Tension dans les rues d’Egypte. Depuis plus d’une semaine, des frictions ont régulièrement lieu entre les chauffeurs de taxis ou de microbus et les usagers. Motif : la hausse subite des tarifs, due à l’augmentation des prix du carburant. La décision prise par le gouvernement remonte au 5 juillet. Le prix de l’octane 80, le carburant le plus utilisé par les chauffeurs de taxi et de microbus, passe de 90 à 160 piastres, soit une hausse de 78 %. Le prix du diesel utilisé le plus souvent par les camions passe, lui, de 110 à 180 piastres (plus 64 %). Le gaz naturel utilisé par beaucoup de taxis augmente de 40 à 110 piastres (plus 175 %). L’essence 95 utilisée pour les véhicules les plus modernes et les plus chers passe de 585 à 625 piastres, soit une hausse de 7 %. Quant à l’essence 92, son prix passe de 185 à 260 piastres.
Le secteur des transports est le premier à payer les frais de cette hausse des prix du carburant. Suite à cette hausse, le gouvernement a augmenté de 10 % les tarifs des microbus, et promis de ne pas augmenter les tarifs des moyens de transport public, comme le métro et les superjets.
Cependant, la plupart des chauffeurs de microbus ne respectent pas les nouveaux tarifs. Certains ont augmenté de 100 % leurs tarifs. D’autres, jugeant insuffisante l’augmentation officielle, ont refusé de travailler en guise de protestation. A Guiza, Qalioubiya, Alexandrie, Suez, Ismaïliya, Ménoufiya, Béheira, Charqiya, Kafr Al-Cheikh, Béni-Souef et Port-Saïd, il y a eu des frictions entre les chauffeurs et les usagers. Ces derniers à leur tour se sont mis à protester.
Il est midi, la station de microbus d’Ahmad Helmy, à proximité de la place Ramsès, au Caire. Les scènes de colère et les disputes sont quasi quotidiennes. Les microbus font la liaison entre Tahrir et les quartiers de Haram, Madinet Nasr, et la cité du 6 Octobre. La station est pleine à craquer. Plusieurs dizaines de microbus sont stationnés. Les chauffeurs sont assis à côté de leurs véhicules, moteurs éteints, et refusent de démarrer. Ils veulent le double du tarif. Mais les usagers ne veulent pas payer plus que le tarif officiel. « Mon microbus me rapporte 200 L.E. environ par jour. Le tarif officiel est injuste. Nous voulons le double, car nous aussi nous avons besoin d’augmenter nos revenus. Nous sommes déjà accablés par la pénurie de l’essence 80 », lance Hamdi Al-Sayed, chauffeur de microbus. Avis partagé par Nour Mostafa, un autre chauffeur. « Avant, je faisais deux fois le plein par jour pour 50 L.E. et aujourd’hui, je fais le plein une seule fois à 50 L.E. Dans de telles conditions, mieux vaut ne pas travailler », dit-il.
Face à la grogne des usagers, certains chauffeurs acceptent de les prendre à condition de faire seulement la moitié du trajet ! « Certains chauffeurs ont accepté de nous prendre mais à un certain nombre de conditions. Ce sont eux qui décident de l’itinéraire à prendre. Ils utilisent des raccourcis pour éviter les embouteillages. Certains déposent les passagers à mi-chemin », dénonce Magda Ibrahim, fonctionnaire, qui doit faire un long trajet à pied pour rentrer chez elle. Cette situation suscite bien évidemment la colère de nombreux citoyens. « Pour me rendre à Haram, je suis obligée de prendre deux microbus au lieu d’un. C’est du temps perdu et de l’argent », lance Imane, fonctionnaire.
Selon les chiffres de l’Administration centrale de la circulation, 80 000 microbus qui parcourent chaque jour les rues du Grand-Caire transportent environ 2,5 millions de citoyens. Seulement 25 % des chauffeurs de microbus respectent le tarif officiel, selon l’Organisme central de mobilisation et des statistiques.
Une main de fer
Pour aider à surmonter la crise, l’armée a engagé un certain nombre d’autobus pour transporter les citoyens.
Côté gouvernemental, le ministère de l’Intérieur a annoncé des « mesures strictes » pour contrôler les chauffeurs de microbus. Des agents de police sont présents dans les stations de microbus pour obliger les chauffeurs à respecter le nouveau tarif. Les chauffeurs qui ne respecteront pas ces tarifs encourent une amende de 500 L.E. et le retrait de leurs permis de conduire. Ces mesures n’ont pas soulagé les citoyens. « Je paie 60 L.E. au lieu de 40 L.E. pour aller à Minya. Un trajet que je dois faire chaque semaine pour rendre visite à ma mère qui est malade. Avec la hausse des tarifs dans les transports, je ne pourrai rendre visite à ma mère qu’une fois par mois. Les dépenses mensuelles de transport sont devenues vraiment un lourd fardeau à assumer », s’insurge Bakr Ali, ouvrier dans une usine de textile à la ville d’Al-Obour, qui touche un salaire de 850 L.E. par mois. « Comme d’habitude, c’est le citoyen qui paie la facture », dit-il. Selon une étude effectuée par l’Organisme central des statistiques, les citoyens paieront en moyenne entre 5 et 7 % en plus pour les transports après la hausse des prix du carburant.
Un problème qui persiste
Des agents de police sont présents dans les stations de microbus pour obliger les chauffeurs à respecter le nouveau tarif.
Cette hausse des prix du carburant est la plus importante que l’Egypte ait connue en 36 ans. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a déclaré que la hausse des prix du carburant, de l’électricité et des taxes sur le tabac et l’alcool est « une mesure nécessaire » pour restructurer l’économie. De son côté, le premier ministre Ibrahim Mahlab a appelé les Egyptiens à « comprendre les défis actuels et à soutenir le gouvernement ».
Pour aider à surmonter la crise, l’armée a engagé un certain nombre d’autobus pour transporter les citoyens, notamment à Guiza. Les autobus des Forces armées avaient également sillonné les rues du Caire en février dernier, lors de la grève des conducteurs des autobus publics. « L’intervention de l’armée pour régler les problèmes est un signe clair de la défaillance du système gouvernemental. Le gouvernement doit mettre en place une politique de transport plus efficace », avance Hozeïn Ahmad, professeur d’ingénierie des routes et de la circulation, à l’Université du Caire. Et d’ajouter : « Le secteur des transports souffre depuis des décennies d’une grande défaillance ».
Quelle est la solution ? « L’Etat n’a d’autre solution que de développer le secteur des transports en commun pour fournir au citoyen un service de transport de qualité et bon marché », explique Ossama Oqeil, expert en matière de transport. Or, le secteur des transports publics est délabré et souffre d’un énorme déficit. Pour solutionner le problème des transports, l’Etat a autorisé les microbus à la fin des années 1980, mais ces derniers sont livrés à l’anarchie, loin de tout contrôle de l’Etat. Des minibus et des bus climatisés (CTA) ont aussi été créés, mais sans grand succès. « La plupart des problèmes dans ce secteur sont dûs au fait qu’il n’y a pas de politique claire pour les transports publics en Egypte. Depuis la fin des années 1980, on assiste à un désengagement de l’Etat », ajoute Ossama Oqeil. Le toc-toc, un moyen de transport très bon marché qui sillonne déjà les quartiers populaires, aurait pu offrir une solution. Mais à l’origine d’une grande anarchie, celui-ci fait l’objet d’une interdiction d’importation.
Le gouvernement a déclaré deux jours après la hausse des prix du carburant et la grève des chauffeurs de microbus, avoir consacré 1,4 milliard de L.E. aux transports en commun. Et 1 000 bus supplémentaires seront mis en service. 1 300 autres offerts par les Emirats arabes unis seront aussi mis en circulation, dont 600 sillonnent déjà les rues du Caire.
« Il faut voir comment fonctionnent les transports dans les autres pays. Le monde entier a modernisé ses moyens de transport public, au point que dans certains pays, les citoyens ont décidé eux-mêmes de laisser leurs voitures privées et d’utiliser les transports en commun. Ceci va d’une part réduire la consommation de carburant, et d’autre part, réduire les embouteillages », rétorque Oqeil.
Les responsables du ministère des transports se contentent d’annoncer qu’une « commission sera formée pour étudier le problème avec les ministères concernés : les Transports, l’Intérieur et la Coopération internationale ».
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