Exactement comme leurs ancêtres, les Egyptiens continuent à fêter le « chemou », ou la fête du début de la création, le premier lundi après Pâques. L’oignon, cette plante herbacée dont la saison de récolte coïncide avec la Fête du printemps et que les pharaons ont sanctifiée, est devenu un symbole de la cérémonie. La Fête du printemps pharaonique, appelée actuellement Cham Al-Nessim, est célébrée aujourd’hui de la même manière d’antan : sortir pour passer la journée dans les jardins et au bord du Nil, manger un repas composé essentiellement de fessikh (poissons salés) et d’oignon. Mais il est toujours là, pas seulement à Cham Al-Nessim.
Cru ou cuit, jaune, rouge ou vert (échalote), l’oignon est toujours présent d’une manière ou d’une autre dans le quotidien des Egyptiens. Juste après l’aube, les fermiers se dirigent vers leurs champs, prenant avec eux le petit-déjeuner, qu’ils mangent au coeur des terres agricoles, composé de fromage, d’oeufs, d’oignons et de pain maison. Ces oignons ne sont pas hachés avec un couteau, mais ils sont écrasés par la main. Mais il existe aussi d’autres astuces pour couper ce légume : si la personne est chez elle, elle peut fermer la porte là-dessus! « Ce sont des conseils et des habitudes qu’on avait hérités de nos parents, c’est une façon de préserver les profits de l’oignon, comme si lorsque la lame du couteau passe à travers l’oignon, il les perd », dit Zakariya, 75 ans, paysan de la Haute-Egypte, en ajoutant que l’oignon est un élément nécessaire avec les repas et qu’il faut le consommer quotidiennement.
D’après ses croyances, l’oignon a la capacité de protéger la personne contre beaucoup de maladies dont le Covid-19 car il booste l’immunité. Et ce n’est pas tout. Les Egyptiens sont même allés plus loin : « le test de l’oignon » permet de découvrir si la personne est atteinte du Covid-19 ou non en mâchant un oignon, une façon de vérifier si on a perdu le goût ou l’odorat !
L’oignon ne manque jamais à l’appel du petit-déjeuner, sa saveur piquante est très appréciée avec le plat traditionnel de foul (fèves), considéré, avec les galettes du pain « baladi », comme le pilier du repas qui rassasie et donne la force de travailler durant la journée. Présenté en sandwichs dans les magasins ou servi dans des assiettes en métal sur l’étal des gargotes dispersées dans la majorité des rues, le foul est offert avec de l’oignon cru dont l’odeur est très distinguée et envahit l’endroit aux alentours. Pas question de s’en passer au petit-déjeuner, même si l’oignon provoque une mauvaise haleine. « Qu’importe, la mauvaise haleine on pourra toujours y remédier ! Mais un plat de foul sans oignon, non ! », dit Mohamad, un ouvrier qui passe tous les matins prendre son petit-déjeuner à la même gargote. Et en retour chez lui après une longue journée de travail, lui comme tant d’autres trouveront chez eux l’oignon cru dans la salade et cuit dans le plat essentiel.
L’âme de la cuisine
La récolte de l'oignon a lieu en en mars et avril.
(Photo : Mohamad Monir)
Selon le chef Nihal Samour, l’oignon est consommé plusieurs fois au cours de la journée puisqu’il est présent dans la base de préparation de la majorité des plats. « La cuisine égyptienne est un mélange savoureux de spécialités méditerranéennes, africaines, turques, arabes et grecques. Au long des années, les Egyptiens ont pu modifier ces plats selon leur goût, surtout, ils ont marqué leur empreinte en introduisant l’oignon dans presque tout », avance Samour.
Lors d’une simple tournée dans les rues du Caire durant la journée, on peut distinguer l’odeur de l’oignon « messabbek ». Une odeur qui sort des fenêtres et des escaliers des maisons embaumant la matinée partout dans le pays. C’est la base de presque toutes les recettes dans la cuisine égyptienne. La manière typique égyptienne de cuire les plats, surtout les légumes comme l’okra, les petits pois, les haricots, etc. On met une bonne quantité de beurre et d’oignon haché et on laisse sur le feu jusqu’à ce que la couleur del’oignon devienne dorée, puis on ajoute de la sauce tomate et on laisse les deux ingrédients mijoter ensemble pour quelque temps avant d’ajouter les légumes. L’oignon est aussi présent dans l’assaisonnement de la viande et des volailles.
Si la quantité de l’oignon et la manière d’assaisonner peuvent varier d’un gouvernorat à l’autre selon les traditions culinaires de chacun, l’important est qu’il soit là. On le trouve frit et croustillant en dessus du plat de kochari, l’un des plats les plus populaires en Egypte. Certains préfèrent également le manger cru avec leur plat de lentilles, ou avec certains légumes comme l’okra ou la moloukhiya.
Il est donc indispensable dans toutes les maisons. On le retrouve accroché en des bouquets aux balcons, sur des étalages dans les cuisines ou conservé haché et congelé dans les frigos, prêt à être utilisé à n’importe quel moment. « C’est l’âme de la cuisine et de tous les plats, aucun autre élément ne peut remplacer l’oignon », a écrit un membre sur un groupe de recettes sur Facebook qui discutait avec les autres de la manière de planter les bulbes d’oignon dans leur jardin.
Un remède aussi
Or, un oignon ne sert pas seulement à relever un plat en cuisine, il est aussi utilisé comme remède dans divers cas. Il s’agit d’une pharmacie naturelle où les recettes des grands-mères sont omniprésentes. Presque chaque Egyptien garde ces recettes miracles de grand-mère qu’il propose avec une grande confiance lorsque c’est nécessaire: l’oignon grillé pour les abcès, c’est génial. Mettre une rondelle d’oignon sous les pieds ou faire une pâte d’oignon haché, puis enfiler les pieds dans des chaussettes ou dans des sacs en plastique pendant toute la nuit purifie le corps des matières toxiques et élimine la fièvre. Il est aussi incontournable pour fortifier l’immunité et baisser le taux du diabète. Antidouleur, il sert à mieux dormir si on le coupe en deux et on le met sous le lit ou sur la table de nuit. Il empêche l’infection du rhume et guérit le nez bouché. Bon contre la toux. Il lutte contre le rhumatisme, calme les piqures des insectes. Des astuces et des conseils qui paraissent sans fin avec l’oignon. Mais l’usage le plus courant de l’oignon est quand on l’utilise pour réveiller quelqu’un qui s’est évanoui! Au-delà de ces recettes de grand-mère, Waguih Nazih, nutritionniste et président de l’Institut scientifique de la culture alimentaire, explique que beaucoup d’études scientifiques ont prouvé les avantages et les bienfaits de la consommation de l’oignon et son importance pour la santé.
Presque sacré !
Les repas de cham al-nessim, oeufs colorés, poissons salés, et bien sûr de l'oignon.
(Photo : Mostafa Emera)
Que l’on connaisse ou non la vraie valeur de ce légume, il reste indispensable. D’ailleurs, selon Hussein Abdel-Rahman, président du syndicat des Agriculteurs, l’Egypte produit presque 3 millions de tonnes d’oignons et est l’un des dix exportateurs les plus importants au niveau mondial. Quant au marché local, il consomme près de 2 millions de tonnes par an. Il y a plus de 5 000 ans, les pharaons l’avaient déjà découvert. Il était alors considéré comme une plante sacrée, on voit les étapes de sa culture représentées sur les murs des tombes des Ve et VIe dynasties. C’est une offrande religieuse que l’on place sur les autels et auprès des morts et dans leurs bouches pour les purifier. « C’est un héritage que l’on pratique instinctivement », explique Nazih, en affirmant que le fait de mélanger l’oignon avec les aliments populaires des Egyptiens, comme la fève et la lentille, est considéré comme une culture héritée depuis des milliers d’années. Mentionné aussi dans les versets du Coran et de la Bible, l’oignon a une plus grande importance chez les Egyptiens. « L’oignon et l’ail sont un don que le Bon Dieu a offert aux pays de la terre noire, pays du bassin du Nil, car cette terre est très poussiéreuse. Cette poussière comprend des virus et des microbes, et ces aliments sont considérés comme des anti-bactéries et anti-virus naturels », dit Nazih. Il précise que ce que l’Egyptien fait en choisissant d’intégrer l’oignon dans ses repas est un comportement naturel qui l’aide à s’adapter à ses conditions de vie et à son environnement.
Bien plus que dans l’alimentation, ce légume sacré est aussi omniprésent dans le patrimoine populaire à travers les proverbes. « Toi qui essaies de s’infiltrer entre l’oignon et sa croûte, tu ne recevras que son odeur suffocante », c’est-à-dire il ne faut pas intervenir dans les affaires d’autrui. « L’oignon d’un amant équivaut la valeur d’un mouton », c’est-à-dire qu’un cadeau modeste de la part d’une personne qu’on aime est toujours précieux, etc. Bref, des proverbes affirmant la présence remarquable de l’oignon dans la culture égyptienne.
Dans les mythes aussi, l’oignon est nécessaire pour chasser l’esprit du mal. Raison pour laquelle, la veille de Pâques, un oignon vert est placé sous la tête des enfants. Au lever du jour, on le jette dans le Nil. Ainsi, ces enfants sont guéris des maladies et protégés contre le mal. Acte pratiqué jusqu’à nos jours et dont l’origine est inscrite sur un papyrus relatant l’histoire d’un pharaon dont l’unique enfant était atteint d’une maladie mystérieuse. Les médecins et les prêtres furent incapables de le guérir, mais un mage lui a conseillé de placer des oignons partout dans le palais royal, et ainsi, le prince est guéri.
Un mythe, une légende? Peut-être. Si l’oignon n’a pas de vertus magiques, il donne sans aucun doute une touche magique à notre vie.
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