Après avoir participé dans 10 gouvernorats, à la première phase du référendum sur la nouvelle Constitution, samedi 15 décembre, les Egyptiens s’apprêtent dans les 17 gouvernorats restants à retrouver le chemin des urnes, le 22 décembre, pour dire « oui » ou « non » au texte controversé, dont les pourfendeurs accusent, entre autres, de jeter les bases d’un Etat religieux. Les islamistes, Frères musulmans et salafistes, qui avaient dominé l’assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle Constitution, s’en défendent. Les dirigeants de la confrérie, en particulier, assurent que l’islam n’a jamais connu d’Etat religieux et que leur objectif est d’établir un Etat civil, mais à cadre de référence islamique. Qu’en est-il réellement dans le projet de Constitution ?
Le terme « charia » (loi islamique) est cité explicitement dans 3 articles du projet de la nouvelle Constitution. D’abord, l’article 2 statue, exactement dans les mêmes termes que l’ancienne Constitution de 1971, que « les principes de la charia sont la source principale de la législation ». Mais le nouveau texte a ajouté, à l’insistance notamment des salafistes qui voulaient au départ remplacer le terme « principes » par celui plus contraignant de « règles », un article explicatif (numéro 219) définissant les « principes de la charia ». Cet article indique que ceux-ci incluent « leur évidence globale, leurs règles fondamentales et de jurisprudence et leurs sources acceptées par les doctrines sunnites et la communauté plus large ». Cette définition « technique », tirée du jargon des oulémas, inconnue de la majorité des Egyptiens, viserait à réduire la marge de liberté des parlementaires dans l’élaboration des lois et de la Haute Cour constitutionnelle dans l’interprétation des principes de la charia. La Cour avait d’habitude adopté une ligne libérale dans la définition de ces principes à tel point que, selon ses détracteurs islamistes, la charia s’est retrouvée confinée au seul statut personnel (mariage, divorce, héritage, etc.). La Cour prenait pour seul cadre de référence les règles de la charia, autour duquel il existe une quasiunanimité. Or, celles-ci sont très peu nombreuses et constituent une minorité, le reste faisant l’objet de divergences entre les différentes écoles théologiques et les hommes de religion. Dans ce sens, l’article 219 pourrait être interprété comme élargissant le champ d’application de la charia, pour inclure par exemple des sujets comme l’interdiction des taux d’intérêts sur les prêts bancaires et la mixité dans les écoles et les universités ainsi que la baisse de l’âge de mariage des filles. Le projet de la nouvelle Constitution a approfondi cette même logique en exigeant, dans l’article 4, de prendre l’avis d’Al-Azhar, la plus haute autorité sunnite, dans les questions relatives à la charia. Certes, l’avis de cette institution est consultatif, mais il est difficile de voir un juge rendre un verdict contraire, notamment après l’inclusion dans la Constitution des articles 4 et 219. Ceci s’applique également aux députés dans l’exercice de leur travail législatif.
Hormis ces 3 articles, le texte de la nouvelle Constitution contient des termes nouveaux et des subtilités de langage qui pourraient élargir le champ d’application de la charia. L’article 10, par exemple, stipule que l’Etat et « la société » veillent au respect des « valeurs morales de la famille égyptienne ». Selon des juristes, l’inclusion du terme « société » pourrait être interprétée comme autorisant des individus à faire appliquer la loi islamique par eux-mêmes ou ouvrir la voie à la création d’une police religieuse, à l’instar de celle de « la promotion de la vertu et la prévention du vice » existant en Arabie saoudite.Par ailleurs, l’article 76 précise que tout crime et toute sanction doivent être établis en fonction d’« un texte constitutionnel » ou d’une loi. La Constitution de 1971 mentionnait uniquement le terme « loi », mais à l’insistance des salafistes, l’article a été modifié pour inclure également celui de « texte constitutionnel », qui voudrait dire que des crimes et des sanctions pourraient être établis en vertu des articles de la Constitution relatifs à la charia, sans que ceux-ci soient nécessairement transformés en lois par le Parlement. Enfin, le texte de la Constitution consacre toute une partie, composée de trois chapitres, aux droits et aux libertés des citoyens, dont les libertés de culte, d’expression, de création artistique ainsi que de la presse. La protection de ces droits et ces libertés est plus fermement formulée dans le projet de la nouvelle Constitution que dans celle de 1971. Mais le dernier article (numéro 81) de cette partie pose des limites à l’exercice de ces droits et ces libertés en indiquant qu’ils ne doivent pas entrer en contradiction avec les principes de la première partie consacrée à l’Etat et la société, dont l’article 2. Pour plusieurs juristes, l’article 81 pourrait permettre aux islamistes de limiter les droits fondamentaux des citoyens, au nom de la charia.
La portée réelle de tous les articles précédemment cités dans l’élargissement du champ d’application de la charia ou dans l’imposition de restrictions sur l’exercice des libertés et des droits fondamentaux dépend en premier lieu de l’Autorité qui l’appliquerait, le gouvernement, mais aussi de l’interprétation que donnerait la Cour constitutionnelle à ses dispositions. Formulé en termes simples, l’article 219 signifie que toute loi doit être en conformité avec les quatre sources reconnues par les doctrines de l’islam sunnite, à savoir le Coran, la sunna (les paroles et les actes du prophète Mohamad), Al-Qiyas (raisonnement par analogie) et Al-Ijma (consensus des savants). Mais, les tenants de cette méthode traditionaliste d’interprétation de la charia divergent sur le sens à donner aux règles de celle-ci dans le monde d’aujourd’hui, ce qui laisserait une marge de liberté aux députés dans l’élaboration des lois et à la Cour constitutionnelle dans l’interprétation des textes. L’article 219 aura comme effet pratique de modifier les arguments qu’utiliseraient les uns et les autres pour plaider leurs causes concernant la conformité de certaines lois à la charia, comme exigé par l’article 2 de la Constitution. Mais les débats et les divergences se poursuivraient entre les diverses écoles religieuses sur l’interprétation à donner aux règles de la charia. L’institution d’Al-Azhar, appelée à donner son avis sur les questions liées à la loi islamique, est elle-même traversée par des divergences entre réformistes et traditionalistes. Elle tient des positions modérées sur la charia. Rien n’empêche que l’équilibre des forces au sein d’Al-Azhar ne se transforme à l’avenir, sous un régime politique dominé par les islamistes, en faveur des rigoristes.
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