Lundi, 11 décembre 2023
Enquête > Enquéte >

Handicapés, mais « in »

Hanaa Al-Mekkawi, Lundi, 19 avril 2021

Pour la première fois en Egypte et dans la région, une gamme de prêt-à-porter destinée aux per­sonnes en situation de handicap a été créée. Une aubaine pour ces personnes qui galéraient pour trouver des vêtements adéquats.

Handicapés, mais « in  »
Zeinab et Nada lors d'une séance de photos.

Toute petite, Fathiya ne comprenait pas pourquoi les autres enfants pou­vaient choisir leurs vête­ments, alors qu’elle devait accepter ce que sa mère lui ramenait. Aujourd’hui, âgée de 43 ans, elle a souffert de ne jamais pouvoir porter les styles qu’elle aime. Atteinte de polio à l’âge d’un an et demi, elle n’est jamais entrée dans une cabine d’essayage, car cela ne permet pas le passage aisé d’un fauteuil roulant. En général, ce sont ses soeurs qui lui achetaient ses vêtements pour les essayer à domicile. Mais, de temps en temps, lorsqu’elle sort, elle fait une rapide visite à un magasin de grande surface, choisit un ou deux modèles qui lui plaisent et les prend pour faire l’essayage à la maison. Et comme il n’est pas facile pour elle d’enfiler et enlever seule un panta­lon, elle doit porter des vêtements pratiques. Les membres inférieurs paralysés et portant des chaussures orthopédiques à hauteur de cheville, elle ne peut s’habiller ni comme elle veut, ni à son goût. « Outre les inconvénients liés à mon handicap et auxquels je dois faire face quoti­diennement, c’est frustrant pour moi de ne pas pouvoir choisir et porter les vêtements que j’aime », s’ex­prime Fathiya Abdel-Moemen, ou Fifi comme on l’appelle. Une dame très active, qui travaille dans un bureau de relations publiques dépen­dant du ministère de l’Approvision­nement, mais aussi coach de vie dans une ONG et championne de tennis de table (Championnat de l’Etat année 2016-2017). Réussite après l’autre, ceci n’a pas compensé son désir de pouvoir s’habiller comme elle veut et surtout comme une femme peut le faire. « C’est plus qu’une histoire de vêtements, c’est une affaire d’indépendance, de confiance en soi et de liberté de choix. C’est pouvoir enfiler toute seule des vêtements adaptés à mon handicap sans être obligée d’at­tendre quelqu’un pour m’aider à m’habiller ou me déshabiller ou être forcée d’accepter des modèles qui ne me plaisent pas. C’est très gênant de demander parfois de l’aide à une personne contre qui je suis fâchée par exemple », dit Fifi.

Handicapés, mais « in  »

Cette dernière, qui a toujours rêvé de mettre une robe comme n’im­porte quelle dame, mais ne le pou­vait pas, a pu enfin en porter une. Et pas seulement une robe, mais aussi d’autres modèles à la mode et sur­tout à son goût. Enfin, elle a trouvé ce dont elle rêvait: une marque de prêt-à-porter pour les personnes à mobilité réduite. « Nos vêtements sont adaptés aux individus souffrant d’un handicap moteur lié à une maladie ou un accident. On y croit vraiment très fort, car c’est impor­tant pour les handicapés de porter des pièces de vêtements convenant à leurs besoins spécifiques et surtout à leurs goûts », dit Achgane Al-Abhar, fondatrice de « Adaptive Appeal », avec une tierce personne qui présente pour la première fois son label en Egypte.

« Comment s’habiller » et pas « quoi mettre »

Handicapés, mais « in  »

Que vais-je mettre? Une question banale que chacun de nous se pose chaque jour. Mais pour d’autres c’est plutôt: comment s’habiller? Ce sont ceux qui souffrent d’un handicap men­tal ou physique: autisme, trisomie 21, polio, nanisme et d’autres maladies qui obligent des individus à se dépla­cer en fauteuil roulant, à porter une prothèse après une amputation ou à cause de raideurs aux bras et aux jambes.

Ils sont 1,9 million de personnes atteintes d’un handicap physique en Egypte, selon les chiffres de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS.) « J’ai une amie atteinte de polio, et en l’ob­servant de près, j’ai remarqué qu’elle avait du mal à enfiler ses vêtements. Alors, je lui ai demandé de me dire ce qui est pratique à mettre et à enlever », raconte Achgane. Porter une robe qui me permet de faire passer les bras très facilement et qui ne risque pas de coin­cer dans les roues du fauteuil roulant a été la première chose que son amie a demandée. Au début, Achgane pensait que son amie plaisantait, mais après une courte discussion, elle s’est rendu compte que sa copine ne pouvait pas porter de robe. Et c’est à partir de là qu’elle a commencé à réfléchir à son projet. En interrogeant d’autres per­sonnes, Achgane a compris les défis auxquels devaient faire face au quoti­dien les personnes en situation de handicap: enfiler un pantalon sur des prothèses, fermer une fermeture éclair, boutonner une chemise, trouver la taille convenable ou des pièces vesti­mentaires qui dissimulent le dos cour­bé ou la fameuse bosse de bison sont des exemples.

Handicapés, mais « in  »
La styliste Sara Farouk cherche des solutions en collaboration avec Achgane Al-Abhar et Fifi.

Zeinab, 23 ans, atteinte de nanisme, explique qu’à chaque fois qu’elle se rend dans un magasin, elle ne trouve jamais de vêtements adaptés à ses mensurations et se rend toujours chez le couturier pour les retailler. « Je perds la moitié du tissu pour obtenir la bonne taille. Parfois, après que je les retaille, certains vêtements deviennent déformés ou moches, mais je n’ai d’autres choix que de les porter », dit Zeinab, pour qui faire du shopping n’a jamais été un moment de plaisir. C’est ce qu’elle ressent, car elle ne trouve jamais sa taille, ni dans les rayons pour adultes, ni dans ceux des enfants. « Je me souviens de ma mère qui m’accom­pagnait pour faire mes achats, parfois elle se mettait à pleurer », poursuit-elle. Championne d’athlétisme, Zeinab rêve de fabriquer des vêtements de sport adaptés aux handicapés, tout comme les chaînes d’habillement qui confectionnent et offrent des styles de mode pour femmes voilées. Son rêve est de rentrer dans un magasin et trou­ver des vêtements pour les nains, pouvant cacher les formes asymé­triques de leurs corps. Elle-même a un défaut aux pieds qu’elle dissimule sous ses vêtements.

Handicapés, mais « in  »
Un atelier de couture avec le couturier, la styliste, Walid et Ziad.

Un autre cas, celui de Karim, 29 ans, paraplégique qui a d’énormes difficul­tés à enfiler et enlever seul un panta­lon. Il doit s’allonger sur le lit et se faire aider par quelqu’un. Et c’est pareil pour Fadi, amputé d’une jambe, qui a des difficultés à passer et enlever son pantalon à cause de sa prothèse. De plus, une personne à mobilité réduite doit réfléchir mille et une fois avant de sortir de la maison, prendre les moyens de transport, monter ou descendre les escaliers ou se rendre dans les toilettes. Salma, 36 ans, atteinte de polio, parle des taches qui marquent ses vêtements, car elle se retient d’aller aux toilettes. Une chose qui la gêne énormément. Le même sentiment est ressenti chez ceux qui portent des couches ou des sacs uri­naires. Ils ne peuvent ni changer leurs couches, ni vider leurs sacs collecteurs d’urine, et les mauvaises odeurs peu­vent leur causer beaucoup d’embarras.

Solutions sur mesure

Handicapés, mais « in  »
Morsi, couturier de l'équipe, ajuste les tailles avec Zeinab.

Après quatre ans de préparation, Achgane Al-Abhar a réussi à fabri­quer ses deux collections d’hiver et d’été convenant aux besoins des han­dicapés tout en satisfaisant leurs goûts. « En cherchant, j’ai constaté que ce genre de vêtements n’existait pas chez nous. On peut en trouver à l’étranger, mais de manière limitée, et la plupart des articles répondent plu­tôt à des besoins médicaux et non pas à des besoins pratiques de tous les jours; et c’est ce que nous nous sommes engagés à faire. C’est-à-dire fabriquer des vêtements adaptés à divers handicaps et en même temps à la mode », explique Mohamad Wagdi, partenaire d’Achgane, qui l’a rejointe au début parce qu’il voulait lancer un business, mais a été ensuite pris par le projet, car il s’agit là d’une cause humaine. « C’est la première fois de ma vie que je change de modèle d’ha­bits en sortant de la maison », « Une salopette! Je peux enfin en porter et être habillée autrement, à la mode et à la taille qui me convient », « Je me sens à l’aise en pantalon. A présent, je peux l’enfiler et l’enlever facile­ment ». Ces commentaires et d’autres ont été les premières réactions des handicapés après avoir résolu l’un de leurs grands problèmes. Ceux-ci ont contribué dès le début en participant dans des groupes de travail avec les fondateurs de l’initiative et les desi­gners, en réfléchissant à des solutions pour faciliter l’habillage et le désha­billage. Lorsque Kholoud a accepté de faire le design, elle a bravé les défis pour créer des modèles adaptés à des personnes qui ont des difficultés à s’habiller, tout en veillant à suivre la mode en même temps. « Le fait de faciliter la vie aux handicapés est important, surtout le fait de les aider à oublier leurs différences en ache­tant des vêtements comme ceux qui sont exposés dans les magasins, mais confectionnés exprès pour eux. Ils ne sont plus obligés de porter des vête­ments retaillés ou démodés », dit Kholoud. Des systèmes de rubans auto-agrippants placés sous les manches d’une blouse ou d’une robe ou tout le long des jambes d’un pan­talon. Confection de gaines-culottes faciles à porter sous les vêtements et des culottes en tissu étanche. Création des pochettes dissimulées pour glisser les sacs collecteurs d’urine. Remplacement de boutons normaux par des pressions. Ainsi, les solutions ont été trouvées et les nouvelles col­lections ont été présentées lors des défilés auxquels ont participé des mannequins handicapées. « Toutes les solutions ont été inspirées par des cas réels. Elles peuvent paraître simples, mais leur impact est grand sur le style de vie des handicapés », dit Achgane, en ajoutant que l’équipe de travail a eu des difficultés à trouver les tissus convenables et les accessoires, comme les systèmes rubans auto-agrippants qui n’abîment pas les vête­ments. Cette dernière et son parte­naire pensent pouvoir fabriquer d’autres styles de pièces vestimen­taires pour atténuer les souffrances d’un grand nombre d’handicapés. « Peut-être qu’un jour on verra dans les magasins un rayon pour handica­pés avec cabine d’essayage conçue spécialement pour eux », espère Achgane.

Avec ces vêtements qui viennent de voir le jour, il y a beaucoup à raconter sur l’amour, la confiance et la réalisa­tion d’une idée qui va faciliter la vie à bien des personnes.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique