Zeina El-Nahel, 25 ans : Combler les failles
Le bourg Al-Bahawra se trouve à plus de 60 km au sud du Caire, aux environs d’Al-Ayyat. Là, les moyens de transport sont insuffisants. Pour aller à l’école The Nile River, les enfants doivent prendre un minibus, un tok-tok ou parfois faire de l’auto-stop. Cet établissement scolaire a ouvert ses portes il y a 3 ans. Al-Bahawra est dépourvu de toutes infrastructures : pas d’eau potable, pas de dispensaire, pas de pharmacie ni supermarché. Et rien ne prouve qu’il y a vraiment âme qui vit tant ce bourg est désert. Là, on peut voir quelques maisonnettes en brique, éparpillées par-ci par-là, deux mosquées et l’unique école The Nile River. C’est grâce à Didi Anandarama, une bénévole hongroise que cette école a été bâtie.
« J’ai été la première enseignante à avoir eu le courage de venir ici. Didi et moi, nous nous sommes connues à travers le blog Importance de l’éducation. A travers ce blog, on reçoit toutes les initiatives contribuant au développement de l’enseignement », explique Zeina El-Nahel, 25 ans, une bénévole qui a préféré travailler sur terrain pour aider les personnes les plus démunies, combler la faille du système éducatif, sensibiliser les enfants à rejoindre les bancs de l’école. Zeina, diplômée de l’Université allemande, a mis de côté sa spécialisation dans le domaine pharmaceutique en refusant un boulot dans une grande entreprise. « Même si je devais toucher un bon salaire, c’est plutôt l’entreprise qui aurait profité. A Nile River, je ressentais immédiatement le fruit de mes efforts car ces enfants vont dans quelques années contribuer au changement de leur société », dit Zeina avec optimisme. Elle ajoute que la peinture, la musique et les comptines sont des matières principales pour tous les élèves scolarisés à The Nile River.
Dès l’âge de 3 ans jusqu’à 12 ans, tous les enfants sont les bienvenus. Mais seule une trentaine d’élèves se rend régulièrement dans cette école. Très avides d’apprendre et d’approfondir leurs connaissances, ils quittent l’école à contrecoeur quand la cloche sonne. « J’ai tissé des liens d’amitié avec ces enfants car on ne peut les forcer à se rendre à l’école. Je leur donne cette liberté de s’exprimer, de parler de leurs problèmes personnels ou familiaux », poursuit Zeina. Résultat: les filles qui ont quitté l’école à cause du long trajet qui sépare le hameau à Al-Bahawra viennent maintenant régulièrement à The Nile River.
« Nous sommes en train de faire le nécessaire pour que cette école dépende du ministère de l’Education, afin que les élèves puissent obtenir des certificats accrédités », ajoute-t-elle. Aujourd’hui, ces enfants ressentent un sentiment de fierté et cela se lit dans leurs yeux, car ils ont appris beaucoup de choses. « Lorsque je suis venue ici, les enfants ne connaissaient que deux métiers : agriculteur et charpentier », dit Zeina. Je voulais leur en faire découvrir d’autres. Zeina a fait les dessins d’une dizaine de métiers, puis leur a expliqué en quoi ils consistaient et leur importance dans la société. A présent, ces enfants ne se sentent plus marginalisés car ils ont compris qu’avec l’éducation, la connaissance et le travail sur soi, ils peuvent rêver d’un avenir meilleur. « Je m’arrange avec d’autres bénévoles dans différentes spécialisations pour venir donner des cours condensés en une semaine, à cause des difficultés de transport.
Cela permet à ces enfants d’avoir une idée sur le monde extérieur », commente Zeina. Depuis, ces enfants ont appris à dessiner et à colorier, et certains se sont montrés très doués dans ce domaine. Ils ont retrouvé leur enfance en dépit de la négligence du gouvernement. Par ailleurs, Zeina ne rate aucune occasion pour tenter de changer les mentalités, tout en abordant des sujets ayant trait à la nutrition, l’hygiène et la vie sociale. « Ces enfants boivent l’eau des puits qui se trouvent dans leur maison, ce qui n’est pas tout à fait sain », dit-elle. Une absence de services et une marginalisation qui font sentir à ces habitants qu’ils ne font pas partie de la population. « J’ai été choquée lorsqu’une élève m’a dit qu’elle voulait visiter l’Egypte, je lui ai répondu… Mais tu es en Egypte. Elle m’a dit: non, l’Egypte c’est là où vous vivez et non pas ici », conclut-elle.
Mahmoud Sabry, 21 ans : Croire au changement
« J’ai décidé de me lancer dans le bénévolat après la révolution du 25 janvier 2011. J’ai compris que le problème de l’Egypte c’est le manque d’instruction. Près de 40% de la population ne savent ni lire ni écrire, alors contribuer à éradiquer l’analphabétisme a été en quelque sorte un point de départ », explique Mahmoud Sabry, 21 ans, en quatrième année à la faculté de lettres anglaises. Il rappelle qu’en 2011, les jeunes ont manifesté un engouement pour la politique et ont voulu avoir un rôle actif dans la vie politique et sociale. Alliances, partis, initiatives, plusieurs formes d’action sont apparues et ont attiré de nombreux jeunes. « Pour que les gens connaissent leurs droits, il faut qu’ils sachent lire et écrire. C’est essentiel pour revendiquer les principes de la révolution qui sont: pain, liberté et justice sociale », dit Mahmoud. C’est après avoir passé son bac en 2011 que ce jeune homme a adhéré à l’association Sonnaa Al-Hayah pour contribuer au programme « La Science est une force ». Ses proches, dans la ville de Minya (sud de l’Egypte), n’ont pas apprécié le fait qu’il se lance dans le bénévolat. Pour les gens du sud, rendre service aux personnes sans rien recevoir en retour est une perte de temps. Mais Mahmoud n’en a cure. Déterminé et convaincu, il va poursuivre ses actions dans le bénévolat. En quelques mois, il forme une centaine de bénévoles pour donner des cours aux analphabètes. « J’ai contacté mes camarades de l’université et mes amis pour m’aider dans cette tâche. Petit à petit, le projet a pris forme et a gagné plus de crédibilité, surtout dans les bourgades qui ne figurent pas sur la carte », poursuit Mahmoud. Ses efforts ont fini par porter leurs fruits. Béni Ahmad, Al-Achraf et Manquatine sont les bourgs où le taux d’analphabétisme a baissé. Plus de 25000 personnes ont reçu des certificats de l’Organisme général de l’alphabétisation et de l’apprentissage des adultes. « J’ai fait comprendre aux bénévoles qu’ils doivent respecter les personnes âgées car elles sont susceptibles, surtout si l’enseignant est jeune ». Mahmoud Sabry a fait comprendre aux bénévoles l’importance de donner à cette tranche leur prestige, afin de réussir dans une mission pareille. « Savoir se comporter avec eux, comprendre leur manière de penser, est important pour ne pas les choquer à cause de la différence de culture. Le bénévole doit savoir garder ses distances avec ses élèves, et en même temps les stimuler pour qu’ils poursuivent leurs cours et obtiennent leurs certificats d’aptitude ».
C’est en fait depuis le 7 juillet 2012 , Journée de l’alphabétisation en Egypte, que beaucoup de bénévoles se sont mobilisés. Après avoir gagné ce prix des Nations-Unies pour les bénévoles, Mahmoud est devenu responsable des relations publiques et de la communication dans l’association. En même temps, il travaille comme traducteur. Il n’a pas l’intention d’arrêter ses activités dans le bénévolat. « Dans le Saïd (sud), il y a très peu de chance de trouver du boulot. De nombreux villages sont marginalisés et leurs habitants mènent une vie difficile, voire même inhumaine », explique Mahmoud. « Je souhaite que l’on accorde plus d’attention et d’intérêt à la Haut-Egypte », conclut-il.
Yéhia Réda, 27 ans: Apporter l'espoir
Une bicyclette, une tente et un sac de couchage. C’est tout ce dont a besoin Yéhia pour prendre la route vers les gouvernorats, afin de former le plus grand nombre de personnes. « Mon prochain voyage est prévu pour le mois d’octobre. Il va durer 7 mois et je vais parcourir environ 2000 km à vélo», explique Yéhia Réda, 27 ans, propriétaire de la société Open IT d’informatique et formateur. Cela fait 6 ans que Yéhia a démissionné de la fonction publique pour devenir bénévole. « J’ai parcouru 1750 km en trois mois, d’Alexandrie à Assouan, pour donner des cours d’informatique à différentes catégories d’âges allant de 11 à 60 ans », raconte Yéhia. « Ce fut un choc pour mes parents. J’avais embrouillé tous leurs calculs. Pour eux, j’avais perdu la boussole », relate Yéhia. Ce jeune homme à l’esprit créatif ne voulait plus mener un quotidien monotone. Il a donc décidé de se lancer dans le bénévolat et transmettre ses connaissances en matière d’informatique. Un domaine d’une grande importance pour les jeunes diplômés, puisque cela permet de trouver plus facilement du travail. Yéhia a déjà formé plus de 1200 personnes. Sa manière d’expliquer l’informatique diffère des autres informaticiens. Il enseigne le programme Linux, un système d’informatique qui ressemble au Windows et au Mac, mais qui présente d’autres avantages. « C’est un système d’exploitation entièrement libre. Mais pour s’y initier, il faut débourser environ 12000 L.E. Ce qui n’est pas à la portée de tout le monde », poursuit Yéhia, en ajoutant que lui-même a rencontré ce problème, faute de moyens. Il a donc décidé d’apprendre tout seul le système Linux et de l’enseigner aux autres. « J’ai mis du temps pour maîtriser ce programme. J’ai rencontré beaucoup de difficultés qui ont failli mettre un terme à ma faim de connaissance », ajoute-t-il. Obstiné, Yéhia a réussi à comprendre comment utiliser ce programme. Puis, il a publié des annonces sur Facebook et Twitter disant qu’il était prêt à aider tous ceux qui voulaient apprendre— gratuitement — le système Linux. 7 mois plus tard, les demandes ont commencé à pleuvoir émanant de tous les gouvernorats d’Egypte. Yéhia a dû s’organiser pour rencontrer les gens car ses déplacements, il devait les faire à bicyclette. « Le plus long trajet fut Louqsor-Assouan. J’ai parcouru 220 km en 14 heures à bicyclette ». Pour Yéhia, le vélo est un moyen de locomotion abordable, écologique et qui permet d’apprendre à être patient, surtout lorsqu’on a un objectif à atteindre. C’est grâce à sa persévérance que Yéhia a réussi à surmonter tous les obstacles. Accéder à une information et la transmettre à autrui lui a permis de s’améliorer et d’acquérir de l’expérience.
« Je suis séduit par l’informatique qui domine le monde. Une source de connaissances intarissable à tel point que je devrais apprendre jusqu’à la fin de ma vie », explique Réda. Et d’ajouter qu’à l’époque où il faisait ses études, il a exercé plusieurs boulots avant de choisir son orientation. Il estime que le système d’éducation national est stérile et bloque l’imagination. Il prône des méthodes traditionnelles qui ne sont plus valables de nos jours.
Réflexion, analyse logique et classement des priorités sont les conseils qu’il donne lors de ses déplacements dans les différents gouvernorats où il reste en général 3 jours, le temps de donner ses cours. Lors de ses déplacements dans 14 gouvernorats, il est parvenu à simplifier sa méthode pédagogique en tenant compte de la culture et du niveau social de ses élèves. De cette expérience, Yéhia en a tiré une leçon, à savoir que rien ne peut constituer un obstacle face au désir d’apprendre. « J’ai été profondément touché par un comptable à la retraite, très motivé pour apprendre, et qui m’a fait des remarques intéressantes quant à l’utilité de mes cours et au profit qu’on peut en tirer. Il m’a donné beaucoup d’espoir ».
Parfois, il est aussi arrivé à Yéhia de vouloir tout lâcher et rentrer chez lui par manque de moyens. Mais l’association de l’expression numérique arabe, Saïdi Jix, et l’institut TIT (dépendant du ministère de la Communication) l’ont soutenu et aidé financièrement. Et il en est très reconnaissant. Ce prix des Nations-Unies qu’il vient de remporter l’encourage à poursuivre son action. Il tente également de trouver du travail dans des entreprises privées à ceux qui ont suivi sa formation.
Pour la prochaine formation, il compte sélectionner trois nouveaux formateurs. Une façon à lui d’assurer la continuité de l’apprentissage. « Je compte me rendre également en Jordanie et au Liban, toujours à bicyclette, pour propager ces connaissances », conclut-il.
S'engager pour une grande cause
« Des jeunes Arabes bénévoles pour un meilleur avenir ». Tel est le thème du concours lancé par le programme des Nations-Unies pour les bénévoles (UNV). Ce projet destiné aux jeunes d’Egypte et du monde arabe vise à améliorer l’intégration de ces derniers et à rendre leur participation efficace dans le domaine du développement social. L’âge des participants varie entre 18 et 29 ans. Lancé en avril dernier, ce concours a reçu les histoires et vidéos qui illustrent leur action dans le bénévolat. Sur 36 candidats, 3 seulement ont pu répondre aux critères décidés. Les candidats viennent d’Egypte, de Jordanie, du Maroc, de Tunisie et du Yémen. « Le prix des Nations-Unies c’est un prix d’encouragement qui stimulera les gagnants à poursuivre leur action dans le bénévolat », souligne Dina El-Rachidi, responsable de la communication pour la coordination aux Nations-Unies. « Ce concours a été ouvert à tous, nous n’avons pas précisé de thèmes, mais plutôt cinq critères pour sélectionner nos candidats », explique El-Rachidi.
Instaurer la culture du bénévolat en Egypte et dans le monde arabe, tel est le but du concours. Les personnes se sont engagées en faveur d’un projet, se sont investies en apportant leur temps, leur expérience et leurs compétences. « Etre bénévole, c’est servir une grande cause, avec la responsabilité d’en être le représentant », explique El-Rachidi. Les projets présentés touchent au développement et apportent des solutions aux problèmes des gens. L’expérience du bénévole doit avoir un impact à long terme et améliorer les conditions de vie de ceux qui en profiteront.
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