Toute petite, Fathiya ne comprenait pas pourquoi les autres enfants pouvaient choisir leurs vêtements, alors qu’elle devait accepter ce que sa mère lui ramenait. Aujourd’hui, âgée de 43 ans, elle a souffert de ne jamais pouvoir porter les styles qu’elle aime. Atteinte de polio à l’âge d’un an et demi, elle n’est jamais entrée dans une cabine d’essayage, car cela ne permet pas le passage aisé d’un fauteuil roulant. En général, ce sont ses soeurs qui lui achetaient ses vêtements pour les essayer à domicile. Mais, de temps en temps, lorsqu’elle sort, elle fait une rapide visite à un magasin de grande surface, choisit un ou deux modèles qui lui plaisent et les prend pour faire l’essayage à la maison. Et comme il n’est pas facile pour elle d’enfiler et enlever seule un pantalon, elle doit porter des vêtements pratiques. Les membres inférieurs paralysés et portant des chaussures orthopédiques à hauteur de cheville, elle ne peut s’habiller ni comme elle veut, ni à son goût. « Outre les inconvénients liés à mon handicap et auxquels je dois faire face quotidiennement, c’est frustrant pour moi de ne pas pouvoir choisir et porter les vêtements que j’aime », s’exprime Fathiya Abdel-Moemen, ou Fifi comme on l’appelle. Une dame très active, qui travaille dans un bureau de relations publiques dépendant du ministère de l’Approvisionnement, mais aussi coach de vie dans une ONG et championne de tennis de table (Championnat de l’Etat année 2016-2017). Réussite après l’autre, ceci n’a pas compensé son désir de pouvoir s’habiller comme elle veut et surtout comme une femme peut le faire. « C’est plus qu’une histoire de vêtements, c’est une affaire d’indépendance, de confiance en soi et de liberté de choix. C’est pouvoir enfiler toute seule des vêtements adaptés à mon handicap sans être obligée d’attendre quelqu’un pour m’aider à m’habiller ou me déshabiller ou être forcée d’accepter des modèles qui ne me plaisent pas. C’est très gênant de demander parfois de l’aide à une personne contre qui je suis fâchée par exemple », dit Fifi.

Cette dernière, qui a toujours rêvé de mettre une robe comme n’importe quelle dame, mais ne le pouvait pas, a pu enfin en porter une. Et pas seulement une robe, mais aussi d’autres modèles à la mode et surtout à son goût. Enfin, elle a trouvé ce dont elle rêvait: une marque de prêt-à-porter pour les personnes à mobilité réduite. « Nos vêtements sont adaptés aux individus souffrant d’un handicap moteur lié à une maladie ou un accident. On y croit vraiment très fort, car c’est important pour les handicapés de porter des pièces de vêtements convenant à leurs besoins spécifiques et surtout à leurs goûts », dit Achgane Al-Abhar, fondatrice de « Adaptive Appeal », avec une tierce personne qui présente pour la première fois son label en Egypte.
« Comment s’habiller » et pas « quoi mettre »
Que vais-je mettre? Une question banale que chacun de nous se pose chaque jour. Mais pour d’autres c’est plutôt: comment s’habiller? Ce sont ceux qui souffrent d’un handicap mental ou physique: autisme, trisomie 21, polio, nanisme et d’autres maladies qui obligent des individus à se déplacer en fauteuil roulant, à porter une prothèse après une amputation ou à cause de raideurs aux bras et aux jambes.
Ils sont 1,9 million de personnes atteintes d’un handicap physique en Egypte, selon les chiffres de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS.) « J’ai une amie atteinte de polio, et en l’observant de près, j’ai remarqué qu’elle avait du mal à enfiler ses vêtements. Alors, je lui ai demandé de me dire ce qui est pratique à mettre et à enlever », raconte Achgane. Porter une robe qui me permet de faire passer les bras très facilement et qui ne risque pas de coincer dans les roues du fauteuil roulant a été la première chose que son amie a demandée. Au début, Achgane pensait que son amie plaisantait, mais après une courte discussion, elle s’est rendu compte que sa copine ne pouvait pas porter de robe. Et c’est à partir de là qu’elle a commencé à réfléchir à son projet. En interrogeant d’autres personnes, Achgane a compris les défis auxquels devaient faire face au quotidien les personnes en situation de handicap: enfiler un pantalon sur des prothèses, fermer une fermeture éclair, boutonner une chemise, trouver la taille convenable ou des pièces vestimentaires qui dissimulent le dos courbé ou la fameuse bosse de bison sont des exemples.

La styliste Sara Farouk cherche des solutions en collaboration avec Achgane Al-Abhar et Fifi.
Zeinab, 23 ans, atteinte de nanisme, explique qu’à chaque fois qu’elle se rend dans un magasin, elle ne trouve jamais de vêtements adaptés à ses mensurations et se rend toujours chez le couturier pour les retailler. « Je perds la moitié du tissu pour obtenir la bonne taille. Parfois, après que je les retaille, certains vêtements deviennent déformés ou moches, mais je n’ai d’autres choix que de les porter », dit Zeinab, pour qui faire du shopping n’a jamais été un moment de plaisir. C’est ce qu’elle ressent, car elle ne trouve jamais sa taille, ni dans les rayons pour adultes, ni dans ceux des enfants. « Je me souviens de ma mère qui m’accompagnait pour faire mes achats, parfois elle se mettait à pleurer », poursuit-elle. Championne d’athlétisme, Zeinab rêve de fabriquer des vêtements de sport adaptés aux handicapés, tout comme les chaînes d’habillement qui confectionnent et offrent des styles de mode pour femmes voilées. Son rêve est de rentrer dans un magasin et trouver des vêtements pour les nains, pouvant cacher les formes asymétriques de leurs corps. Elle-même a un défaut aux pieds qu’elle dissimule sous ses vêtements.

Un atelier de couture avec le couturier, la styliste, Walid et Ziad.
Un autre cas, celui de Karim, 29 ans, paraplégique qui a d’énormes difficultés à enfiler et enlever seul un pantalon. Il doit s’allonger sur le lit et se faire aider par quelqu’un. Et c’est pareil pour Fadi, amputé d’une jambe, qui a des difficultés à passer et enlever son pantalon à cause de sa prothèse. De plus, une personne à mobilité réduite doit réfléchir mille et une fois avant de sortir de la maison, prendre les moyens de transport, monter ou descendre les escaliers ou se rendre dans les toilettes. Salma, 36 ans, atteinte de polio, parle des taches qui marquent ses vêtements, car elle se retient d’aller aux toilettes. Une chose qui la gêne énormément. Le même sentiment est ressenti chez ceux qui portent des couches ou des sacs urinaires. Ils ne peuvent ni changer leurs couches, ni vider leurs sacs collecteurs d’urine, et les mauvaises odeurs peuvent leur causer beaucoup d’embarras.
Solutions sur mesure

Morsi, couturier de l'équipe, ajuste les tailles avec Zeinab.
Après quatre ans de préparation, Achgane Al-Abhar a réussi à fabriquer ses deux collections d’hiver et d’été convenant aux besoins des handicapés tout en satisfaisant leurs goûts. « En cherchant, j’ai constaté que ce genre de vêtements n’existait pas chez nous. On peut en trouver à l’étranger, mais de manière limitée, et la plupart des articles répondent plutôt à des besoins médicaux et non pas à des besoins pratiques de tous les jours; et c’est ce que nous nous sommes engagés à faire. C’est-à-dire fabriquer des vêtements adaptés à divers handicaps et en même temps à la mode », explique Mohamad Wagdi, partenaire d’Achgane, qui l’a rejointe au début parce qu’il voulait lancer un business, mais a été ensuite pris par le projet, car il s’agit là d’une cause humaine. « C’est la première fois de ma vie que je change de modèle d’habits en sortant de la maison », « Une salopette! Je peux enfin en porter et être habillée autrement, à la mode et à la taille qui me convient », « Je me sens à l’aise en pantalon. A présent, je peux l’enfiler et l’enlever facilement ». Ces commentaires et d’autres ont été les premières réactions des handicapés après avoir résolu l’un de leurs grands problèmes. Ceux-ci ont contribué dès le début en participant dans des groupes de travail avec les fondateurs de l’initiative et les designers, en réfléchissant à des solutions pour faciliter l’habillage et le déshabillage. Lorsque Kholoud a accepté de faire le design, elle a bravé les défis pour créer des modèles adaptés à des personnes qui ont des difficultés à s’habiller, tout en veillant à suivre la mode en même temps. « Le fait de faciliter la vie aux handicapés est important, surtout le fait de les aider à oublier leurs différences en achetant des vêtements comme ceux qui sont exposés dans les magasins, mais confectionnés exprès pour eux. Ils ne sont plus obligés de porter des vêtements retaillés ou démodés », dit Kholoud. Des systèmes de rubans auto-agrippants placés sous les manches d’une blouse ou d’une robe ou tout le long des jambes d’un pantalon. Confection de gaines-culottes faciles à porter sous les vêtements et des culottes en tissu étanche. Création des pochettes dissimulées pour glisser les sacs collecteurs d’urine. Remplacement de boutons normaux par des pressions. Ainsi, les solutions ont été trouvées et les nouvelles collections ont été présentées lors des défilés auxquels ont participé des mannequins handicapées. « Toutes les solutions ont été inspirées par des cas réels. Elles peuvent paraître simples, mais leur impact est grand sur le style de vie des handicapés », dit Achgane, en ajoutant que l’équipe de travail a eu des difficultés à trouver les tissus convenables et les accessoires, comme les systèmes rubans auto-agrippants qui n’abîment pas les vêtements. Cette dernière et son partenaire pensent pouvoir fabriquer d’autres styles de pièces vestimentaires pour atténuer les souffrances d’un grand nombre d’handicapés. « Peut-être qu’un jour on verra dans les magasins un rayon pour handicapés avec cabine d’essayage conçue spécialement pour eux », espère Achgane.
Avec ces vêtements qui viennent de voir le jour, il y a beaucoup à raconter sur l’amour, la confiance et la réalisation d’une idée qui va faciliter la vie à bien des personnes.
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