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Afrique du Sud : violence et haine de l’autre

Mardi, 05 mai 2015

Quand la violence s’intensifie avec la même férocité (même si elle n’engendre pas le même nombre de victimes) dans plus d’une partie de l’Afrique, et ailleurs, et qu’il est dit que les données sont différentes de l’Afrique du Sud à la Somalie, en passant par la Libye ou l’Egypte, quelle interprétation peut-on en don­ner ? Et quelles raisons peut-on invo­quer pour expliquer cet extrémisme dans la violence, ce déni de l’autre, et cette xénophobie ?

Il y a un certain flou dans les diffé­rentes interprétations face à ce qui paraît multiple. Or, l’intensification de la crise pousse à la nécessité d’une réflexion qui se pencherait sur le fil conducteur commun. Dans l’Afrique du nord, c’est l’interprétation cultu­relle qui prend le dessus (Les valeurs, le fondamentalisme religieux, l’exclu­sion ...). Et de ce point de vue, les données telles que la démocratie ou l’équité dans la distribution des richesses sont marginalisées. Et du coup, aucun traitement n’a réussi à éradiquer la violence terrible au point d’égorger sur l’autel de l’identité … !

Dans l’Afrique de l’ouest, surtout au Nigeria, les richesses pétrolières et les minéraux du grand désert auraient largement suffi à ses peuples, mais c’était sans compter avec la mainmise des militaires ou avec l’aliénation aux forces étrangères. Or, avec son appari­tion, Boko Haram est entré dans la sphère de l’interprétation basée sur le fondamentalisme religieux qui renie l’existence de l’autre (d’une autre tribu, chrétien ou occidental). Et là aussi, la violence a été féroce sur l’au­tel de l’identité.

En Afrique du Sud, la scène paraît encore plus floue, comme si elle s’ins­crivait en totale contradiction avec les autres cas. Le capitalisme « blanc » hérité de l’ancien régime s’est arrangé avec la bourgeoisie noire, et son éco­nomie a fait un bond moderniste et pragmatique grâce à des partenariats avec le Brésil, l’Inde et la Chine ! En outre, la constitution de la transition du régime de l’apartheid vers une gouvernance africaine a été bien fice­lée dans l’énonciation des droits (régions, femme et promesses d’équi­té dans l’agriculture et les opportuni­tés de travail). Et sur le plan culturel, le fait que Mandela a mené la transi­tion a donné à l’élan libérateur un tempo culturel, comme une promesse profonde pour la participation de tous. La tolérance et la transparence sont devenues les slogans de la nouvelle époque, où la citoyenneté s’est substi­tuée à l’ethnie. Mais malgré cela, plusieurs tranches de la population ont vu leur situation se détériorer à grande vitesse. Et les promesses d’un lendemain différent se sont transfor­mées en une haine de l’autre (en l’occurrence l’étranger) au point de tuer ici encore sur l’autel de l’identité. Et puisque nous sommes sur le cas de l’Afrique du Sud, là où la violence va en s’intensifiant, il est judicieux de préciser qu’il n’est pas vrai que le « facteur culturel », la haine, ou la tolérance envers l’autre, ou même la crise du capitalisme et la démocratie libérale, soient valables pour expli­quer ce qui s’y passe, sauf en partie. Car les chiffres montrent que les ouvriers immigrés sont au nombre de 2 millions (même si on avance que leur nombre est de 4 millions), et ce chiffre est dérisoire comparé au nombre d’habitants qui s’élève à 52 millions. Or, expliquer les tensions envers les travailleurs immigrés par la pérennité des anciens clivages racistes met le facteur culturel en avant, vu l’incapacité du régime en place à résoudre les problèmes racistes d’an­tan, il y a eu donc une transposition du conflit contre le réel oppresseur vers un conflit entre oppressés (Africain noir contre Africain immigré) !

Et cela a mené l’opinion publique africaine à accuser le régime en place de laxisme envers les tendances colo­nialistes racistes anciennes, et de mener la même politique de marché et d’exploitation … De quoi pousser la population à se renfermer sur elle-même avec des manifestations d’ex­trémisme et criminelle d’une part, et des grèves en continu, de l'autre ! Puis avec une haine contre les travailleurs immigrés du Lesotho, Zimbabwe, Malawi, et Mozambique. Il est à noter que l’étendue civilisationnelle du Lesotho s’étend jusqu’au sud de l’Afrique. L’indifférence du régime, face à ce phé­nomène, a engendré de l’autre côté des réactions de rejet dans le continent contre les citoyens de l’Afrique du Sud avec des rappels concernant le soutien des Africains au combat pour la liberté ou l’hébergement des Sud-Africains sur leurs terri­toires. Le Nigeria est allé, au grand étonnement de Pretoria, jusqu’à rappeler son ambassadeur …

L’analyse qui repose sur l’influence des conséquences de la politique d’apartheid sur le régime actuel a été renforcée par les chiffres publiés concernant la déportation continue des étrangers, dans un cli­mat où ils sont accusés de s’accapa­rer les emplois. De 23 000 en 1991, leur chiffre est passé à 210 000 en 1996 pour doubler en 2000. Sans oublier ce que cela a provoqué de troubles en 2008.

Les causes de la violence contre les étrangers en Afrique du Sud ont été notamment aiguisées par la venue en masse des Zimbabwéens suite à la crise de Mugabe et les incidences de son régime, pour atteindre un million d’individus. Les conflits en Somalie, au Congo, et la politique d’appauvris­sement au Nigeria ont drainé, eux-aussi, leur lot d’immigration vers l’Afrique du Sud, à un moment où l’Europe limite les flux de l’immigra­tion sur son territoire et où l’économie sud-africaine génère moins d’emplois.

Et comme la liste des communautés lésées par cette xénophobie compte environ dix nationalités africaines, un élan anti-sud-africain s’est propagé sur toute l’Afrique, avec des revendi­cations populaires dans plusieurs pays … Au Malawi, Mozambique, Nigeria où des manifestations ont réclamé le boycott du commerce et des produits sud-africains, voire même les chansons et la musique. Il a même été demandé à l’Union afri­caine de s’impliquer.

Cependant, les régimes dans tous ces pays ne tentent, aucunement, de se pencher sur les racines du problème qui résident dans leurs réalités et leurs politiques envers leurs citoyens. Ils se contentent de se référer à la dimension culturelle de la haine et de l’extré­misme.

Or, malgré la consis­tance des facteurs cultu­rels dans l’étude des raisons de la haine de l’autre, il n’en demeure pas moins, à mon sens, que la réalité est ailleurs. La vraie raison que nous n’avons pas mise à l’épreuve de l’étude avec honnêteté et profondeur, est les conditions de l’instauration de la justice sociale en faveur de ces populations qui sont écartées de la participation populaire effective, à même de générer « les mécanismes réels de l’équité ». Au lieu de cela nous nous retrouvons face à des politiques de marginalisation réci­proques … et face à des tueries sur l’autel de l’identité.

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