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Une crédibilité en baisse

Dina Bakr, Mardi, 17 septembre 2013

Entre ceux qui l'accusent de menacer la sécurité nationale et ceux qui y sont fidèles, les avis des téléspectateurs d'Al-Jazeera divergent. Néanmoins, la chaîne a perdu de son audience.

Une crédibilité en baisse

« Je ne veux plus suivre les informations diffusées par Al-Jazeera, car elle soutient les Frères musulmans », précise Marwa, professeur d’histoire, qui a décidé de bloquer sur son compte Facebook un présentateur d’Al-Jazeera qui a traité d’assassin Abdel-Fattah Al-Sissi, ministre de la Défense, lors de la diffusion des vidéos montrant des corps de manifestants carbonisés. En fait, Al-Jazeera a perdu sa crédibilité depuis qu’elle a diffusé des photos d’enfants massacrés en Syrie, en faisant croire au public que ce sont de Rabea Al-Adawiya. Beaucoup d’analystes pensent que la chaîne veut entraîner l’Egypte dans le chaos comme c’est le cas en Syrie.

Dernièrement, la Cour administrative a ordonné la fermeture d’Al-Jazeera Mubasher Misr (Al-Jazeera Egypte en direct). Les autorités pensent que cette chaîne porte atteinte à la sécurité du pays.

Une crédibilité en baisse
La couverture d'Al-Jazeera ne s'intéresse qu'aux manifestants pro-Morsi.

Pourtant, à ses débuts, cette chaîne jouissait d’une grande audience auprès des téléspectateurs.

Objectivité, transparence et professionnalisme ont marqué les programmes d’Al-Jazeera. « Le service de l’observation et de la qualité à Al-Jazeera a estimé à 60 millions le nombre de téléspectateurs à travers le monde arabe, au début de l’année 2000 », affirme Hussein Abdel-Ghani, ex-directeur du bureau d’Al-Jazeera au Caire. Abdel-Ghani déclare avoir été satisfait par le discours adopté par la chaîne à l’époque de Moubarak. Elle a dénoncé la corruption à travers des enquêtes menées lors du naufrage du navire Al-Salam et de l’incendie du train en Haute-Egypte par exemple. Elle a même dénoncé la fraude électorale qui a eu lieu en 2007 ainsi que la torture dans les prisons. « Après la révolution du 25 janvier 2011, Al-Jazeera est devenue un acteur politique et non un moyen d’information neutre et objectif. La chaîne a dévié de sa trajectoire en adoptant la vision de l’émir du Qatar », regrette Abdel-Ghani. Ce qui a entraîné la chute de son audience d’après la presse étrangère. Le journal suédois Aftonbladet a signalé dans son supplément Kultur que le nombre de ses téléspectateurs a diminué pour atteindre les 6 millions dans le monde arabe.

Une autre enquête d’audience américaine élaborée en février dernier précise que l’audience de la chaîne a chuté de 43 millions à 6 millions dans le monde arabe.

Une crédibilité en baisse

Yasser Abdel-Aziz, expert en médias, voit tout de même qu’Al-Jazeera a joué un rôle crucial en incitant le peuple à se révolter contre le régime de Moubarak, mais elle a perdu sa crédibilité en adoptant la politique menée par la famille qatari au pouvoir. Abdel-Aziz pense que la chaîne met sous les projecteurs des événements, tout en ignorant délibérément d’autres. Le peuple égyptien est descendu à la fin du mois de juin dernier en grand nombre dans la rue pour demander à l’armée d’agir et de mettre fin à la violence des groupes islamistes.

Al-Jazeera a choisi ce jour-là d’ignorer ce rassemblement. Elle n’a diffusé que les images de Rabea et d’Al-Nahda, tout en négligeant les manifestants de Tahrir. Elle a choisi son camp : être avec les Frères musulmans. Ceci n’a pas empêché Zahra, femme au foyer, de changer de chaîne. « Je trouve que c’est important de connaître le point de vue des Frères musulmans pour découvrir leurs idées et leurs plans, car les chaînes égyptiennes montrent tout autre chose », affirme-t-elle.

Faire la part des choses

Zahra essaie de comparer les deux points de vue afin de forger la sienne. Cette téléspectatrice a constaté ce manque de transparence et dit que c’est à elle de faire la part des choses. D’autres citoyens font des comparaisons entre ce qui est diffusé à Al-Jazeera et ce qui se passe sur le terrain. « Cette chaîne a montré des manifestations, soi-disant en direct, des Frères musulmans et des pro-Morsi à Abbas Al-Aqqad, à Madinet Nasr et au centre-ville. J’ai téléphoné à des proches qui habitent à proximité de ces lieux et ils m’ont dit qu’il ne se passait rien », rapporte Soraya qui travaille dans une société privée. Cette dernière déclare ne plus faire confiance en cette chaîne qui n’ose pas critiquer la politique qatari et veut à tout prix semer le trouble dans un grand pays comme l’Egypte.

Or, comme la télévision officielle est réputée pour son utilisation de la langue de bois, cela a poussé les téléspectateurs à s’intéresser à Al-Jazeera et à d’autres chaînes.

Amr Hachem Rabie, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, accepte d’apparaître à l’écran de cette chaîne qatari pour prouver qu’il y a des opinions contraires à la politique de cette chaîne.

« A plusieurs reprises, le présentateur pose des questions et exerce des pressions sur l’invité pour obtenir la réponse qui convient au discours de la chaîne », relate Rabie, en ajoutant qu’Al-Jazeera manque de transparence.

Mais ceci ne semble pas empêcher les téléspectateurs fidèles à cette chaîne de la suivre et de croire aux informations qu’elle transmet. Amr, jeune ingénieur, pense que cette chaîne est la seule qui transmet la vérité et avec honnêteté. « J’aime Al-Jazeera, elle se base sur l’image et diffuse les scènes de la rue avec transparence et neutralité. Et si cette chaîne rapporte une information ou un chiffre, elle en cite la source », lance Abdel-Latif Sabri, officier de police à la retraite. Il ajoute qu’Al-Jazeera est la seule chaîne qui a montré la violence exercée par la police lors de la dispersion du sit-in de Rabea. Sabri n’a jamais douté de la crédibilité de cette chaîne, car il dit que ses programmes renferment souvent les deux opinions. D’ailleurs, Al-Jazeera fait sa propre propagande en déclarant posséder la plus forte audience dans le monde arabe.

Fatma de la ville de Mansoura, située dans le Delta, intervient en direct. Elle suggère au présentateur d’Al-Jazeera d’inviter les proches de Mohamad Al-Beltagui, Safouat Hégazi et Mohamad Badie pour révéler au monde ce que « ces gens ont sacrifié pour la cause ».

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