La Syrie a de nouveau accusé la Turquie d’apporter un soutien militaire et logistique aux groupes djihadistes en lutte contre le régime de Bachar Al-Assad. Ce soutien aurait joué un rôle décisif dans la chute de la ville d’Idlib aux mains d’une alliance de groupes islamistes fin mars. Idlib, ville de 100 000 habitants à quelques dizaines de kilomètres de la frontière turque dans le nord-ouest de la Syrie, est la deuxième capitale provinciale après Rakka à tomber aux mains de la rébellion en quatre ans de guerre civile. Le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Tanju Bilgic, a nié tout soutien turc à la rébellion islamiste évoquant des « allégations sans fondement du régime syrien qui ne doivent pas être prises au sérieux ».
Pourtant, la Turquie est l’un des pays les plus hostiles au régime de Bachar Al-Assad, dont elle réclame le départ pour résoudre la crise syrienne. Dès le début du conflit, la Turquie a accepté l’installation sur son territoire de l’état-major de l’Armée Syrienne Libre (ASL), quand cette dernière était la principale force d’opposition au régime de Damas, et ce, avant l’avènement des groupes islamistes armés. Aujourd’hui, il n’est un secret pour personne qu’Ankara sert de base arrière pour les groupes djihadistes engagés dans la lutte contre le régime syrien comme le Front Al-Nosra et l’organisation de l’Etat Islamique (EI). C’est d’ailleurs via des éléments de ces groupes établis dans le sud de la Turquie que transitent vers la Syrie les djihadistes européens, maghrébins, arabes et du Caucase, ainsi que les armes et les équipements. Ces groupes entretiennent d’ailleurs des liens très étroits avec les services secrets turcs. La Turquie a également permis le passage sur son territoire d’armes venant du Qatar et de la région du Golfe avec l’appui des Américains. Il est probable que sans le soutien turc, les groupes djihadistes n’auraient pas été en mesure de contrôler les territoires qu’ils contrôlent aujourd’hui en Iraq et en Syrie.
Plusieurs facteurs expliquent ce soutien turc à la rébellion islamiste en Syrie. Facteurs politiques tout d’abord. Ankara n’a jamais voulu laisser le terrain libre en Syrie à sa grande rivale, l’Arabie saoudite, également opposée au régime de Bachar Al-Assad. Ankara, qui cherche à se poser comme le leader de l’islam sunnite dans le monde, souhaite l’avènement d’un régime sunnite pro-turc en Syrie. La Turquie, qui possède de grandes ambitions dans la région, est isolée au sud et à l’est par un axe Syrie-Iraq-Iran. Depuis le début de la crise syrienne, la Turquie joue donc la carte islamiste, en soutenant d’abord les Frères musulmans, puis les groupes djihadistes. L’autre facteur se rapporte à la question kurde. Les combats entre les djihadistes implantés dans le nord syrien et les Kurdes syriens ont mis en avant la volonté de ces derniers d’instaurer une autonomie territoriale et économique dans une région où ils sont majoritaires, à l’instar des Kurdes d’Iraq. Ce qui inquiète évidemment les autorités turques. D’où le soutien d’Ankara aux djihadistes.
Mais cette politique turque fait aujourd’hui l’objet de multiples interrogations, y compris à l’intérieur de la Turquie. Un député turc faisait ainsi remarquer que la Turquie a totalement échoué dans sa politique syrienne affirmant que « la Turquie est intervenue à tort dans une situation tragique et a contribué à l’émergence d’une situation imprévue. Elle fait aujourd’hui partie d’un conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite tant au niveau doctrinal que celui des intérêts ».
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