Je gagne 500 L.E. et je n’arrive pas à joindre les deux bouts. Les 5 derniers jours du mois, je dois acheter à crédit pour nourrir ma famille. De mon salaire, je ne prends que 3 L.E. par jour, pour le transport, le reste de l’argent, c’est ma femme qui est chargée de le gérer », relate Mohamad Hassan. Marié, ayant 2 enfants à charge, il travaille comme agent de nettoyage. Il dit que s’il s’absente un jour, on le lui retire de son salaire. Un salaire dérisoire qu’il essaye d’équilibrer en faisant le ménage à raison de 100 L.E. par jour, chez des personnes aisées qui habitent les quartiers huppés. C’est un travail temporaire pour affronter la hausse des prix. «
Faire le ménage chez les autres est rentable, mais ce n’est pas un travail régulier. Je ne peux pas compter sur cet argent supplémentaire », poursuit Hassan dont la famille habite à Kafr Ghatati, une banlieue de Haram, à Guiza.
Dans ce quartier qui ressemble à une zone sauvage, tous les voisins mènent le même mode de vie, et nourrir leurs familles est un défi. Pour Fatma, l’important est que ses enfants ne dorment pas le ventre vide.
« Le déjeuner est le repas le plus important de la journée. Il y a des jours où je ne parviens pas à satisfaire ma famille, avec seulement des pâtes à la sauce tomate ou des frites. Il faut faire preuve d’ingéniosité face à la cherté de la vie, pour rassasier l’estomac de 4 personnes avec seulement 10 L.E. par jour », explique Fatma, l’épouse, qui n’a jamais réussi à équilibrer le budget familial. Avant l’arrivée du salaire, elle aspire à régler beaucoup de choses. Hélas, avec la maigre paye de son mari, ses espérances sont réduites à néant. Elle est obligée de tendre la main avant la fin du mois. « Je fais attention à mes dépenses et je ne m’offre rien qui ne soit indispensable », lance cette femme tristement.
Fatma, 30 ans, se contente de porter ses vieux vêtements, pourvu qu’ils ne soient pas déchirés. Elle n’achète que rarement de nouveaux habits pour ses enfants, seulement durant les fêtes de l’Aïd Al-Fitr ou l’Aïd Al-Kébir. Une seule tenue pour les deux fêtes. De temps en temps, leur tante paternelle leur offre quelques vêtements.
Entre le coût des légumes, la facture d’électricité et les soins, en cas de maladie de ses enfants, Fatma ne peut rien prévoir. « C’est de la folie, le kilo de concombres coûte 6 L.E., les oignons 3 L.E. et les tomates 4 L.E. », poursuit Fatma qui fait pourtant ses courses dans un autre quartier afin d’économiser 2 L.E. Elle dit ne pas pouvoir supprimer le lait et le yaourt. 7,5 L.E. pour un litre de lait qui se consomme en 2 jours. Ses deux enfants âgés de 3 et un an sont trop jeunes et en pleine croissance, elle ne peut pas les priver des produits laitiers. Mais elle peut se passer de fruits même s’ils sont essentiels pour eux. Elle n’en achète que lorsque les prix sont réduits. Par exemple quand les 3 kilos de raisins coûtent 10 L.E. ou quand le prix des pommes est à 3 L.E. le kilo. Ses enfants apprécient énormément ces fruits.
N’ayant pas une alimentation équilibrée et cherchant souvent les produits les moins chers, Fatma a fini par avoir la santé fragile et souffre d’anémie. « Peu importe ma santé, l’important c’est celle de mes enfants ». Sa fille, qui a un an, souffre d’asthme. Elle arrive à payer la visite médicale qui n’est pas chère, mais les prix des médicaments sont exorbitants pour elle. « On ne peut badiner avec la santé de ses enfants. Je me fais prêter de l’argent pour couvrir les frais des médicaments qui atteignent les 200 L.E. », précise-t-elle.
Chaque mois, elle doit emprunter 300 L.E. à ses parents ou ses voisins pour joindre les deux bouts.
Ils empruntent de l’argent à leurs amis. Mais ils craignent qu’un jour, ces gens ne perdent patience et ne leur tournent le dos. Pour le moment, ils n’ont pas d’autres alternatives.
Quant à sa consommation d’électricité, elle doit faire très attention. Elle tente aujourd’hui de choisir les appareils qui consomment moins d’énergie.
« Nous n’avons que ce ventilateur accroché au plafond. Bien que je ne possède pas d’appareils électriques, ma facture d’électricité est salée, entre 55 et 60 L.E. par mois », dit Fatma qui tente de réduire sa consommation en gardant une seule pièce allumée ou en allant passer quelques jours chez les beaux-parents. Fatma ne dispose pas d’un téléphone fixe, elle n’utilise son portable que pour recevoir des coups de téléphone de ses parents qui vivent à Charqiya (gouvernorat du Delta). Originaire d’une zone rurale, on lui envoie sa part de riz et de fèves à chaque saison de récolte, ce qui réduit ses dépenses relatives à ces produits alimentaires.
Le soir, toute la famille se réunit devant l’immeuble pour papoter avec les voisins à la lumière des lampadaires de la rue. En effet, le divertissement ne fait pas partie du budget de cette famille. La hausse des prix a poussé Hassan à laisser tomber cette possibilité de se divertir car une sortie pourrait lui coûter 30 L.E. « J’espère entrer dans une tontine pour avoir un peu plus d’argent, mais je ne pense pas que ce soit possible pour le moment », conclut Fatma tristement, dont le rêve est de pouvoir un jour faire quelques économies.
L'éducation, une nécessité primordiale
Aujourd'hui, les familles aisées tentent elles aussi de faire des choix pour affronter la hausse des prix. (Photo : Mohamad Adel)
«
On doit d’abord couvrir les frais de la scolarité de nos enfants. Car la livre égyptienne a perdu de sa valeur à cause de l’inflation », lance Amr Al-Khodari, décorateur qui travaille à son compte et dont le revenu mensuel est d’environ 30 000 L.E. Mais Al-Khodari a commencé à faire des sacrifices, à se serrer la ceinture pour ne pas être pris au dépourvu. «
Même si je ne dois rien laisser à mes enfants, je suis content de les avoir bien éduqués. Et je suis sûr qu’ils pourront se débrouiller dans la vie », poursuit-il. En fait, Al-Khodari a jugé nécessaire de contrôler ses dépenses, même celles de l’éducation de ses enfants qui absorbe la plus grande partie de son budget. Il a préféré qu’ils ne soient plus scolarisés dans une école internationale qui coûte 60000 L.E. par an et les a inscrits dans un établissement scolaire dont les frais sont moins onéreux, 30000 L.E. Le fait de garder un certain niveau de vie relève du défi. Amr Al-Khodari veut que sa famille ne manque de rien, mais il déteste cette façon qu’ont les adolescents d’imiter aveuglément leurs camarades et d’humilier celui qui n’a pas un portable dernier cri par exemple. «
Le fait de répéter aux enfants qu’ils risquent un jour de ne plus avoir ce qu’ils veulent est primordial. Je leur ai expliqué que je travaille à mon compte et que la roue peut tourner dans le mauvais sens. Il est fort possible que je ne puisse plus gagner autant d’argent à l’avenir », commente Khodari. En effet, ces trois dernières années de troubles politiques ont eu des répercussions sur les hommes d’affaires et les citoyens en général. Amr a beaucoup d’amis qui ont liquidé leur business pour aller travailler dans les pays du Golfe ou ailleurs. Agrandir son business a coïncidé avec les événements de la révolution accompagnés de la hausse des prix. Khodari ne veut pas priver sa famille, mais trouver des alternatives est devenu l’une de ses priorités. Il a préféré ne plus payer les frais de transport en autobus de ses 2 enfants qui coûtent 12 000 L.E. par an. Il a engagé un chauffeur avec un salaire de 1200 L.E. par mois, pour les accompagner à l’école et faire les courses quotidiennes.
Comme ses enfants sont dans des écoles poursuivant un système d’enseignement américain, Al-Khodari a fait un abonnement d’un an pour sa fille qui pourra suivre des cours particuliers dans un centre au lieu des leçons privées à domicile qui coûtent plus cher.
En fait, garder son niveau de vie est un défi. « Nous essayons de ne pas trop changer nos habitudes, mais nous nous trouvons souvent coincés financièrement », dit-il. Pour lui, le shopping, le sport et les divertissements sont permis, mais il faut faire un choix, pour limiter les frais. Un autre exemple: réduire les dépenses en habits pour acheter sa marque préférée.
Pour le tennis, il a dû inscrire sa fille dans un autre club moins cher, à 250 L.E. par mois au lieu des 600 L.E. qu’il paie dans le club précédent.
Pour les sorties, il préfère emmener sa famille dans les restaurants de fast-food plutôt que dans les restaurants cinq étoiles où la facture peut atteindre les 1 200 L.E pour 4 personnes. En plus, il n’est plus question que ses enfants fêtent leurs anniversaires dans un café. D’ailleurs, sa fille Farah ne répond plus aux invitations de ses camarades de classe, sauf ses amies intimes. Quelques petites restrictions afin de pouvoir maintenir le même niveau de vie.
Khodari va se contenter cette année de passer les vacances d’été à la Côte-Nord, au lieu de partir à l’étranger et claquer des devises. « On attend que l’économie reprenne son souffle pour que l’on puisse bouger à notre aise », conclut-il.
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