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Les déboires d’Al-Jazeera Mubasher Misr

Manar Attiya, Lundi, 16 septembre 2013

Al-Jazeera Mubasher Misr vit des moments difficiles. En plus des difficultés techniques liées à la rupture des programmes et à la fermeture de ses locaux au Caire suite au verdict du tribunal administratif, l’équipe de la chaîne qatari tente tant bien que mal de couvrir les événements en Egypte .

Al-Jazeera Mubasher Misr

« Allumez vos téléphones portables. Lorsqu’ils sont éteints, les images diffusées ne sont pas nettes. Les téléspectateurs se plaignent. Ils disent que les images sont floues. Ceci permettra à d’autres chaînes de prétendre que les manifestants qui soutiennent Morsi ne sont pas nombreux », lance à haute voix un membre de l’équipe qui travaille auprès de la chaîne qatari Al-Jazeera Mubasher Misr, lancée au Caire lors de la révolution du 25 janvier 2011. Ce membre qui a requis l’anonymat est lui-même reporter photographe qui couvre les manifestations pro-Morsi de Maadi depuis sa destitution.

Aujourd’hui, l’équipe de la chaîne ne dispose plus de studio au Caire. Les autorités égyptiennes ont décidé de fermer son local, situé au 134, rue Al-Nil, Agouza. Ce dernier a été minutieusement fouillé, et les équipements saisis.

Le personnel de la chaîne est obligé d’utiliser plusieurs astuces pour couvrir l’actualité en direct. « Nos locaux ont été fouillés et nos équipements confisqués. Ils nous mettent des bâtons dans les roues et menacent les chaînes qui coopèrent avec nous de subir le même sort », se plaint l’équipe de la chaîne Al-Jazeera Mubasher Misr.

Accusée de soutenir le pouvoir des Frères musulmans et de couvrir de façon partiale les événements sanglants qui ont suivi la destitution de Mohamad Morsi, Al-Jazeera fait l’objet de nombreuses critiques. Sa couverture des événements est considérée d’après la majorité des citoyens comme déloyale et surtout subjective. Dernièrement, le tribunal administratif a ordonné la fermeture définitive des studios de cette chaîne. La raison : Al-Jazeera Mubasher Misr ne dispose pas de licence officielle de diffusion émanant de l’Organisme de l’information, de celui des télécommunications, ou même de l’Union de la Radio-Télévision. Mais le plus grave, c’est que cette chaîne est accusée de porter atteinte à la sécurité du pays.

Le travail se poursuit en dépit des difficultés

Le travail a été interrompu le 7 juillet dernier suite à la diffusion d’une vidéo à partir de laquelle Mohamad Morsi déclarait qu’il était le seul président « légitime » d’Egypte.

Al-Jazeera Mubasher Misr

Aujourd’hui, l’équipe d’Al-Jazeera tente malgré les difficultés de couvrir l’actualité en émettant à partir de Doha, capitale du Qatar. Le personnel a refusé de se plier aux nouvelles injonctions et a même continué à travailler.

« Ils ont coupé tous les réseaux de communication. Mais, cela ne nous a pas empêchés de poursuivre notre travail », confie un membre de l’équipe. Immédiatement après la fermeture du bureau, l’équipe a demandé l’aide d’autres chaînes pour couvrir les événements. « Nous leur demandons de nous refiler des images, du matériel, et nous faisons le montage dans des appartements que nous louons. Au départ, elles nous ont beaucoup aidés, mais à présent, elles sont réticentes et nous accusent de transmettre des informations erronées », explique un membre de l’équipe.

Pour couvrir les événements, l’équipe a recours à toutes les astuces possibles. « Nous avons diffusé des images à partir d’une agence de voitures située à Agouza, fait un montage dans le rez-de-chaussée d’un immeuble à Guiza, un garage à Al-Nahda, voire d’un petit appartement à Rabea Al-Adawiya. Nous envoyons le tout à notre bureau à Doha », ajoute-t-il.

Les pro-Morsi en reporters

Et ce n’est pas tout. En effet, les manifestants pro-Morsi font tout pour aider cette équipe. « Ils nous envoient des photos par courrier électronique ou à travers Skype. Je peux vous citer l’exemple d’une manifestante qui se trouvait au sein de la mosquée Al-Fath, à la place Ramsès à la veille de l’intervention des agents de police. Cette jeune femme, qui a participé au sit-in, nous transmettait au fur et à mesure des vidéos et faisait même des commentaires, tout en décrivant aux téléspectateurs tout ce qui se passait à l’intérieur de la mosquée », note un journaliste, qui pense qu’Al-Jazeera travaille avec professionnalisme et neutralité.

Convaincus que leurs téléphones portables sont sous écoute, les journalistes sont obligés de prendre des précautions en communiquant entre eux. Ils ne donnent pas de détails sur les événements qu’ils vont couvrir et changent constamment leurs numéros de téléphone.

Ce n’est pas la première fois que les responsables égyptiens ferment cette chaîne qatari. La première fermeture était en septembre 2011 et la seconde en février 2012. Et ce, pour les mêmes raisons. D’autres pays comme le Maroc, la Libye, la Tunisie et même la Palestine ont, au cours des dernières années, décidé de fermer les bureaux de cette chaîne.

En plus des mensonges, de la désinformation et de l’incitation à la violence, la chaîne insiste sur le fait de couvrir les événements tout en continuant de soutenir le président déchu.

Al-Jazeera Mubasher Misr

Un employé qui a requis l’anonymat affirme qu’il a préféré démissionner plutôt que de diffuser des mensonges. Et il n’est pas le seul. 23 autres employés ont décidé de quitter la chaîne : des correspondants, des journalistes, des réalisateurs, voire des comptables et des employés. Ils ont démissionné en direct accusant la chaîne TV qatari de mettre de l’huile sur le feu et de soutenir les islamistes. « La direction d’Al-Jazeera nous donne des instructions pour diffuser certaines nouvelles visant à soutenir les Frères musulmans », a révélé le correspondant vedette Karem Mahmoud qui a démissionné en direct.

Aujourd’hui, le Qatar a lancé son propre satellite de télécommunications Sohayl 1 qui servira notamment à la diffusion de ses programmes. Ce satellite basé au Qatar va transmettre exclusivement les chaînes du groupe Al-Jazeera et d’autres pour se positionner en tant que concurrent dans la région du Moyen-Orient à Arabsat d’Arabie saoudite et Nile Sat d’Egypte. « C’est à travers les médias que le Qatar voudrait s’imposer dans le monde arabe », conclut l’ancien ministre de l’Information Ossama Heika.

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