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Biberonnés au numérique

Chahinaz Gheith, Mercredi, 06 janvier 2021

Ils sont nés après 1995, un téléphone portable et un écran d’ordinateur dans leur berceau. C’est la génération Z, ou post-millé­nial, ces « Digital Natives » pour qui les nouvelles technologies font partie intégrante d’un quotidien hyperconnecté, mais qui cache souvent bien des troubles. Décryptage.

Biberonnés au numérique

Nadine a la tête baissée, tout le temps. Pourquoi ? Parce qu’elle regarde son smartphone. Dès son réveil à 7h du matin, cette fille de 17 ans allume son portable pour contrôler les mails de la nuit et l’évolution des statistiques de ses sites Web. Puis, au moindre petit bip de notification, elle secoue la souris pour sortir son ordinateur et interro­ger Facebook et Instagram pour savoir qui lui avait écrit ou répondu, quoi de neuf, de beau ou de laid. Cliquer dessus est devenu un réflexe, effectué sans y penser guère, passant bien plus de temps à scroller qu’initialement imaginé. Nadine passe son quotidien au télé­phone à jouer sur Snapchat, naviguer sur Facebook, regarder des vidéos sur Youtube et Twitter, guetter les derniers postes sur Instagram et écrire des SMS ou regarder des séries en ligne. Sur Instagram, elle se vante d’avoir réalisé 300 selfies en trois jours de vacances sur la Côte-Nord, soit s’être retrou­vée une centaine de fois par jour à fixer voluptueusement son smartphone.

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Les jeunes Z sont accros aux réseaux sociaux et au téléphone mobile.

Ainsi, sous couvert de bonnes intentions et sans qu’elle s’en aperçoive, son monde ne tournait plus qu’autour de ces petites black box qui la rendent folle et la coupent chaque jour du réel. « Mon téléphone, c’est ma vie. Il y a tout dedans, mes contacts, mes photos, mes groupes WhatsApp, mes filtres, mes pro­fils … Je ne peux pas m’en passer. Je l’em­mène partout, même aux toilettes. Bref, je suis bien quand je suis devant mon écran », lance Nadine, qui dort le mobile sous le cous­sin. Même écho pour Marwa, qui confie que son fils, Bilal, 13 ans, vient de « tuer » aujourd’hui 45 personnes. Or, cet adolescent ne fait pas la une des journaux pour un fait divers sanglant, car il s’agit tout simplement du PUBG (jeu vidéo de type Battle Royale). « C’est Internet qui mène sa vie. Il passe plus de 60 heures devant son écran par semaine. Il n’a aucune raison de quitter sa vie vir­tuelle, il a ses chips, son Coca, et moi je ne peux rien faire », fulmine la mère, à bout de nerfs. Au même moment, des éclats de rire et des cris aigus lui parviennent de la chambre de son fils, plongé dans son univers virtuel. « C’est une bataille de tous les jours. Lorsqu’il est au milieu d’une partie, il lui est impossible d’arrêter. Car pour un gamer, s’interrompre veut dire abandonner sa com­munauté de joueurs avec qui il bâtit des liens et poursuit des quêtes. Il me dit qu’il va être pénalisé. C’est le jeu qui punit mon fils ! », déplore Marwa qui se sent dépossédée, et n’a aucun contrôle sur son fils.

Nouveaux troubles psychiques

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Sur le marché du travail, si la génération Y connaît le chômage et vit la crise de plein fouet, les Z restent optimistes et sont tournés vers l’avenir.

Un attachement névrotique au smart­phone ? Sans doute. L’addiction aux écrans touche de plein fouet la GEN Z. On peut même les appeler « les accros au smart­phone », ou encore la « iGénération » (fai­sant référence aux iPhone, iPad, iWatch et toutes les « iTechnologies »). En effet, les jeunes de la GEN Z comme Zapping sont hyperconnectés. Ce sont de purs « Digital Natives », des biberonnés aux nouvelles tech­nologies, vu qu’ils sont nés dans le numé­rique, à la différence de leurs aînés qui sont nés avec. Ils sont dans leur bulle, quasi en transe, les yeux exorbités et n’ont plus de vie sociale ; donc, moins de liens avec les autres, puisque toute leur vie se passe devant les écrans. Les jeunes ne communiquent plus que par écrans interposés, ils ont des amis virtuels et des conversations entières par texto. « C’est une nouvelle névrose qui se répand dans notre société aujourd’hui, et plus parti­culièrement auprès des Z, hyperconnectés, à savoir : l’angoisse ou la phobie de se retrou­ver sans son smartphone, et c’est ce qu’on appelle la nomophobie, contraction de No Mobile Phobia », explique le psychiatre Mohamad Yasser, tout en ajoutant que les écrans et les réseaux sociaux ont colonisé la vie des jeunes et sont entrés de plain-pied dans leur quotidien. Ils se lèvent avec Facebook, mangent avec Youtube, bossent avec Twitter, font du sport avec Instagram et se couchent avec Snapchat, ou encore Youtube. Une forme d’addiction technolo­gique qualifiée de « magie bleue » qui, selon certains experts, peut susciter les mêmes dan­gers sociaux et psychologiques que les dro­gues.

Selon un rapport publié par l’Agence cen­trale pour la mobilisation publique et les sta­tistiques (CAPMAS), la GEN Z représente 25 millions de personnes, soit environ le quart de la population en Egypte. 80 % des jeunes Egyptiens, âgés de 13 à 18 ans, reconnaissent être accros aux écrans, contre 65 % des Y (25-35 ans). Ils souffrent de « FOMO » (Fear of Missing Out), la peur de rater quelque chose, et détestent l’idée de ne plus être connectés.

Compter les « j’aime »

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Une génération multitasking ou l’art de combiner plusieurs tâches à la fois.

Un autre rapport, publié par l’agence inter­nationale We Are Social, assure que 81 % des jeunes de cette génération se tournent vers les réseaux sociaux lorsqu’ils sont à la recherche d’un nouveau produit. Ils préfèrent utiliser Instagram et WhatsApp en raison du fait qu’ils protègent mieux leur vie privée. Quant à Facebook, c’est le réseau de leurs parents même s’ils y sont présents en grand nombre. Le rapport prétend d’ailleurs que 25 % des 13-17 ans auraient quitté le réseau en 2014. Sans oublier Snapchat qui tient la corde. C’est là qu’est le grand défouloir pour eux. Ils y viennent pour rigoler et se montrer comme ils sont. Et cette quête d’authenticité est d’autant plus facile que Snapchat qui n’a pas de compteur de « j’aime ». Il y a aussi TikTok en vogue aujourd’hui, cette applica­tion, inconnue du grand public il y a encore deux ans, permet de créer de courtes vidéos en y ajoutant une trame sonore et des effets spéciaux. « Plus je vois mes likes augmenter, plus je me dis que mes vidéos plaisent. Donc, si j’ose sur TikTok, pourquoi pas dans la vraie vie aussi ? », raconte Tamih, 19 ans, qui soigne particulièrement ses mini-réalisa­tions : la musique, les mouvements de danse, les filtres et les effets visuels, rien n’est laissé au hasard. « Vous ne pouvez pas comprendre, ce n’est pas votre génération. Laissez-nous vivre. Chacun son truc.

Et puis, on ne fait pas des trucs horribles. On s’envoie juste des photos, des messages, des vidéos, il n’y a rien de mal. J’ai droit à ma liberté ! », dit Tamih à sa mère qui voudrait tout savoir sur ce qu’elle fait, ce qu’elle publie. Et d’ajouter : « Maman veut vérifier, mais je ne la laisse pas. Moi, j’envoie des trucs beaux, fun, je me donne du mal pour faire des vidéos cool. J’ai plein d’amies qui aiment mes publi­cations et mes vidéos, j’adore ! Ça ne regarde que moi ce que je publie ».

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Dès le plus jeune âge, la génération Z maîtrise les réseaux sociaux et leurs limites.

Plus qu’une simple échappatoire, les écrans ont pris une place prépondérante dans la vie des jeunes Z, souvent qualifiés de « génération 2.0 ». Qu’est-ce qui explique un tel phéno­mène ? Dr Saïd Al-Masri, professeur de socio­logie à l’Université du Caire, pense que chaque génération apporte son lot d’innovations. Du radiocassette aux mini-baladeurs MP3, du Nokia 3310 aux smartphones, des billes aux jeux vidéo … C’est toute une succession de générations que l’on a pu observer. On les appelle généralement générations X, Y et Z. « Avec la capitalisation, les experts ont identi­fié leurs ventes et la technologie a été le bon filon. Les smartphones ont ciblé les jeunes. Au début, l’objectif était de permettre de commu­niquer. Mais avec l’arrivée des réseaux sociaux qui répondaient à leurs besoins et aspirations, un bon nombre de jeunes, qui se sentaient alors perdus, ont commencé à s’identifier aux réseaux sociaux. Cela leur a permis d’affirmer leur identité », explique-t-il, tout en ajoutant que les Z sont définis par leur rapport à la tech­nologie, car ils sont la première génération à avoir toujours évolué dans un monde branché.

Une vie rythmée par le numérique

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Pour des adolescents confrontés à des difficultés, le jeu vidéo représente souvent une échappatoire.

Prenons l’exemple d’un jeune né en 1998. La même année, Google était créé en Californie. Alors qu’il venait d’entrer au primaire, Facebook était lancé (2004). Trois ans plus tard, il pouvait s’amuser sur l’iPhone de son père. Par conséquent, ces Digital Natives ont profondément, selon lui, transformé la vie quo­tidienne, les relations sociales, la communica­tion, les loisirs, la culture, l’apprentissage ou encore le travail. « De vrais consommateurs médias, les jeunes Z jonglent d’un écran à un autre, d’un contenu à l’autre, avec facilité et compréhension. Consommateurs de demain, ils sont les influenceurs d’aujourd’hui et pos­sèdent déjà leurs propres codes. Avec un mode de vie très particulier et un comportement étonnant face à la hiérarchie, cette génération impose par ses habitudes de consommation et sa culture une adaptation continuelle des entreprises », souligne Al-Masri. Débrouillards, créatifs et décomplexés, les Z restent néan­moins optimistes quant à leur avenir profes­sionnel : D’après une étude publiée par l’agence internationale We Are Social, 47 % veulent créer leur propre entreprise et 84,5 % veulent choisir leur métier par passion.

Mais qu’est-ce qui peut donc les pousser à un désir si fort de se lancer en affaires ? Dr Abdel-Méguid Mostafa, chercheur au Centre national des recherches socio-criminelles, estime que les technologies, qu’ils maîtrisent si bien, offrent maintenant de multiples pos­sibilités de commercialiser un produit à peu de frais ou souvent gratuitement. Que ce soit un livre, une chanson ou même des vête­ments, le Web et les médias sociaux permet­tent de faire connaître leurs talents, leurs idées et leurs produits. Autrement dit, le numérique et ses évolutions sont devenus un réel outil de créativité, du blog à l’association en passant par le développement d’une appli­cation ou d’une start-up, la tribu numérique va au bout de ses idées.

Or, il ne faut pas confondre le fait d’être né avec la technologie avec la maîtrise innée de cette dernière. Réfaat, enseignant au cycle pri­maire, met en parallèle l’aisance des adoles­cents dans les applications qu’ils utilisent au quotidien et leurs limites informatiques. « Snapchat OK, Insta OK, TikTok OK, mais mettre un objet dans un mail ou nommer et insérer une pièce jointe : c’est non », dit-il à ses élèves. Selon lui, si ces derniers sont sou­vent très habiles avec leur téléphone portable et les applications qui s’y trouvent, il n’en va pas forcément de même quand il s’agit de tra­vailler via Google Classroom, la plateforme que les élèves utilisent aujourd’hui pour les cours à distance, à cause de la pandémie de coronavirus.

Et ce n’est pas tout. Réfaat estime que la durée d’attention des Z est brève, d’environ 8 secondes en moyenne, ils scannent plutôt que de lire. Ils ont aussi inventé un nouveau lan­gage, puisé dans les nouvelles technologies qui leur permettent de ne pas être compris par les anciennes générations. Cet enseignant raconte la première fois lorsqu’il a reçu un SMS de son fil, Ali, âgé de 15 ans, qui lui disait : « 5alast ! 3ayz arawa7 ba2a », il n’arrivait pas à lire ce charabia composé d’un mélange d’anglais, d’arabe et de chiffres ! « J’ai cru que mon fils avait oublié comment écrire au clavier et que les chiffres étaient juste des fautes de frappe, mais peu à peu, je me suis rendu compte que c’est l’arabe numérique en vogue », lance le père, dont le fils est souvent noyé dans son monde saturé d’images et de multi-écrans. Plutôt que de se contenter de consommer séries et films, il veut participer et créer sa chaîne Youtube ou son blog (blog vidéo), à l’image d’ados devenus célèbres. « Il suffit de se filmer, de poster des vidéos sur le réseau et l’argent coulera à flots », dit Ali, qui passe énormé­ment de temps à surfer sur Youtube et à regar­der les vidéos de ses artistes préférés.

Se connecter pour ne pas se sentir seul

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Les dangers de la dépendance aux réseaux sociaux, qualifiés de « magie bleue », sont très menaçants.

Cependant, vivre sans avoir recours aux écrans est un grand défi, voire difficile pour cette génération hyperconnectée. Amira Abdallah, 21 ans, étudiante à la faculté de polytechnique, trouve impossible de s’en pas­ser même pour une seule journée. « Etant seule et solitaire, je serais carrément isolée. Une Robinsonne dans son île. Ce serait dangereux, car je ne serais pas au courant de ce qui se passe autour de moi, ni dans mon milieu proche ni dans le périmètre un peu plus éloi­gné », constate cette jeune fille qui a tout tenté : se déconnecter du réseau Wi-Fi, couper le routeur, supprimer les applications de son téléphone, calculer la répartition de ses activi­tés, utiliser des outils de concentration ou des logiciels de blocage de pages Web. Pourtant, à moins d’avoir un travail important, elle a petit à petit appris à contourner les barrières fixées. « Je rallumais le routeur à chaque moment de doute. Si j’avais bloqué les réseaux sociaux sur Chrome, je filais sur Explorer retrouver mes tweets. Je finissais par me replonger dans ma conversation sur Messenger. Je sortais mon téléphone à chaque fois que mon ordina­teur ne voulait plus me procurer mes récom­penses préférées. Bref, je ne m’en sortais pas », conclut-elle.

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