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Soleil, sable et raquette

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 21 septembre 2021

Jeté aux oubliettes depuis des années, le beach ball a de nouveau la cote sur les plages alexandrines. Reportage.

Soleil, sable et raquette
Jouer sur la plage, un plaisir en plus.(Photo : Ahmad Abdel-Kérim)

Comme chaque été, la plage de Sidi Bichr, à Alexandrie, est bondée. Des baigneurs qui prennent un plongeon, des estivants qui prennent un bain de soleil. Pas très loin, un attroupement de passants, se tenant à l’écart sur le trottoir tout près du mur extérieur. Ils ne sont pas là pour contempler la mer, mais pour regarder les matchs de « beach ball », ou raquette comme on l’appelle ici, qui se déroulent tous les jours sur une partie sablonneuse, loin des parasols des vacanciers installés sur le sable, le long du rivage. Tout simplement, avec une balle et deux raquettes en bois, ce jeu, facile à pratiquer, est devenu le loisir des Alexandrins et des estivants. Alexandrie a connu ce jeu pendant l’occupation britannique. Les Anglais ont transformé les origines du jeu en joignant un certain nombre d’enfants pour les aider à ramasser les balles. Ces derniers ont grandi, appris à pratiquer ce jeu et l’ont transmis à d’autres générations. Au fil des ans, ce jeu a imposé sa présence à Alexandrie, particulièrement jusqu’aux années 1990. Le beach ball s’est étendu aussi dans les villes de Port-Saïd et Marsa Matrouh. « Deux adversaires qui essayent de garder la balle en l’air le plus longtemps possible en échangeant des coups de raquette. C’est ça le jeu, mais pour ses fans, il est devenu non seulement une source de plaisir mais aussi une addiction », explique Mohamad Mandour, fondateur d’un groupe de beach ball. Ce groupe et d’autres ont été fondés dernièrement par des Alexandrins dans le but de faire revivre ce jeu de plage qui a connu un grand déclin à cause de plusieurs raisons, surtout la propagation des nouvelles technologies en matière de jeux, en particulier les portables.

Mandour, homme d’affaires quinquagénaire, qui pratique ce jeu depuis plus de quarante ans, comme beaucoup d’Alexandrins, n’a pas voulu le voir disparaître, alors il a fondé un groupe « Yalla Neleab » (allons jouer), pour rassembler tous ceux qui veulent pratiquer ce sport ou apprendre à jouer. Fondé il y a 3 ans, le groupe compte aujourd’hui 18 joueurs âgés entre 12 et 20 ans, et 40 autres entre 30 et 50 ans. Environ 60 joueurs des deux sexes s’entraînent régulièrement deux fois par semaine sur cette plage.

Un sport, une culture

Sidi Bichr n’est pas la seule plage alexandrine à accueillir ces joueurs, on commence à voir d’autres groupes sur d’autres plages comme Stanley et Bahari. Mahmoud Al-Morchidi, un membre fondateur du groupe d’Al-Montaza, explique que les Alexandrins pratiquent ce sport-loisir depuis plus de 100 ans. Ce sont eux qui l’ont propagé à tel point que le jeu est devenu une des composantes culturelles de la ville. Ceci a changé en raison des mutations dans la composition démographique de la ville, devenues évidentes à partir des années 1990. Les plages alexandrines sont réservées dorénavant aux provinciaux, qu’il s’agisse des vacanciers ou de ceux installés à Alexandrie pour gagner leur pain. Ils ont travaillé dans plusieurs domaines d’activités comme la construction, le commerce et même sur les plages. « Ce phénomène a fait que ces derniers ont pris en location les plages par le biais des municipalités et ont imposé leurs lois et culture à ces endroits. Et puisqu’ils sont là pour faire fortune, pour eux, il s’agit d’un business et ils doivent en profiter au maximum. Alors, ils ont planté des parasols pour les louer aux estivants et profiter du moindre espace. Et les places vacantes, il les réserve à la cafétéria. Mais laisser une place pour que les gens jouent à la raquette, c’est très loin de leurs pensées », dit Mandour, en ajoutant que chaque famille possédait un parasol, des chaises, des raquettes et les équipements nécessaires pour se rendre à la plage. .

Soleil, sable et raquette
Les fans de la raquette s’organisent pour faire revivre leur jeu. (Photo : Ahmad Abdel-Kérim)

La scène classique des gens se rendant à la plage deux fois par jour, le matin et le soir, les mains chargées d’articles de plage a disparu pour toujours tout comme beaucoup d’autres détails dans le quotidien des Alexandrins et des estivants venus de loin. Or, la scène des joueurs de raquette qui réapparaît de nouveau sur la plage, c’est le résultat d’un accord tenu entre les groupes de jeu de raquette et certains locataires des plages qui mettent en location une partie de la plage, loin des parasols, pour s’entraîner ou jouer. Et, en échange, les joueurs et les gens qui viennent pour les admirer doivent consommer des boissons dans la cafétéria. Cela commence par un « tac », puis un autre, encore un autre et ainsi de suite entre deux joueurs ou parfois quatre. Placés à une distance de 5 ou 6 mètres l’un de l’autre et se tenant face à face, les joueurs frappent une balle un peu plus grande que celle de tennis de table à l’aide d’une raquette. La seule règle, c’est d’effectuer le plus d’échanges possibles et la balle se frappe uniquement de volée (par percussion et non par rebond) vers la direction de l’adversaire qui va la rattraper avec sa raquette et la retourner à son antagoniste sans qu’il y ait des points à gagner. « Ça s’appelle le jeu de raquette et les joueurs ressentent du plaisir à jouer sur le sable. Et même si les plages sont fermées devant nous, l’important est de jouer », dit Mahmoud Al-Morchidi, à la retraite.

Echange et union

Le groupe composé de 200 joueurs, dont le plus petit est de 5 ans et le plus âgé de 80, comprend aussi des fans qui viennent de loin, comme Mohamad Omar, médecin, qui vient du Caire tous les mois pour passer une semaine avec le groupe. Dans un des jardins d’Alexandrie, Mahmoud rencontre les autres membres du groupe tous les mardis et vendredis, et ce, depuis deux ans. Hommes et femmes d’âges différents, tous vêtus de tenues sportives, jouent sérieusement durant des heures tout en changeant les joueurs et les groupes de temps en temps. Durant les pauses, le « salon » les attend à l’ombre d’un grand arbre, tout autour des chaises longues, une table sur laquelle on peut voir une cafetière et une théière. Tenant sa raquette sur laquelle est gravé son nom, il explique que le jeu nécessite une certaine technique que l’on apprend par la pratique, comme les différentes manières de tenir la raquette suivant que l’on lance la balle ou on la reçoit. En fait, il y a d’autres groupes qui se sont formés l’un après l’autre dans tous les quartiers de la ville. Chaque groupe à une allure différente qui le distingue et chacun est libre de rejoindre le groupe où il se sent le plus à l’aise. Cependant, ils sont proches les uns des autres et forment une entité qui rassemble près de 7 000 joueurs. Côté humain, les membres de ces groupes se connaissent grâce aux rencontres et sorties qu’ils organisent lors de différentes occasions ou lors des matchs qu’ils jouent entre eux régulièrement.

Plus qu’un simple jeu

« Chaque groupe veut réaliser ses aspirations. Personnellement, j’ai fondé ce groupe pour créer de nouvelles générations de joueurs et faire revivre l’amour du jeu. Cependant, nous avons tous le même objectif, celui de fonder une union pour le jeu et pouvoir concourir au niveau mondial », dit Mandour. La fondation du premier club de beach ball, « Agyal » (générations), est le premier pas vers la réalisation de ce but, selon Ihab Al-Malhi, fondateur du club. Il dit que les membres de tous les groupes s’entraînent régulièrement et cherchent à créer une union. « Cela va nous permettre de jouer avec d’autres équipes à l’étranger, une chose que nous voudrions réaliser pour lever haut le drapeau de notre pays car nous sommes très doués dans ce jeu », dit Al-Malhi. Ce dernier ne cache pas son amertume en constatant que le jeu s’est propagé dans beaucoup de pays avec d’autres noms comme le fresk ball au Brésil et en Grèce. Ces pays participent à des tournois mondiaux, mais pas les joueurs égyptiens car le pays ne possède pas d’union officielle comme le foot et les autres sports. En plus, continue Al-Malhi, les joueurs alexandrins, en collaboration avec ceux de Port-Saïd et de Marsa Matrouh, essayent de poser des règles inspirées de celles pratiquées ailleurs.

Fidèles à leur sport de plage et déterminés à montrer leur savoir-faire au monde entier, les Alexandrins sont heureux de voir les raquettes en bois reprendre leur place de nouveau dans les maisons et d’entendre le bruit résonnant de la balle frappant fort les raquettes à n’importe quelle heure et à n’importe quel endroit.

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