Al-Ahram Hebdo: Plus de 190 pays sont réunis en Pologne pour la 19e conférence de l’Onu sur le climat. Ils doivent poser les bases de l’accord global attendu en 2015 sur la limitation des gaz à effet de serre. D’après votre expérience, notamment avec le Groupement Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), pensez-vous que ces efforts aboutissent ?
Mahmoud Medany : Cette conférence, qui a commencé le 11 et dure jusqu’au 22 novembre, vise à contenir le réchauffement de la planète, qui pourrait frôler les 5°C si le monde ne prend pas de mesures sérieuses. Varsovie lance deux années de négociations qui doivent déboucher en 2015, à Paris, à un accord global, ambitieux et légalement contraignant de réduction d’émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), qui entrerait en vigueur à partir de 2020. Pour l’heure, le seul texte limitant les GES est le protocole de Kyoto, mais il ne concerne que les pays industrialisés, à l’exception notable des Etats-Unis qui ne l’ont jamais ratifié, et ne couvre désormais que 15 % des émissions totales. Le prochain accord, qui prendra le relais du protocole de Kyoto en 2020, doit embarquer les Etats-Unis et les grands émergents dont la Chine, premier pollueur au monde. Tout l’enjeu de ces négociations est de répartir l’effort entre les principaux pollueurs que sont la Chine (23 % des émissions des GES mondiales), les Etats-Unis (15 %), l’Union européenne (11 %), l’Inde et la Russie (5 %). A mon avis, les grandes puissances concernées ne parviendront pas à aplanir leurs divergences.
Mahmoud Medany
— Pourquoi êtes-vous si pessimiste ?
— Je pense que c’est un conflit de géants qu’on n’a rien à faire dedans. Au niveau des engagements des économies émergentes, elles brandissent leur droit au développement, et elles ont raison. Feuille de route vers la conférence de Paris en 2015, aide financière aux pays du Sud, question explosive de l’indemnisation de ces mêmes pays pour les dommages dus au réchauffement … voici les principaux dossiers sur la table des négociations à Varsovie. Je trouve difficile qu’un grand pollueur comme les Etats-Unis cède aux exigences de réduire les émissions des GES. Ils consomment une grande quantité de polluants comme le charbon. Changer ces combustions exige beaucoup de temps. Pour moi, il s’agit d’un conflit commercial en premier lieu entre ces puissances. Et je dois préciser aussi que les GES, et notamment le dioxyde de carbone (CO2), ont une grande durée de vie. Ils peuvent rester dans l’atmosphère des centaines, voire des milliers d’années. Ce qui fait que même si toutes les émissions de dioxyde de carbone cessaient, les effets du changement climatique persisteraient pendant des siècles. Et mauvaise nouvelle supplémentaire, le charbon, le plus polluant des combustibles fossiles, devrait devenir en 2020 la première des sources d’énergie de l’économie mondiale en raison de l’appétit des grands émergents.
— L’Egypte relève nombreux défis dans les domaines de l’eau, l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’énergie, la désertification … Comment réussir ?
— Nous devons en effet relever de nombreux défis en Egypte, même si ce n’est pas une question de changements climatiques. Je dois dire que les constructions sur les terres agricoles, notamment dans la vallée du Nil et dans le Delta, nuisent à l’environnement et à la sécurité alimentaire en Egypte mille fois plus que les GES. La ville de Kafr Al-Cheikh par exemple est saturée ! Les changements climatiques ont des impacts négatifs de 2-3 % sur l’agriculture, 5 % environ ou plus sur l’eau, avec aujourd’hui une population de 92 millions de personnes environ. Une question se pose : que pourra-t-on faire lorsque la population sera de 160 millions dans un avenir proche ? Aujourd’hui, l’Egypte souffre d’une pénurie d’eau, potable ou nécessaire à l’irrigation, outre la pénurie d’énergie et de produits alimentaires. Si on n’arrive pas à sortir de ce cercle vicieux, la situation risque de se dégrader pour les générations d’avenir.
— Que proposez-vous afin de sortir de cette impasse ?
— Nécessité fait loi. Les impacts des changements climatiques et les difficultés dont nous souffrons doivent nous pousser à penser aux solutions non conventionnelles. Les Egyptiens ont une longue histoire dans l’innovation et l’invention. Les jeunes et les savants doivent se lancer dans des projets scientifiques pour résoudre tous nos problèmes. De nouvelles technologies existent aujourd’hui pour irriguer à partir de l’humidité de l’air, et nous avons 1 300 kilomètres environ de côtes et de villes côtières qui souffrent de la haute humidité notamment en été. Les étudiants de toutes les facultés, notamment polytechnique et celle des sciences, ont un grand rôle à jouer en inventant de nouveaux véhicules qui fonctionnent à l’énergie solaire. En Egypte, la période à venir doit être celle de l’innovation et de l’invention.
— Les décideurs sont responsables de la situation actuelle dans le pays. Pourquoi ne pas les mentionner ?
— Parce qu’avec les décisions qu’ils prennent, ils me donnent l’impression de ne pas connaître l’Egypte. On prend la décision d’acheminer les eaux du Nil vers la ville de Charm Al-Cheikh, au lieu de construire des stations de dessalement des eaux de mer ! Ils ne saisissent pas le concept de l’impact des changements climatiques. Raison pour laquelle la société, les jeunes et les scientifiques doivent agir et réfléchir aux solutions innovatrices pour les problèmes dont souffre le pays. En Egypte, les décideurs vivent sur une autre planète !
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