé le terrain favorable à l’apparition et l’implantation de l’EI, qui est parvenu effectivement à contrôler certaines zones de la Libye, notamment les villes côtières de Derna (est), depuis octobre 2014, et Sirte (centre), depuis février dernier.
L’offensive de mercredi dernier est intervenue à l’occasion du deuxième anniversaire de la destitution de l’ancien président issu des Frères musulmans, Mohamad Morsi, et quelques jours après les attaques de l’EI en Tunisie et au Koweït, le 26 juin, faisant plusieurs dizaines de morts. L’objectif de Daech était clair : donner l’impression que l’organisation terroriste étend sa présence un peu partout dans le monde arabe. Ceci fait partie intégrante de sa stratégie, d’où le changement de son nom en l’Etat islamique, après avoir été l’EI en Iraq et au Levant, et d’où l’appellation « EI, Province du Sinaï ».
La réalité est cependant toute autre. Car, dans les faits, la présence et l’influence réelles de l’EI restent principalement limitées aux pays connaissant une grave instabilité sécuritaire, alors qu’ailleurs, ce sont plutôt des groupes terroristes locaux qui, voulant profiter de la notoriété de l’EI et de son aide matérielle, se réclament de ce dernier et lui prêtent allégeance, sans qu’il y ait de véritables liens organisationnels entre les deux parties.
Par contre, les responsables de l’EI, tout en accueillant favorablement de telles initiatives de groupes extrémistes locaux, n’ont jamais montré jusqu’ici la moindre volonté de se déplacer en dehors du berceau du groupe en Iraq et en Syrie, malgré la propagande officielle sur l’établissement d’un califat islamique un peu partout dans le monde arabe. Sans doute, ils estiment que le moment n’est pas encore venu pour une telle expansion. Pour eux, l’adhésion formelle de groupes locaux, qui partagent plus ou moins leurs convictions idéologiques, joue un rôle plutôt psychologique en façonnant l’image d’un groupe en perpétuelle ascension.
Mais le vrai danger de l’EI pour les pays du nord de l’Afrique, dont l’Egypte et la Tunisie, provient de l’implantation en Libye voisine de l’EI, qui y trouve un sanctuaire. Selon les autorités tunisiennes, l’auteur de l’attentat du 26 juin à Sousse a reçu son entraînement en Libye. Idem pour les auteurs de l’attentat contre le musée du Bardo, à Tunis, le 18 mars dernier. Il est également établi que plusieurs armes en provenance de l’ancien arsenal de l’armée libyenne sous Kadhafi, finissent entre les mains des terroristes du Sinaï.
Nul doute qu’une lutte efficace contre l’EI et ses affiliés dans le monde arabe ne peut se faire que sur une échelle régionale et internationale. L’EI avait déjà supprimé la frontière entre l’Iraq et la Syrie séparant les zones sous son contrôle dans les deux pays. Cette réalité a montré que, pour être efficiente, la riposte militaire de la coalition internationale contre l’EI doit également ignorer cette frontière devenue factice. Ainsi, face au terrorisme régional et globalisé de l’EI, qui ne connaît pas de frontière, la réponse ne peut être aussi que globale, réunissant l’ensemble des parties menacées par ce fléau des temps modernes .
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