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D’Héliopolis au centre-ville en dix minutes !

Manar Attiya, Mardi, 21 octobre 2014

La troisième ligne du métro souterrain a rendu service à de nombreux Cairotes, notamment les étudiants, et a permis de désengorger la capitale en cette saison de haut trafic.

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Les habitants d'Héliopolis regrettent la disparition du tramway, l'un des plus vieux au monde.

« C’est le moyen de transport le plus pratique, le plus confortable et le plus humain d’Egypte. Je sens que je ne suis pas en Egypte, mais en Europe », déclare avec fierté Abdel-Hamid. Ce père de famille, sa femme et ses deux enfants utilisent le métro pour se déplacer plus facilement dans la capitale.

Le 7 mai 2014, le gouverneur du Caire a inauguré une troisième ligne de métro.

Elle s’étend sur 12 km et compte 5 stations : Abbassiya, Terrain des expositions, le Stade, Kolleyet Al-Banat et Al-Ahram.

Ce projet, qui a mobilisé plus de 3 000 ouvriers, a été financé par la Banque européenne d’investissement et l’Union européenne.

« Un million de voyageurs l’empruntent chaque jour, ce qui permet d’alléger le trafic dans les rues du Caire », précise le coordinateur des médias du chemin de fer métropolitain.

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Même aux heures de pointe, il n'y a pas de bousculade. (Photos : Hassan Chawki)

Les travaux de construction de cette phase ont commencé en 2009 en vertu d’un contrat français conclu avec l’Autorité nationale des tunnels dépendant du ministère du Transport. Cette phase, qui traverse à terme la capitale égyptienne de l’est vers l’ouest, accueille des passagers d’une classe sociale plutôt aisée, dont la plupart sont natifs de la ville d’Héliopolis, créée par l’industriel belge Baron Empain en 1905.

A l’intérieur du métro climatisé sont assises des femmes coquettes, élégantes. Tous les passagers sont assis et la plupart d’entre eux ont les yeux rivés sur leurs smartphones ou leurs tablettes.

Les citoyens préfèrent prendre ce moyen de transport rapide et ponctuel pour se rendre à leur travail. Yasmine, une employée, confie : « En microbus, je mets une heure pour aller au travail ». Yasmine calcule le temps et fait la comparaison avec le métro. Arrivée à la station Abbassiya, en bout de ligne, elle regarde sa montre. « 7 minutes! Cela va changer ma vie », poursuit Yasmine, qui gare sa voiture devant la station. « C’est un petit trajet mais qui me permet d’éviter un tronçon très embouteillé de la capitale, où le trafic est infernal », ajoute-t-elle.

Une histoire franco-égyptienne

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(Photos : Hassan Chawki)

Un autre passager renchérit: « Le trajet que j’effectuais en une heure me prend désormais moins de dix minutes en métro. Le trafic est l'un des casse-têtes quotidiens. Conduire une voiture dans la capitale, surtout durant les heures de pointe, est comme se lancer dans une aventure à multiples risques. C’est l’enfer». Et d’ajouter: « Rouler en voiture devient trop cher, puisque le prix de l’essence ne cesse d’ augmenter ».

En fait, le métro du Caire est une histoire franco-égyptienne qui remonte à plus de 30 ans. Il s’agit du premier réseau de métro construit sur le continent africain.

L’idée du méga-projet a pour la première fois été évoquée en 1930 par l’ingénieur égyptien Sayed Abdel-Wahed, qui travaillait à l’Egyptian Railway Authority.

Une idée tombée aux oubliettes, à la suite de la Révolution de 1952. Plus tard, les urbanistes ont vu la nécessité grandissante de construire trois lignes de métro dans le Grand Caire pour résoudre les problèmes de transport. A l’époque, en plus de sa population qui se chiffrait à 10 millions d’habitants, Le Caire, la ville la plus densément peuplée d’Afrique et du monde arabe, était la destination de 2 millions d’Egyptiens qui y venaient travailler et rentraient le soir chez eux.

Et donc, l’idée suscita un regain d’intérêt. En 1954, des experts français firent un rapport sur l’avenir des transports égyptiens. Plus tard, de nombreux experts vinrent en Egypte pour étudier la faisabilité du projet : des Soviétiques en 1956, des Japonais et des Français en 1960. Il en ressortit qu’il fallait créer un système de métro à plusieurs lignes. Ce n’est qu’en 1988 que la 1re ligne de métro a été achevée, connectant Hélouan, au sud, à Al-Marg, au nord-est, passant sous les rues du centre-ville. Cette 1re ligne, qui s’étend sur 44,3 km, dont 3 km en souterrain, et qui compte 35 stations, peut transporter jusqu’à 60 000 passagers par heure dans chaque sens dans des trains de 9 wagons roulant à 100 km/h. La seconde ligne inaugurée en 1990 relie Sayéda Zeinab à Choubra, en passant par le centre du Caire. Elle s’étend sur 9,5 km. Chaque jour, 3,5 millions de passagers sillonnent la ville grâce à ces deux lignes.

Non seulement le métro permet d’éviter les embouteillages de la ville, mais il est aussi le moyen de transport le moins cher. Si les usagers sont des étudiants, ils bénéficient d’une réduction. En effet, le prix du ticket est d’une livre égyptienne quel que soit le trajet. « Le trajet aller-retour me coûtait 25 L.E., maintenant, je paye un peu plus d’une livre », précise Abdallah Ammar, étudiant à la faculté de polytechnique, à l’Université de Aïn-Chams.

En effet, trois des cinq stations de cette nouvelle ligne se situent en pleins centres estudiantins : il s’agit de la faculté de polytechnique à Abdo Pacha, de la faculté des Jeunes filles à Ard Al-Golf, et de l’Université de Aïn-Chams à Abbassiya.

Wafaa Al-Chamy, journaliste habitant Héliopolis, avait l’habitude de prendre un taxi pour se rendre à son travail à Akhbar Al-Youm, au centre-ville. Cela lui coûtait 70 L.E. par jour. « Depuis l’inauguration de la nouvelle ligne, je ne prends que le métro, c’est nettement plus rapide et surtout moins cher », note Wafaa Al-Chamy.

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(Photos : Hassan Chawki)

Mais pour arriver à son travail, Wafaa doit faire le lien à la station... où elle prend la ligne 2, plus vieille et moins entretenue. Là, le monde « souterrain » du métro change de couleur, et souvent... d’odeur. « La scène est vraiment surréaliste. A l’extérieur des stations, les marchands ambulants pullulent sur les places, vendant toutes sortes de babioles. A l’heure de pointe, vous sentez une odeur incroyable. En montant et descendant dans les wagons, c’est toujours la bousculade. On pousse, on se fait pousser, et on espère arriver à entrer dans la locomotive sans perdre une chaussure ou un bras en chemin ! Sous terre, les quais servent de refuge aux couples… Pas la peine de vous dire que le trajet en lui-même n’est pas des plus confortables… On reste debout tout le long du parcours », ajoute Wafaa Al-Chamy.

« A l’inauguration, les deux premières lignes de métro étaient d’une propreté irréprochable et l’on ne voyait jamais de vendeurs ambulants. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui », regrette-t-elle, tout en craignant pour l’avenir de « son » nouveau métro, qui risque de connaître le même sort.

Nostalgie

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(Photos : Hassan Chawki)

L’inauguration de la troisième ligne du métro a coïncidé avec l’annulation, depuis début 2014, du tramway dans les quartiers de l’est du Caire, notamment Héliopolis, Madinet Nasr et Al-Darrassa.

Une décision qui ne plaît pas à tout le monde, notamment les plus « autochtones » d’Héliopolis.

« Ces tramways sont les plus vieux du monde. Ils ont été mis en service le 23 mai 1905 au temps du Baron Empain. Ils liaient Héliopolis à la place Tahrir. C’est un véritable héritage culturel florissant. Pourquoi les responsables ont-il pris cette décision? La décision d’annuler ces tramways est stupide! La plupart des pays construisent des trams, tandis que notre pays les annule ! », s’insurge Amina.

Cette femme de 70 ans habite à Korba, le coin le plus huppé d’Héliopolis. Elle ne possède pas de voiture et s’est habituée à prendre le tramway pour faire ses achats.

« Au début de mon mariage en 1963, le billet du tram ne coûtait qu’une piastre. Je voyais les ouvriers le nettoyer de bon matin dans le garage. Tous les habitants d’Héliopolis connaissaient ces histoires », raconte avec nostalgie Camélia Youssef, qui habite depuis son enfance à côté de la cathédrale de Sainte-Fatima.

Mais les responsables ont plutôt les yeux rivés sur l’avenir. D’après eux, la construction des autres tronçons de la ligne 3 se poursuivra jusqu’en 2020. Une fois achevée, elle se prolongera sur 33 km et permettra à 1,8 million de passagers de traverser la capitale depuis l’aéroport jusqu’aux quartiers situés sur l’autre rive du Nil !

Le vaste plan de désengorgement du Grand Caire ne s’arrête pas là: deux autres lignes de métro doivent voir le jour d’ici 2022.

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