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SOS enfants maltraités

Dina Darwich, Lundi, 11 août 2014

Une vidéo diffusée sur YouTube montrant un directeur d’orphelinat frapper violemment des enfants, indigne les Egyptiens. Au-delà de ce fait, c’est la question des mauvais traitements dans les orphelinats qui est aujourd’hui posée.

SOS

« D’un orphelinat à l’autre, j’ai accu­mulé les raclées. J’ai connu ce genre de punition à un âge précoce. Je n’avais que 4 ans quand ma mère alternative me giflait continuellement car je faisais pipi involontaire­ment. Je souffrais d’une faiblesse du muscle de la vessie qui ne me permettait pas de me rete­nir », crie douloureusement Sameh, 15 ans, qui réside aujourd’hui dans un orphelinat 5 étoiles dans le quartier d’Al-Tagammoe Al-Khamès.

A première vue, on a l’impression qu’on est face à un gamin anormal qui a décidé de sur­vivre et de continuer son parcours malgré les remous. Son regard égaré, son sourire indiffé­rent et sa mine innocente nous disent qu’il a décidé de relever le défi. Avec ses cheveux raids à la David Beckham, Sameh est surnommé dans son entourage le « hérisson ». Non seulement ce nom reflète son apparence et son physique, mais aussi son caractère rebelle. « Je ne permets pas que l’on porte atteinte à mon corps ou à ma dignité ». C’est ainsi qu’il résume sa philoso­phie. Il ne cesse d’exhiber ses muscles avec ses collègues de l’orphelinat qui s’avèrent être éga­lement ses collègues de classe. Un show qui lui coûte cher, car en réplique, ses compagnons de route ne cessent de lui donner constamment des coups de pied. « Aujourd’hui, je suis plus résis­tant. Avec le temps, j’ai formé une certaine immunité, à cause des coups de toutes sortes que mon corps a endurés, tantôt avec la canne, tan­tôt avec la ceinture et d’autres moyens. Comment me demande-t-on d’avoir de la pitié envers mes frères, alors que j’ai de tout temps été traité impitoyablement? Je détestais mes mères alter­natives et je déteste encore tout le personnel de l’orphelinat qui m’humiliait. Le dialogue est quasiment absent. La violence est la monnaie courante dans l’orphelinat », assure Sameh en ajoutant que l’ancien directeur de l’orphelinat allait jusqu’à brûler les organes génétiques de certains collègues pour les empêcher de prati­quer la sodomie. Le cri de Sameh brise le silence des dortoirs macabres. Une récente vidéo diffu­sée sur le site YouTtube ouvre ce dossier épi­neux. Celle-ci montre les agissements violents du directeur d’un orphelinat, Makka Al-Mokarama, situé à Guiza, contre un enfant qui a osé... ouvrir le réfrigérateur! Le directeur de l’orphelinat, sous prétexte de craindre que le petit ne soit électrocuté l’a roué de coups. Ce clip, qui a circulé sur les chaînes satellites, a secoué l’opinion publique et a ouvert un dossier longtemps passé sous silence.

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L’ONG Wataniya lutte depuis 2008 pour la protection des enfants dans les orphelinats.

Selon les chiffres du ministère de la Solidarité sociale, 12000 enfants vivent dans 550 orpheli­nats en Egypte. Le ministère est supposé sur­veiller ces institutions et leur fournir des aides financières et une assistance technique. L’affaire de l’orphelinat de Guiza soulève une question importante: les enfants sont-ils bien traités dans les orphelinats en Egypte? « Ce genre de pra­tique a toujours été utilisé dans les orphelinats. On considère alors que c’est une méthode d’éducation », avoue Nahla Al-Nemr, 29 ans, qui a connu une expérience similaire, car elle été élevée dans un orphelinat au quartier de Sayeda Aïcha et dans lequel elle a assumé plus tard la charge de surveillante. Elle se rappelle ces « raclées » qu’elle recevait des surveillantes à cause d’une mauvaise note ou un ordre non exécuté. « Quand j’ai atteint l’âge de la puberté, mon côté rebelle a commencé à émerger. J’ai développé alors le sens de la résistance face aux violences », affirme Nahla. Elle mène alors la résistance contre les méchantes surveillantes. « Nous avons porté plainte auprès du conseil d’administration qui a sanctionné les sur­veillantes en supprimant une partie de leur salaire et leur a adressé une mise en garde. Le problème à l’orphelinat de Makka Al-Mokarama est que c’est un membre du conseil d’adminis­tration qui a commis les violences. Les enfants ne pouvaient pas se plaindre », explique Nahla qui travaille actuellement comme coordinatrice dans la formation des bénévoles dans une ONG. Elle est déterminée, semble-t-il, à poursuivre sa bataille et à améliorer les conditions de vie des orphelins.

Les mauvais traitement, un phénomène

Tamer, enfant de 11 ans, qui habite un orphe­linat à la cité du 6 Octobre, partage l’avis de Nahla. « Au lieu de nous protéger, les respon­sables de l’orphelinat utilisent la violence et ne cessent de nous rappeler que nous sommes des laissés-pour-compte. A leur sens, il est toujours inutile de faire un effort avec un bâtard », dit Tamer qui a transmis sa plainte à un programme télévisé. Les mauvais traitements sont-ils un phénomène dans les orphelinats en Egypte ? « Oui, bien sûr » s’indigne Yasmine Al-Hagry, responsable de relations externes à l’ONG Wataniya qui milite depuis 2008 pour établir des critères internationaux de qualité dans les orphe­linats d’Egypte. « Le recours à la correction d’une manière violente parfois s’explique par le manque de compétence du personnel opérant dans les orphelinats qui a besoin d’une forma­tion différente. D’autant plus que nous sommes devant des enfants qui ont perdu leurs familles, leur soutien essentiel dans la vie », dit Al-Hagry. Très peu d’orphelinats en Egypte emploient un personnel véritablement qualifié. Et si l’affaire de Makka Al-Mokarama a été très médiatisée, beaucoup de cas de mauvais traitement dans les orphelinats ne sont pas connus. De plus, il n’y a pas de mécanismes pour protéger les enfants. « On pourrait par exemple dresser une liste noire des personnes qui commettent de tels actes dans les orphelinats et la déposer au ministère de la Solidarité sociale. Celle-ci servirait de référence aux orphelinats en cas d’embauche d’un nouveau membre du personnel », affirme Al-Hagry. Autre problème: il n’y a pas de cri­tères pour le choix des gérants des orphelinats. « Le directeur de Makka Al-Mokarama avait un casier judiciaire. Comment a-t-on autorisé un homme pareil à gérer un orphelinat », se demande Al-Hagry.

Beaucoup de gérants d’orphelinats avouent battre les enfants car « il n’y a pas d’autres solu­tions ». C’est ce qu’affirme Youssef Salah qui gère un orphelinat à Al-Tagammoe Al-Khamès depuis 3 ans. « Il arrive parfois que les enfants insistent à commettre des gaffes impardon­nables », dit-il. Il raconte l’histoire de 3 enfants qui séjournent à l’orphelinat et qui ont formé une bande pour voler les magasins dans les alen­tours. En une seule journée, ils ont réussi à voler plus de 3000 L.E. « Comment voulez-vous que je réagisse dans ce genre de situation, alors que le ministère ne m’apporte aucune aide? A la station de police, personne n’a voulu prendre les enfants, et c’était la même chose au ministère de la Solidarité sociale. J’ai donné une bonne leçon à ces enfants pour les empêcher de recom­mencer. Il faut savoir que pour chaque cas, il y a des exceptions », avance Youssef qui a sa propre philosophie pour justifier le recours aux punitions physiques. « Lorsqu’on frappe un enfant, c’est pour lui inculquer une leçon », dit-il.

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Dans la plupart des orphelinats, le personnel a besoin de formation.

Pour sa part, le ministère de la Solidarité sociale multiplie les inspections depuis l’affaire de l’orphelinat de Guiza. Lors d’une conférence de presse, la ministre Dr Ghada Wali, a annoncé que le ministère a adopté, en juin dernier, 6 cri­tères internationaux de qualité pour les orpheli­nats, ce qui permet de surveiller les perfor­mances de ses institutions. « La protection de l’enfant est une priorité. Ces critères seront appliqués dans les nouveaux orphelinats. Pour les orphelinats déjà établis, le ministère donne­ra un délai d’une année, qui servira de période transitoire afin de se conformer aux normes », a déclaré le ministre.

La Coalition des droits de l’enfant, un réseau de 19 ONG qui travaillent en partenariat avec l’Unicef, tente de créer des mécanismes pour protéger les enfants en danger. La loi 126 de 2008 mentionne 14 cas ou situations qui mettent les enfants en danger. Or, cette loi n’est pas appliquée. « Nous tentons de relancer cette loi. Nous avons aussi fondé une ONG qui accueille les enfants victimes de violence. Après avoir vu le film de Dar Makka Al-Mokarama, j’ai contac­té le ministère pour dire que notre ONG est prête à accueillir les enfants de cet orphelinat afin de les sauver du traitement cruel du direc­teur », assure Rania Fahmi, directrice de l’ONG Benti (ma fille) et membre de la Coalition égyp­tienne des droits de l’enfant. Et ce n’est pas tout. L’association Wataniya a lancé une initiative intitulée « Connais-moi, je ne suis pas seule­ment un orphelin ». Cette campagne tente de sensibiliser la société aux besoins pédagogiques, psychiques et sociaux de l’orphelin. « Qui vous a dit que nous avons seulement besoin de quelques L.E. tirées de vos poches pour sur­vivre? Nous avons surtout besoin de votre attention, votre protection et votre sympathie. Surtout que la question est liée à la vie d’un individu digne qu’on lui prête l’oreille », conclut Riham, 14 ans, qui séjourne dans un orphelinat dans le quartier de Madinet Nasr.

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