Un petit bain de mer pour se rafraîchir, rien de mieux et rien de plus normal en ces mois de canicule. De nombreux vacanciers prennent le large et mettent le cap sur le littoral alexandrin. Poser sa serviette sur le sable et aller piquer une tête dans l’eau, des gestes des plus anodins en été. Et pourtant, cela relève souvent du parcours du combattant pour les Personnes à Mobilité Réduite (PMR). « Avec mon handicap, le moindre petit déplacement est un grand calvaire. Les palettes pour aider à rouler ne vont pas loin et le fauteuil ne cesse de s’embourber dans le sable », lance Yasmine Moustapha, 22 ans, atteinte d’une maladie articulaire. Une fois sur place, elle a été surprise de voir que tous les regards étaient braqués sur elle, des regards de désolation puisqu’il est impossible pour les handicapés d’atteindre les vagues. Un gardien s’est porté volontaire pour la porter, elle et son fauteuil roulant, près des autres estivants « normaux ». Et un maître-nageur a proposé de l’aider, mais, gênée, elle s’est gentiment excusée. Au moment de quitter la plage, même calvaire. Et pire encore. Ceux qui avaient pris sur eux de porter Yasmine et son fauteuil roulant ont manqué, à maintes reprises, de tomber et de faire tomber la jeune fille avec eux.
La plage de Mandara, d’une longueur de 230 m, dont un tiers est réservé aux personnes aux besoins spécifiques.
Idem pour Haytham Nagui, 28 ans, qui confie que le simple fait d’aller à la plage est une galère avec son fauteuil roulant. C’est pour cela qu’il préfère aller avec ses amis: un le tire de l’avant et l’autre le pousse de l’arrière jusqu’à ce qu’ils arrivent au bord. « C’était presque impossible. Le sable fait trébucher ceux qui marchent avec difficulté et pour ceux qui sont en fauteuil, les roues s’y enfoncent immanquablement », lance ce jeune devenu paraplégique depuis un accident de moto survenu alors qu’il avait 15 ans. Et d’ajouter : « Le handicap ne doit pas empêcher de vivre. Pour des gens comme nous, se baigner c’est être en apesanteur. C’est être libre de ses mouvements. C’est complètement libérateur. Mais aujourd’hui, et grâce à la rampe d’accès, ça me permet de rouler aisément ».
Conjuguer handicap et plaisance
La plage de Mandara, d’une longueur de 230 m, dont un tiers est réservé aux personnes aux besoins spécifiques.
Comme eux, des millions de personnes souffrant d’un handicap sont privées de plage. Faute d’accessibilité, cette catégorie trouve d’énormes difficultés à accéder à ces lieux de loisirs si convoités par ces temps caniculaires. Mais les choses commencent à changer. Cette année, le gouverneur d’Alexandrie a décidé, pour la première fois, d’aménager des espaces dans certaines plages de la ville pour accueillir les personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite. Une bonne nouvelle qui réchauffe le coeur de ce public, souvent privé du plaisir de savourer une journée à la plage. Ainsi, conjuguer handicap et plaisir maritime est devenu aujourd’hui possible. Or, le déclic pour rendre ces plages accessibles est venu suite à des demandes émanant de plusieurs associations de rééducation de personnes handicapées pour leur permettre l’accessibilité et la baignade en toute sécurité. « Les personnes aux besoins spécifiques ont le droit de jouir des mêmes privilèges que n’importe quelle personne. Ainsi, les espaces de loisirs et les lieux de baignade, comme les plages, doivent être capables de recevoir tous les publics. Une forme de discrimination sourde qui est pourtant synonyme d’exclusion pour beaucoup », explique Ragab Gouda, président et fondateur de l’ONG Les Jeunes du défi à Alexandrie, tout en espérant rendre accessible un maximum de plages. Et pourquoi pas puisqu’il existe des solutions peu onéreuses pour remédier à ce problème. C’est, à l’en croire, le cas de passages en bois sur le sable qui pourraient permettre aussi bien aux usagers des fauteuils roulants qu’à ceux qui marchent avec des béquilles d’accéder aux plages. Comme n’importe quel citoyen ayant toutes ses capacités physiques.
Infrastructure spécifique
Des handiplagistes sont missionnés pour aider les personnes à mobilité réduite à accéder à l’eau et à en sortir.
Gamal Rachad, président de l’Administration centrale du tourisme et des stations balnéaires, pense que la décision du gouverneur d’Alexandrie s’inscrit dans le cadre de la politique de l’Etat visant à intégrer les personnes handicapées dans la société et à surmonter tous les obstacles. Ce qui a nécessité l’installation d’infrastructures et d’équipements spécifiques pour faciliter le passage des personnes en fauteuil roulant et leur garantir la sécurité, ainsi qu’une certaine autonomie. Selon lui, l’initiative a commencé par la plage de Mandara, qui compte 230 mètres de longueur sur la mer et dont le tiers a été réservé aux personnes aux besoins spécifiques. Depuis, des centaines d’usagers, handicapés ou accompagnants, ne cessent de fréquenter cette plage gratuite. Il est à noter que Mandara est la première plage publique à accueillir aujourd’hui des visiteurs souffrant de handicap en leur proposant un dispositif d’accessibilité, de leur venue vers la plage jusqu’à la baignade. « La plage est équipée d’une rampe d’accès, une passerelle qui va jusqu’à la mer, de fauteuils roulants, des toilettes et des douches faciles d’accès, ainsi qu’un personnel d’assistance et des secouristes. Sans oublier qu’il y aura prochainement des tiralos (transats roulants avec des accoudoirs flottants, capables de rouler sur le sable et d’entrer dans l’eau) », explique-t-il, tout en ajoutant que ces tiralos ne permettent pas à l’usager de se déplacer de manière autonome. Pour les utiliser, il y a deux possibilités: soit la personne à mobilité réduite est accompagnée et emprunte l’équipement, soit un maître-nageur l’accompagne pour son éventuel transfert de son fauteuil au fauteuil de plage, le déplacement et la baignade.
Mohamad Ali, 27 ans, est l’un des plagistes à Mandara qui ont été missionnés pour aider les personnes en situation de handicap à accéder à l’eau et à en sortir. « On essaye de s’adapter à tout type de handicap. Quand on débute dans le métier on veut aider tout le monde, tout le temps, mais sans les faire embêter et en leur laissant un maximum d’autonomie », souligne-t-il, tout en ajoutant que cette handiplage accueille également les seniors qui y viennent simplement pour faire une petite baignade en sécurité. « C’est tellement agréable d’avoir la sensation de flotter dans l’eau. Les bains de mer me permettent de soulager mes articulations, d’apaiser mes nerfs, de favoriser la circulation sanguine en évacuant les toxines, et les défenses immunitaires sont boostées. Je me sens libre, relaxé, de bonne humeur et sans stress », se réjouit Adli Amin, 78 ans, venu avec sa famille de Tanta, au gouvernorat de Gharbiya, à Alexandrie. « Adapter une plage aux personnes handicapées, ainsi qu’aux personnes âgées, c’est aussi faciliter la vie de chacun: des tout petits aux seniors. Quoi de plus normal que de profiter de bons moments avec toute sa famille ? », poursuit-il.
Un plaisir enfin découvert
Faute d’accessibilité,
la plage était un rêve pour les personnes en situation de handicap.
D’ailleurs, c’est à la fois une libération et un soulagement très profond non seulement pour les personnes à mobilité réduite et leurs proches, mais aussi pour les associations de rééducation des personnes handicapées, les orphelinats et les enfants sans domicile fixe. Aujourd’hui, la plage de Mandara, connue aussi par la plage de plaisir, de joie et de bonté, a fait les beaux jours de ces enfants. Selon l’association Wahet Nour Al-Hayah (oasis de la lumière de la vie), 150 enfants et leurs familles ont passé une journée inoubliable sur la plage de Mandara. « On est bien là, ma petite. Regarde comme c’est beau ! », s’exclame Naglaa, une mère alternative, tout en poussant le fauteuil roulant de sa fille handicapée moteur, Nourine. Celle-ci a 12 ans et c’est la première fois qu’elle se baigne, alors qu’elle se contentait, autrefois, de rester sur la corniche et admirait la mer au loin. Au moment de son entrée à l’eau, son sourire est lumineux. « Les mots me manquent, c’est comme un rêve devenu réalité ! », dit la fille dont les yeux pétillent derrière les gouttes d’eau salée. Radwa, une autre fille de 10 ans atteinte de paralysie cérébrale, pleure de joie à son arrivée à la plage. Elle est radieuse, épanouie et veut profiter au maximum.
Grâce à la rampe d’accès inclinée, les personnes handicapées peuvent rouler aisément sans s’embourber dans le sable.
(Photo:Ahmad Abdel-Kérim)
Un petit plaisir qui a été rendu possible grâce à cette initiative de handiplage qui s’est étendue dans d’autres plages, à savoir Al-Saraya, Agami et la Lune de miel. Ce qui a poussé d’autres ONG à déposer une demande pour être accueillies aussi à la plage Stanley et pour qu’on leur réserve deux cabines équipées pour la direction de la solidarité sociale et ses associations affiliées. « Heureusement, notre demande a été approuvée, nous avons été très bien accueillis à Stanley et les services ont été gratuits. En fait, tous les travailleurs à la plage nous ont aidés, chacun d’entre eux avait un rôle à jouer pour apporter joie et bonheur aux filles de l’association », affirme Azza Al-Masri, PDG de l’ONG Baraem Al-Ganna, tout en reconnaissant pour sa part cette étape sur le chemin d’une plus grande accessibilité.
Et ce n’est pas tout. Selon le gouverneur d’Alexandrie, Mohamad Al-Charif, le gouvernorat d’Alexandrie n’hésite pas à agir pour développer et favoriser l’intégration des personnes à mobilité réduite aux loisirs et à la plage. Il est à noter que depuis le début de l’été, un jour a été consacré à une centaine d’orphelinats et d’ONG de rééducation de personnes handicapées pour accéder gratuitement aux plages publiques. « Goûter aux joies de la mer n’est plus un privilège, cette nouvelle avancée vers l’égalité démontre un vrai engagement, un souci de l’autre en situation de fragilité », souligne Azza Al-Masri, tout en appelant à généraliser cette initiative à toutes les plages d’Alexandrie. « Notre combat demeure l’accessibilité pour tous », conclut-elle .
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