L’actuel projet de Constitution est loin de poser les fondements de la deuxième République démocratique, au lendemain de la glorieuse révolution du 25 janvier 2011. L’on voit pertinemment, à travers les textes de la Constitution, que le président tyran n’est pas en passe de disparaître. Au contraire le projet de Constitution est une affirmation du prototype du président tyran qui perdure depuis la Révolution de 1952 et qui lui accorde des prérogatives sans limites.
Tout au long du projet de cette Constitution renfermant au total 236 articles, nous n’avons aucune mention de la manière par laquelle le président de la République sera interrogé politiquement sur ses décisions, ses programmes et ses politiques. Ainsi le projet perpétue la situation qui prévalait avant la Révolution de 1952 et qui accordait au président de la République des pouvoirs et des prérogatives, en ne lui dictant aucune responsabilité en contrepartie. Il était habituel de recourir à des chefs de gouvernement et de ministres sans personnalité qui étaient convoqués devant le Parlement après avoir reçu un blâme à la place du président qui résidait dans sa tour d’ivoire.
D’aucuns diraient que ceci implique que le président de la République doit comparaître devant les députés du peuple pour une interrogation, ce qui n’est pas convenu dans la Constitution ni française, ni américaine. Si je répondais à cela, je dirais que dans ces pays, les différents moyens des médias, audiovisuels et écrits, s’érigent en surveillants de leurs performances. Ils peuvent en l’occurrence, le blâmer et lui faire des reproches. C’est une manière de l’amener à rectifier ses erreurs avant qu’il ne soit trop tard. Il faut dire également que dans ces pays, rien n’a prouvé que les politiques présidentielles ont causé les difficiles épreuves qui ont brisé le peuple égyptien. Raison pour laquelle il fallait consacrer tout un chapitre à cette question et non une seule clause pour faire de notre Constitution un texte distingué dans le monde.
Le projet de Constitution n’incarne en rien la révolution qui s’est déclenchée, et il perpétue l’ancien régime et ses outils que nous avons connus pendant des années. La scène est flagrante. Au moment où la population se prononce par référendum sur le projet de Constitution, les adeptes de l’islam politique encerclent la Haute Cour constitutionnelle au vu et au su du président Morsi, interdisant d’accès ses juges.
Quelle est donc cette Constitution pour laquelle on se prononce aux urnes, et comment peut-on parler d’indépendance de la magistrature, telle que dictée par cette même Constitution, à l’heure où la magistrature est malmenée de cette manière humiliante ? Sans parler des mesures punitives entreprises par le nouveau procureur général contre d’éminents présidents du Parquet. Cette situation désespérée nous rappelle les procédures humiliantes des anciennes Assemblées du peuple au moment où les catastrophes se succédaient dans le pays, telles que le naufrage du ferry et la noyade de 400 Egyptiens à bord. L’ancien président de l’Assemblée du peuple disait : « J’ai reçu un nombre de requêtes de la part de députés respectables qui me demandaient de fermer ce dossier et de revenir à l’ordre du jour ». Il terminait avec sa phrase célèbre : « Requête approuvée ». Et il sortait à pas rapides pour rejoindre le président de la République, afin de suivre la finale de la Coupe des nations d’Afrique au stade du Caire, laissant les cadavres de morts noyés à leur sort.
Quel est le modèle que cette Constitution est en train de reproduire ? Jamais, le Parlement égyptien, tout au long de son histoire depuis Gamal Abdel-Nasser en passant par Anouar Al-Sadate, pour finir avec Hosni Moubarak, n’a interpellé aucun d’eux pour une quelconque interrogation. Malheureusement son rôle s’est limité à applaudir leurs adeptes et leurs sympathisants, et jamais ce Parlement n’a interpellé les responsables pour les interroger sur les affaires qui préoccupaient l’opinion publique égyptienne.
Probablement que nous sommes en train de reproduire le même Etat contre lequel le peuple égyptien s’est révolté en janvier 2011. Nous sommes devant le prototype du président pharaon, ou président tyran détenant toutes les prérogatives. Personne ne peut ni l’interpeller, ni lui demander quoi que ce soit. L’alternative serait, comme ce futde tout temps, d’adresser les interrogations à des personnes fantômes, fragiles, fades, sans véritable poids et qui se soumettent aux ordres sans les contester.
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