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Accros au petit noir

Dina Bakr, Dimanche, 10 janvier 2021

Les différents points de vente et les espaces pause-café attirent de plus en plus de dégustateurs. Les clients ont cha­cun ses préférences, et les professionnels chacun ses propres mélanges et ses propres secrets.

Accros au petit noir
(Photo: Mohamad Abdou)

L’odeur des graines de café torréfiées embaume l’air et se dégage dans tout le quartier. Des passants s’arrêtent pour humer cette agréable odeur qui se dégage d’un magasin de torréfaction et vente de café. A l’intérieur règne une ambiance relaxante. Faire une pause-café ou ache­ter un paquet de café booste le moral. Il suffit de commander son mélange de café pour que le maître des lieux le prépare. « Nous avons des clients fidèles depuis des années qui n’ont pas changé leur mélange de café. Le système d’informati­sation nous a permis d’enregistrer sur ordinateur le nom de chaque client suivi des différents types de café et d’épices qu’il apprécie », déclare Ahmad Shaheen, un importateur de café en grains, torré­facteur et spécialiste du conditionnement du café. Il représente la troisième généra­tion de la famille dans le commerce du café. Les célèbres torréfacteurs et ven­deurs de café ont suivi les traces de leurs parents et grands-parents. Un savoir-faire qui se perpétue de père en fils et un com­merce qui continue d’attirer de la clien­tèle aux quatre coins du pays.

Accros au petit noir
Le café passe par un cycle qui demande beaucoup de soins, de la croissance des caféiers jusqu’au conditionnement. (Photo: Mohamad Abdou)

Au début du XXe siècle, en 1937, seuls Amer, Shaheen, Abdel-Maaboud et Adam, issus du même village Bahnay à Ménoufiya au Delta, étaient des vendeurs de café en grains ou moulu. En 1940, ils ont élargi leur commerce en ouvrant au Caire des magasins où la torréfaction et le conditionnement se font sur place. « Autrefois, les commerçants obtenaient le café en grains à travers des quotas fixés par l’Etat tout comme la farine pour les boulangers. Et dans les années 1970, l’ouverture économique a permis aux commerçants d’importer différents genres de café », explique Mahmoud Amer, propriétaire d’une antenne portant le même nom à Héliopolis. Aujourd’hui, les grands commerçants possèdent des usines dans les nouvelles zones indus­trielles où la torréfaction se fait loin des clients.

Avoir un tel commerce demande un vrai savoir-faire en matière de torréfac­tion. Ahmad Shaheen adapte sa machine en fonction des grains qu’il a à torréfier. Il procède de façon lente pour révéler le profil aromatique de ces derniers et pro­duire le meilleur café qui soit. « J’ai appris par le professeur Illy que la teinte du grain est le témoin du degré de torré­faction atteint: plus la couleur est fon­cée, plus le café perd son goût acidulé et fruité pour devenir corsé et amer. Il existe 5 couleurs de torréfaction allant du très clair, clair, moyen, foncé jusqu’au très foncé, et chacune a ses propres spécifici­tés gustatives », explique Chahine.

C’est vrai que les étapes de torréfaction sont importantes, mais ce n’est pas tout. Le choix du pays producteur, la richesse du sol et la période de cueillette sont des facteurs qui contribuent à la qualité du grain. Le Yémen, l’Ethiopie, la Colombie, le Brésil et l’Indonésie sont les princi­paux fournisseurs de café arabica et robusta. Prenons l’exemple des caféiers en Ethiopie: les plantations proches de la mer produisent l’espèce botanique Coffea Canephora ou le robusta. Une espèce qui se caractérise par son taux élevé de caféine au goût amer et corsé. Sur les hauts plateaux, les caféiers donnent du Coffea arabica ou arabica qui se distingue par sa grande finesse, ses arômes plus développés avec une faible teneur en caféine. « La qualité du café dépend de la cueillette. Il ne faut pas vider la branche de ses grains, mais cueillir uniquement les cerises mûres dont la couleur est rouge et les récolter à la main. Ces cri­tères jouent dans le résultat final », indique Shaheen, qui tient à s’informer sur la méthode de récolte des grains avant qu’ils n’arrivent aux consommateurs.

Le secret du maître

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(Photo: Mohamad Abdou)

Conserver la recette et le mode de pré­paration des grands-parents est important chez Fawzi Al-Banane. « Il y a des saveurs qui n’ont pas changé depuis 47 ans. C’est dû au mélange de grains. Les cafés clair et medium sont plus demandés que d’autres et suivant le dosage des épices, ce qui a donné 6 espèces de café avec des saveurs et des arômes différents. Lorsqu’on sert un café sur place, on le prépare également à l’ancienne, c’est-à-dire dans le sable chaud et non pas sur des cuisinières vitrocéramiques », explique Mariam Elbanan, l’une des pro­priétaires qui gère l’un des magasins à Madinet Nasr. Elle a eu l’occasion de goûter à diverses sortes de café et dans différentes cafétérias. Elle assure que le goût ne change pas même si les clients commandent un capuccino, un espresso, un moka ou d’autres genres de café. « Pour moi, une tasse de café turc n’est pas comme une autre. Mon père, mon oncle et ma tante goûtent aux nouveaux mélanges pour sélectionner le meilleur avant de le présenter aux adeptes de café », souligne Mariam Elbanan.

En fait, la Turquie n’est pas un pays exportateur de café, et la dénomination « café à la turque » ne fait pas référence à une paternité historique avérée, mais à la diffusion de cette méthode de prépara­tion en Egypte et au Moyen-Orient. Verser entre 30 et 50ml d’eau dans une cafetière à longue manche en cuivre ou en fer blanc surnommée cezve, ajouter une cuillère à café de café moulu, du sucre selon le goût, remuer doucement et porter le tout à feu doux. Le café ne doit pas bouillir, quand il mousse, il faut le retirer du feu. Sans cette mousse, les Egyptiens ne peuvent pas apprécier leur café turc. Au Liban et en Syrie, on préfère le café bouilli. La cardamome est l’épice la plus prisée en Egypte. Elle entre dans la composition du mélange de café, tan­dis qu’au Soudan, la cannelle est la prin­cipale épice.

A chacun ses préférences, à chaque mélange sa saveur

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Connaître le goût de chaque client est la clé de la réussite. (Photo: Mohamad Abdou)

Par ailleurs, les 4 degrés de torréfaction du café et les types d’épices ajoutées répondent aux goûts des personnes d’un certain âge. Ces derniers n’aiment pas en modifier la saveur. « Prendre un café au travail est une habitude quotidienne. Je préfère le café de torréfaction foncé avec une double dose d’épices et une demi-cuillère de sucre. Ni moi, ni ma femme ne savons faire de bon café. Il y a 12 ans, le planton au travail m’a fait goûter à son mélange de café, et depuis, je l’ai adopté. J’en ai testé d’autres, mais je n’ai pas aimé », déclare Ali, 57 ans, directeur d’une association civile. Il ajoute avoir reçu un jour du café yéménite, mais il n’a pas pu le supporter à cause de son amertume. Bien que la marque Abdel-Maaboud (portée sur les paquets) indique qu’il s’agit de café yéménite, les clients tel Ali savent qu’il faut mélanger les grains de café yéménite avec d’autres plus doux, afin de satisfaire leur goût. Le café Abdel-Maaboud est lar­gement répandu dans tous les gouverno­rats. « Notre usine à la cité du 10 du Ramadan fabrique des paquets sous vide ou en sachets hermétiques conçus spécia­lement pour la grande distribution. Nous avons aussi des intermédiaires qui s’occu­pent de l’exportation de notre café dans divers pays comme l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, les Etats-Unis et la Chine », déclare Moustapha Zaki, direc­teur de Abdel-Maaboud à Bab Al-Louq.

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Les détails de la composition du café, un secret à ne pas divulguer. (Photo: Mohamad Abdou)

Parmi les commerçants de café, Abdel-Maaboud est l’un des rois de la distribu­tion. « De temps en temps, j’aime changer de mélange de café. Pour rester éveillé et bien concentré, je consomme du café Abdel-Maaboud, mais si je cherche le plaisir du goût et désire découvrir de nou­velles saveurs, je me rends chez Chahine et je choisis le mélange de cafés qui pour­rait satisfaire mon goût », précise May, 35 ans, comptable dans une banque. Etant accro au café, elle arrive à le distinguer en fonction de sa provenance. « Celui qui prend un café ne veut ni boire ni manger, il cherche plutôt à satisfaire son goût et le garder en bouche durant une heure ou deux », décrit-elle. En principe, le verre d’eau qui est servi avec le café sert à faire passer rapidement le goût du café. Quand le café n’est pas bon, la personne boit de l’eau pour retirer le goût qui n’a pas satis­fait son plaisir.

« Servir un bon café n’est pas une simple affaire. J’ai commandé un jour une tasse de café turc dans un lieu chic, et à la première gorgée, j’ai été déçue. J’ai déboursé 80 L.E. pour un café sans goût et sans caractère », raconte Chérine, 40 ans, qui travaille dans une agence de voyages. Alors qu’avec 80 L.E., elle a pour habitude d’acheter 250g de café torréfié mi-noir en doublant la dose de cardamome et noix de muscade. Une quantité qu’elle consomme en 2 ou 3 semaines. « Cela m’a servi de leçon, je ne commande plus de café turc n’importe où. Et si je vais veiller tard, je prends une tasse de café instantané », ajoute-t-elle.

Les chiffres officiels révèlent que le marché du café est au beau fixe en Egypte. D’après l'Agence centrale pour la mobilisation publique et les statis­tiques (CAPMAS), 40000 tonnes de café sont consommées par an. Par ailleurs, différents sites sur Internet indiquent que le café est le 2e produit le plus exporté à travers le monde, après le pétrole. Le site commodafrica mentionne que l’Organi­sation internationale du café a signalé que la production mondiale du café avait aug­menté: 3,7% en 2020, et ce, en compa­raison avec l’année 2019, soit 2,1%. Entre l’arabica et le robusta, commander un café c’est bon et relaxant. Un buveur de café se sent toujours bien dans sa peau lorsqu’il sirote son petit noir .

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