Il est 10h, des groupes d’étudiants s’engouffrent dans le laboratoire de la faculté des sciences de l’Université de Aïn-Chams. Vêtus de blouses blanches, ils assistent à une expérience menée par leur professeur et répètent eux-mêmes les gestes observés.
« Quelqu’un a une question à poser ? Je vous demande de vous dépêcher pour mener votre expérience, car vos camarades de deuxième année attendent pour prendre votre place », lance Noureddine Ahmad, leur professeur de chimie. En aparté, il ajoute que le nombre trop important d’étudiants prive beaucoup d’entre eux de reproduire les expériences proposées. Le laboratoire n’est équipé que de quelques instruments pour réaliser de petites expériences.
Devenir chercheur est l’objectif de ces étudiants en chimie. La faculté des sciences, l’une des plus importantes, n’accueille que les élèves ayant obtenu les meilleures notes au baccalauréat. Elle doit fournir en premier lieu un enseignement pratique. Si on prend l’exemple de la section chimie, chaque étudiant doit suivre 14 heures de pratique par semaine et 10 heures de cours théoriques.
Mais avec des laboratoires mal équipés, les cours pratiques sont souvent réduits au strict minimum. « Je passe une demi-heure à mélanger un produit manuellement ! Les labos modernes disposent d’agitateurs magnétiques », s’indigne Islam, étudiant en troisième année.
Comme d’autres, il est souvent déçu par le résultat final des expériences. « Parfois, les produits sont périmés et la réaction chimique n’est pas celle qu’on attend », lance Mina, en troisième année de biochimie.
Hamdi, en troisième année aussi, confie que l’expérience sur le taux de concentration de l’aluminium et de cuivre ne donne pas le résultat attendu. Au lieu d’obtenir une couleur jaune, le produit devient orange, ce qui signifie que quelque chose ne va pas avec les produits utilisés. Il ajoute avec ironie : « Doit-on également ramener nos propres produits chimiques ? On a déjà acheté un tas d’instruments comme les agitateurs en verre et les tubes à essai. Et comme il arrive souvent que des instruments se cassent, on est obligé d’acheter d’autres, et cela dure pendant toute l’année ».
Dans cette faculté, il existe 43 laboratoires répartis entre 10 départements pour un total d’environ 8 000 étudiants, ce qui a priori devrait suffire. Mais plus que le nombre, c’est l’état des laboratoires qui pose problème. Les tables en marbre sont dans un piteux état à cause des produits chimiques qui se renversent dessus. Il n’existe pas de hottes permettant d’évacuer les vapeurs toxiques. Quant aux produits, ils sont souvent en pénurie.
Aux pénuries, s’ajoute une mauvaise conservation des produits. C’est ce critique Ahmad Osmane, directeur de la section de biochimie : « Comme les produits sont mal stockés, ils s’abîment et donnent de faux résultats », regrette-t-il.
Le département de géologie est lui aussi confronté à un manque de matériels. Seuls quelques microscopes sont disponibles pour les travaux pratiques. Il n’y a qu’un seul instrument d’optique sophistiqué et il n’est utilisé que par l’enseignant. « Ce microscope coûte 35 000 L.E. et les étudiants n’ont pas le droit de s’en servir », regrette Yasser Abdel-Hakim, directeur de la section géologie. Il nous signale que l’appareil capable de découper des pierres en lamelles est en panne. « On est obligé de faire cette expérience dans des sociétés pétrolières qui acceptent de collaborer avec notre faculté », poursuit Abdel-Hakim.
Côté sécurité, chaque laboratoire ne dispose que de deux extincteurs, ce qui est largement insuffisant. Quant à la pharmacie, elle ne contient qu’un paquet de coton et quelques pansements.
Le manque de moyens est dû au fait que les salaires des professeurs absorbent la plus grande partie du budget alloué à l’enseignement supérieur, comme l’exige la loi 84 de 2012. « Les salaires engloutissent 75 % du budget », précise Ahmad Osmane.
Pourtant, le personnel qui prend soin des labos est réduit. « Les manutentionnaires, qui travaillent pour les laboratoires et dont le nombre est insuffisant, sont obligés de faire des heures supplémentaires pour 50 L.E. de plus par mois », confie Hussein Mohamad, chef des manutentionnaires. Oum Hanane, l’une de ces manutentionnaires, ajoute qu’elle touche un salaire de 250 L.E. par mois (heures supplémentaires comprises).
Hicham Madiane, adjoint du doyen de la faculté de sciences, signale que la faculté ne dispose que d’un budget de 2,5 millions par an. « Nous avons besoin de multiplier ce budget par 10 pour couvrir nos besoins en équipements et en produits chimiques, ainsi que pour l’entretien et la maintenance dans les différents laboratoires », précise-t-il.
Payer pour apprendre
Pour combler ces défaillances, les étudiants cherchent des opportunités dans des sociétés privées qui disposent de laboratoires équipés.
Madonna, en troisième année de chimie physique, cherche un stage durant l’été, soit dans la compagnie nationale de distribution d’eau, soit dans une société pétrolière. « J’ai déjà fait cela l’année dernière. Il faut s’inscrire tôt, car ils prennent un nombre limité d’étudiants, environ une trentaine », explique Madonna. Ces sociétés publiques ne prennent, en effet, qu’un petit nombre d’étudiants pour ne pas nuire à leur propre travail.
Sinon, il y a des stages ou des formations payantes. Ainsi, l’Académie pour l’entraînement et les consultations « essaye d’élever le niveau des étudiants pour qu’ils puissent intégrer rapidement le marché du travail. A la fin du stage, l’étudiant reçoit un certificat qui l’aidera à trouver du travail dans sa spécialisation », précise Amr Matar, chimiste dans cette académie qui offre des spécialisations dans les domaines des analyses chimiques, de la nano-technologie, de la biotechnologie et de la thérapie nutrition.
La vétusté du système de l’enseignement n’a pas toujours été le cas. A l’époque, ces mêmes facultés formaient de grands savants égyptiens, comme Ahmad Zoweil ou Moustapha Al-Sayed. Aujourd’hui, l’étudiant doit trouver lui-même les moyens de se former.
L’alternative payante
Les programmes payants assurent, eux, une formation complète. (Photo : Mohamad Adel)
A la faculté des sciences de l’Université du Caire, section biotechnologie, un programme payant est proposé aux étudiants. Ici, le laboratoire est doté de tous les outils nécessaires. Plus de 15 appareils sont quotidiennement utilisés par ces étudiants, le prix d'un seul appareil peut atteindre 350 000 L.E. Les étudiants ne sont que 30 par classe.
Pipettes, distillateurs en verre pour recueillir le nitrogène liquide : tout est disponible sur chaque table avec des glacières pour conserver les échantillons au froid.
Ce département offre l'opportunité de se spécialiser dans le domaine de la génétique (ADN). Un groupe de filles s'exerce sur une souris pour comparer son ADN à celle d'une autre souris atteinte de cancer. Un travail méticuleux, mais Soha a tout le temps qu’il lui faut pour mener son expérience à bien. Elle extrait un échantillon de sang de la souris puis le verse dans un tube à essai et le présente à l'enseignante qui va le mettre dans la centrifugeuses travaillant au degré de température près.
« Ici, on fait suffisamment d’expériences pour être formé et nos professeurs sont là pour nous encadrer », explique Ahmad, qui dit que le fait de verser 10 000 L.E. par an n’est rien face à la qualité de l’enseignement offert.
Ici, les étudiants n’ont pas besoin de faire des stages dans des centres de recherches ou dans des labos d’entreprises privées. Hamdi Hassanein, coordinateur du programme à l’Université du Caire, suggère d’augmenter le cursus d’une année pour que les étudiants puissent suivre un stage pratique. « Ce serait une opportunité pour mieux les former et les préparer au marché du travail », dit-il. « Il est temps de changer les choses et de rendre à cette faculté son prestige d’antan », poursuit-il.
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