« Les enzymes de votre foie sont très élevées. Le virus C s’est emparé de votre foie », diagnostique le médecin à Sami Abdallah, un fonctionnaire. La nouvelle choque. Il venait faire des analyses pour se préparer à une intervention chirurgicale sans rapport avec le foie.

Nombreux sont les malades atteints du virus
C qui n'arrivent pas à subvenir aux frais
de la maladie.
(Photo: Bassam Al-Zoghby)
De temps en temps, il ressentait des maux de ventre, au côlon un peu de paresse. Mais il ne s’est jamais imaginé qu’il s’agissait des symptômes d’une hépatite. Depuis, un parcours du combattant a commencé pour obtenir le traitement classique : interféron et ribavirine pendant 48 semaines.
Touchant 1 200 L.E. par mois, il ne peut assumer ce coût de 1 400 L.E. Il n’a d’autre choix que de demander une assistance médicale. Pour cela, il doit se présenter devant des conseillés médicaux et remplir des formulaires infinis. Abdallah a mis 6 mois à obtenir sa première injection. Mais 2 mois plus tard, l’interféron n’était plus disponible. Une situation grave car si le traitement à l’interféron est interrompu, le malade doit recommencer à zéro.
Cette situation est celle de la plupart des malades atteints du virus C en Egypte. Ils suivent les nouvelles annoncées par les responsables du ministère de la Santé leur promettant de temps en temps qu’une nouvelle découverte mettra fin à leurs douleurs.
En 2002, il y a eu l’annonce de la production d’un générique de l’interféron à un prix abordable. Quelques mois plus tard, c’était l’annonce de l’importation de la pilule jaune venue de Chine, la DDB. Cette pilule était, selon les journaux, « salvatrice et miraculeuse » car elle était capable de diminuer le nombre des enzymes hépatiques dans le corps et de permettre au foie d’améliorer ses capacités de renouvellement cellulaire. Mais sans résultat.
En 2006, un programme national pour la lutte contre le virus C a été lancé par le ministère de la Santé. L’annonce a été suivie par la création de 26 centres éparpillés dans le pays et spécialisés dans l’accueil et le traitement des malades.
En 2007, le Centre national des recherches scientifiques a avancé qu’il avait réussi à découvrir un médicament à base d’herbes qui, selon les chercheurs, était capable de détruire le virus. Il consistait en un mélange de plantes et un flacon de gouttes. Les plantes prises par voie orale étaient censées protéger les cellules du foie et arrêter leur dysfonctionnement. Le flacon contenait des gouttes à instiller par voie nasale matin et soir. Sans résultat non plus.
Aujourd’hui, et une fois de plus, l’Organisme d’ingénierie, dépendant des forces armées, annonce la découverte d’un appareil baptisé Complete Cure Device, soi-disant capable de détecter et de soigner le virus en un clin d’oeil. Il consisterait à extraire le virus C du corps en avalant une kofta (boulette de viande). La blague !
En parallèle, le ministère de la Santé annonce qu’il va importer des Etats-Unis le nouveau médicament américain Sovaldi, efficace dans le traitement du virus C, à seulement 1 % de son prix réel. Sovaldi est, d’après les responsables au ministère, la dernière génération de traitement contre le virus C capable de s’attaquer à toutes les souches du virus sans les effets secondaires des anciens traitements. Selon l’agence Reuters, le Sovaldi devrait être disponible en Egypte pour le prix de 300 dollars (2 200 L.E.) au lieu de 3 500 dollars la boîte aux Etats-Unis. Le traitement, qui doit s’écouler sur 6 mois, coûterait ainsi 18 000 dollars. L’information reste à vérifier.
Au milieu de ce tumulte de déclarations, de promesses et de manipulations, certains médecins ont annoncé des méthodes de traitement sans aucun rapport avec la science. Celui qui se prétend docteur, Mohamad Al-Abd, « spécialiste de médecine tropicale et de l’appareil digestif », affirme qu’il est possible de soigner l’hépatite C par les pigeons. Cette méthode consiste à mettre en contact l’anus d’une jeune pigeonne avec le nombril du malade, jusqu’au moment où la pigeonne meurt. Le ministère de la Santé a fermé les deux cabinets de ce médecin et plusieurs personnes pratiquant cette méthode de soin ont été arrêtées. Mais le traitement est toujours répandu et pratiqué par d’autres personnes, qui n’ont besoin, pour ce faire, ni d’être médecin, ni de posséder de cabinet médical.
Chaque jour apporte une nouvelle déclaration et un nouvel espoir pour certains. Les médias, quant à eux, sans vérifier, jouent sur le désespoir des malades, avançant des informations floues et contradictoires.
Car à chaque fois, rien n’est prouvé. « J’ai suivi toutes ces nouvelles qui nous ont été présentées comme autant des bouées de sauvetage. Je me suis raccroché chaque fois à un nouvel espoir de guérison et j’ai essayé tout ce qui est à ma portée », poursuit Sami Abdallah, qui a dû payer 3 000 L.E. pour obtenir la pilule jaune, mais qui confie ne pas être guéri. Pire encore, son état ne cesse de se détériorer.
20 % des Egyptiens atteints
d’hépatite C
D’après les chiffres de l’OMS, 20 % des Egyptiens sont atteints de l’hépatite C (VHC). L’Egypte est le pays où la prévalence du VHC est la plus élevée au monde. Environ 70 % des porteurs chroniques souffrent d’une inflammation du foie. Dans un quart des cas, la situation dégénère à cause d’une cirrhose, conduisant l’organe vital à s’arrêter. Chaque année, 200 000 nouveaux patients s’ajoutent à cette liste et entre 3 et 5 % des cas atteints d’hépatite C deviennent porteurs du cancer du foie et ont besoin de greffe
Résignés à leur sort, ces malades se jettent corps et âme sur n’importe quel traitement. « Je ne me soucie pas de la source d’où proviennent ces nouvelles inventions miraculeuses ou découvertes sorties de nulle part. L’important pour moi c’est d’y accéder et donc de guérir », dit Hassan, un professeur, atteint d’une cirrhose du foie.
Après avoir été traité à l’interféron pendant 7 ans, il est à la recherche du Sovaldi qui n’est pas encore arrivé en Egypte. Hassan a opté pour l’interféron importé qui coûte 1 400 L.E., car il n’avait pas de confiance dans le reiféron, la version égyptienne, qui lui fait une peur bleue, pour avoir vu beaucoup d’amis en échec ou dans des états complexes.
Hassan craint que ce nouveau médicament ne subisse le même sort de l’interféron, dont l’efficacité est aujourd’hui mise en cause, alors qu’il était le seul véritable traitement existant. « J’avais besoin de 3 injections par semaine, chacune coûte 1 400 L.E. et ce traitement dure au moins un an. Sans compter le PCR (les analyses) dont le coût dépasse les 800 L.E. », explique Hassan, tout en assurant que son état s’est rapidement dégradé.
Aujourd’hui, il a besoin d’une transplantation de foie, sinon il risque le pire. Hassan, qui n’arrive pas à assumer le coût de l’intervention chirurgicale qui dépasse les 500 000 L.E., a laissé son travail, passant sa journée d’une file d’attente à l’autre et faisant le tour de l’Institut national du foie à Qasr Al-Aïni et des bureaux de l’assurance médicale. Après avoir frappé à toutes les portes et vendu tout ce qu’il possédait, il n’a pu collecter que la moitié de la somme.
D’après Dr Moustapha Kamal Mohamad, hépatologue, les maladies du foie représentent le plus grand défi pour le système de santé. « Il existe une vive polémique autour de l’efficacité des médicaments présents sur le marché. L’interféron, par exemple, a un effet limité alors que les responsables au ministère de la Santé le présentent aux patients comme un médicament miraculeux car ils sont incapables de fournir aux malades d’autres médicaments », dit-il.
Il dénonce aussi le fait qu’il n’existe pas en Egypte de protocole de soin clairement établi. « Ce qui oblige les patients à se soigner à l’aide d’autres remèdes prescrits par leurs médecins, comme les antioxydants qui, s’ils ne sont pas censés guérir la maladie, peuvent dans certains cas protéger le foie de la cirrhose et du cancer, à l’instar de la DDB, la pilule jaune », ajoute-t-il.
Un avis partagé par Dr Ali Moustapha, hépatologue, qui pense que le système de santé public égyptien n’a pas les moyens de gérer l’hépatite C, du point de vue de la prévention comme des soins. Il estime que seules les initiatives privées pourront proposer des solutions et assumer les frais des recherches scientifiques ainsi que l’importation ou la production des traitements. « La gratuité des soins n’étant souvent que pure chimère », explique-t-il.

(Photo: Mohamad Adel)
Cette situation a poussé certains patients à se soigner selon leurs moyens et surtout selon leur culture. Les plus riches partent à l’étranger alors que les plus pauvres s’orientent vers d’autres thérapies, notamment traditionnelles.
L’espoir fait tenir
Nadia, femme au foyer, assure qu’elle a tout essayé y compris les piqûres d’abeilles et les médicaments à base d’herbes. Aujourd’hui, pharmacies, herboristes et charlatans jouent sur ce besoin de guérison.
Zeinab Al-Sénoussi est une vétérinaire installée à Marsa Matrouh. Devant sa clinique, une file d’attente de patients ne cesse de s’allonger. Elle prétend traiter le virus C avec du lait de chamelle. Son équipe distribue des brochures qui présentent les bienfaits de ce lait et le nombre considérable de maladies qu’il peut guérir. « Pourquoi ne pas essayer cette recette, surtout qu’il n’existe pas de traitement efficace pour vaincre cette maladie et que le traitement est d’un prix exorbitant et sans résultat. De plus, le lait est conseillé par notre prophète », argumente l’un des patients.
D’autres tentent de faire pression sur les responsables, tout en leur rappelant la date du premier juillet avancée par l’armée comme le début de l’application du traitement miracle : le Complete Cure Device. « Nous avons créé un groupe qui s’appelle Soignez-nous et nous avons commencé à collecter des signatures des patients », dit Samiha, une malade.
Une question d’optimisme, d’illusions ou même de foi ? Le psychiatre Mohamad Abdallah pense que c’est l’espoir qui pousse les patients à s’accrocher à tout nouveau traitement. « Pourtant, il ne faut pas jouer sur l’espoir des gens. L’espoir non fondé ne va pas aider, le désespoir non plus », conclut-il .
Lien court: