« Une femme comme vous ne peut pas faire de l’alpinisme, c’est physiquement extrêmement éprouvant ». Nadia se souvient encore de cette réponse, lorsqu’elle s’est mise à la recherche d’un sponsor, il y a 10 ans, pour exercer cette activité sportive, restée très masculine. « L’alpiniste doit être un jeune homme musclé et résistant. Et une femme de 40 ans comme moi est jugée trop âgée. Pour beaucoup de gens, je ne devais même pas aborder l’idée par respect pour mon âge, mon sexe et mon statut », ajoute Nadia. Voulant réaliser son rêve, qui est celui d’atteindre quelque peu les nuages, cette femme a refusé de baisser les bras. Après avoir affronté plusieurs défis, Nadia est tout de même arrivée à faire l’escalade de la plus haute montagne d’Afrique, le Kilimandjaro en Tanzanie, dont le sommet atteint les 5 895 mètres. « Lors de l’ascension, une grosse fatigue s’est emparée de moi et je me suis sentie dans l’incapacité de continuer. Mais, une phrase, lancée par un homme qui faisait partie du groupe et que je n’oublierai jamais, m’a touchée dans mon amour-propre et m’a donné le courage et l’énergie de continuer pour relever ce défi », raconte Nadia.
Etre en pleine forme et développer ses capacités physiques, des objectifs que s’est fixés Nadia El-Awady avant d’exercer ce sport à 35 ans. « A l’époque, ma santé n’était pas du tout au beau fixe et il fallait retrouver la forme pour avoir la force de travailler et d’élever mes 4 enfants », explique-t-elle. Diplômée de la faculté de médecine et travaillant comme journaliste scientifique, son travail lui a donné l’opportunité d’apprendre comment prendre soin d’elle-même. Elle a commencé par faire du sport dans une salle de gym où elle s’est abonnée tout en prenant un entraîneur personnel. Ainsi, elle a réussi à développer ses muscles et travailler l’endurance en s’entraînant longtemps pour résister à la fatigue. « Pour mon entourage et mes amis qui ne pratiquaient plus de sport, les activités physiques et sportives sont destinées uniquement aux enfants. Mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais », poursuit cette femme. Et ce n’est pas tout. Nadia a été l’une parmi les rares Egyptiennes à pousser le bouchon un peu loin en voulant pratiquer l’alpinisme.
Une fusion entre l’amour de l’aventure et le sport? Peut-être. Au fil des ans, elle a regardé de nombreux documentaires racontant des histoires d’alpinistes à flanc de montagne, ce qui a amplifié son désir de pratiquer ce sport. Se dépasser physiquement, mettre à l’épreuve ses muscles, voilà une excellente école d’apprentissage de la persévérance dont les efforts déployés ont porté leurs fruits. Ses voyages comprennent toujours des activités sportives, à l’exemple d’Inca Trail in Pirou (faire du trekking sur la route Inca au Pérou) jusqu’au Machu Picchu, qui est une ancienne cité Inca, entourée de temples et construite au sommet d’une montagne au Pérou. Elle a sillonné la cordillère des Andes, a visité l’Equateur et le Chili. « Marcher le long d’une rivière, faire de l’escalade en montagne, rentrer au campement la nuit et recommencer le jour suivant en atteignant une autre montagne sont une expérience captivante. C’est merveilleux de passer 5 jours et 4 nuits en découvrant ce changement de relief d’un endroit à un autre tout en faisant le même chemin », raconte-t-elle. Son amour pour la découverte de nouveaux paysages l’a empêchée d’avoir un chalet à la Côte-Nord par exemple ou de renouveler les meubles de son appartement. Admirer les trésors de la nature de ses propres yeux est une priorité qui lui revient cher à chaque fois.
Pour l’amour de l’aventure
Norhane Al-Rifaei s’entraîne à différentes activités sportives comme le cross fit et le kick boxing pour améliorer ses performances et parvenir à escalader les montagnes
Récemment, son époux et elle sont partis pour un Kungsleden Trail, un sentier de trekking en Laponie. « En août 2019, lors du Kungsleden Trail, j’ai escaladé des montagnes et sillonné 460 km, en 19 jours au nord du cercle polaire arctique », affirme-t-elle. Le couple a organisé ce voyage en se servant d’une carte et d’une boussole pour éviter de se perdre. Pour faire ce trekking, le couple a pris le strict nécessaire en vêtements et équipements pour ne pas s’alourdir et d'avoir la possibilité d’escalader les montagnes. Elle portait un poids de 15 kg, et son mari 17 kg. « Il y avait des sommets qui atteignaient les 1000 et 3000 mètres, et donc il n’était pas possible de transporter beaucoup d’aliments. Nous nous sommes contentés d’acheter à manger tous les 3 ou 4 jours dans l’un des villages qui se trouvaient sur notre passage », explique Nadia. Une aventure et une expérience qu’elle n’est pas prête à oublier. Elle raconte qu’ils pouvaient faire 2 jours de marche sans rencontrer âme qui vive, et si par hasard ils croisaient quelqu’un, ils échangeaient des discussions avec cet inconnu en lui demandant s’ils étaient sur le bon chemin.
En fait, après la célèbre escalade du mont Everest de l’aventurier Omar Samra en 2007, les femmes ne se sont pas contentées de s’émerveiller et de rêver. Le parcours et les exploits de cet homme furent une source d’inspiration pour toute une génération. « Cela m’a pris 5 ans pour convaincre mes parents, surtout ma mère, pour faire de l’alpinisme. A l’époque, je n’étais pas encore mariée, et pour ma mère, les hommes n’accepteront jamais de demander la main d’une femme qui a le goût de l’aventure et aime faire des randonnées en montagne », raconte Manal Rostom, 40 ans, avec humour. La passion de Manal l’a poussée à quitter la pharmacie pour travailler comme entraîneuse de sport à Dubaï. Elle a grimpé 4 des 7 plus hauts sommets du monde: le Kilimandjaro en Tanzanie, All Bros en Russie, 5642 m, Toubkal au Maroc, 4167 m, le Mont Blanc en France, 4880 m. Et ce n’est pas tout. Elle a fait l’ascension d’une montagne au Kenya et portant le nom de ce pays, et dont l’altitude est de 5188 m, de la montagne de la Table en Afrique du Sud, 1084 m, de Saint Arthur en Ecosse, d'Al-Chams à Amman, 3100 m, de Al-Jays aux Emirats arabes unis, 1900 m. Elle a aussi gravi le mont Everest à deux reprises, de 5650 m.
Une première agence de tourisme spécialisée
Escalader le Kilimandjaro à 40 ans était un défi de taille pour Nadia El-Awady.
Manal a développé ses compétences en se rendant aux Etats-Unis pour faire des stages d’alpinisme. « En Egypte, il n’existe pas de formation en alpinisme, mais des montagnes comme Sainte-Catherine, Moussa et Sinaï sont à la portée de tous ceux qui veulent tenter l’expérience », poursuit Manal. Cette dernière a dû quitter la maison familiale et reporter son projet de mariage pour parcourir les quatre coins du monde et réaliser son objectif, et ce, malgré les restrictions imposées par la société conservatrice où une fille ne doit pas passer un mois en dehors de la maison familiale.
En 2014, une agence de tourisme qui organise les activités en plein air, dont l’escalade en montagne, a ouvert ses portes. « Avant sa création, Karim Sami, le propriétaire, a visité différents sites désertiques et a fait de ses découvertes des lieux pour s’exercer à l’alpinisme. La plupart des alpinistes qui y participent sont des femmes », explique Chaïmaa Youssef, 32 ans, ingénieure et épouse du propriétaire de l’agence qui organise des escalades en montagne. Elle cite les noms des montagnes qui ne sont pas connus comme les montagnes Rouge, Al-Tarqiba, Al-Rikba, Tarbouche et Oum Chomar. « Il n’existe pas d’endroit pour s’initier à l’escalade en Egypte. Tout dépend de l’expérience de chacun lors des randonnées en montagne. Par exemple, la montagne d’Oum Chomar exige des alpinistes expérimentés, car son terrain est accidenté et il est impossible pour une débutante de l’escalader », décrit Chaïmaa. Leur agence met à la disposition des membres de cordée un guide pour leur apprendre comment poser les pieds en montant les différentes parois de la montagne, comment maintenir le corps en équilibre et lutter contre l’apparition du mal aigu des montagnes en faisant des exercices de respiration avant l’escalade. Il leur conseille aussi de ne pas porter de sac à dos trop lourd pour faciliter l’escalade.
Entraînement assidu\
Manal Rostom a pu atteindre quatre des plus hauts sommets du monde, elle espère escalader les trois restants.
Or, pour faire de l’alpinisme, il faut s’entraîner sérieusement chaque jour pour augmenter ses chances de réussite. « Je suis des entraînements pour développer mes capacités d’endurance, du cross fit (entraînement croisé) et du kick-boxing (boxe pieds-poings). J’ai même appris à nager à l’âge de 30 ans et j’ai participé au triathlon (natation, jogging et cyclisme) en 2014. Je fais du sport 6 jours sur 7 et chaque entraînement dure 2 heures et demie », précise Norhane Al-Rifaei, 37 ans, employée dans une compagnie pétrolière et qui prépare sa thèse de doctorat. Son emploi du temps est bien chargé. Norhane a très peu d’amies, car elle n’a pas de temps pour sortir et s’attabler aux cafés. Elle ne rate jamais son entraînement quotidien dans la salle de sport où elle passe au moins 2 heures par jour, après avoir terminé son travail. Elle consacre le mardi, sa journée de congé hebdomadaire, pour avancer dans sa thèse de doctorat. « J’ai décidé d’adopter un mode de vie sain en mangeant des aliments riches en minéraux et vitamines, je dors tôt pour pouvoir accomplir mon programme du lendemain et réaliser mon rêve, celui d’escalader le mont Everest, 8848 m », précise-t-elle.
Coûts financiers et risques sanitaires
La passion de l’alpinisme et l’amour de l’aventure valent bien toutes les difficultés rencontrées avant d’atteindre le sommet.
Pourtant, la formation ne semble pas être le seul défi, les moyens financiers comptent aussi. Pour s’intégrer dans ce monde et pouvoir atteindre un niveau hautement qualifié, il faut beaucoup d’argent pour l’achat de vêtements et outils nécessaires. Un sport coûteux par rapport à d’autres activités sportives. « Pour escalader une montagne, il faut entre 1000 à 2 500 dollars pour couvrir les prix des vestes, chaussures, sac de couchage et autres. Tous ces articles sont importés, car ils doivent être fabriqués d’une matière qui protège l’alpiniste des températures basses qui pourraient atteindre les moins 40°C sur le sommet de certaines montagnes. Par conséquent, toutes mes économies sont consacrées à l’alpinisme », indique Manal, qui sert de modèle pour femmes voilées pour le compte d’une société très connue de tenues sportives. Cette société lui sert également de sponsor.
En plus des coûts de l’alpinisme, il faut choisir une agence qui met à la disposition des alpinistes une personne pour transporter la nourriture et les équipements nécessaires et sécuriser le trajet en choisissant le chemin le plus sûr pour accomplir l’escalade. Cela peut coûter au minimum 20 000 dollars suivant l’altitude de la montagne et la région où elle se trouve. « J’ai pris connaissance des commentaires sur cette agence via Internet fournissant des compte-rendu publiés par des alpinistes. Par exemple, en cas d’accident, certaines agences envoient un hélicoptère pour évacuer l’alpiniste qui a un accident ou ressent les symptômes sévères du mal aigu de la montagne », dit-elle. « J’ai parfois ressenti des moments de malaise. Par exemple, lors de mon escalade de la montagne d’Aconcagua à l’Amérique du Sud, je me suis arrêtée à 6600 m, alors que le sommet est à 6962 mètres. Prise par le mal aigu de la montagne qui se manifeste par des maux de tête, nausées, vomissements, palpitations, vertiges et bourdonnements d’oreilles », souligne Manal.
D’après le site Ressource santé, toutes les formes du mal aigu de la montagne sont causées par la raréfaction de l’oxygène à une altitude élevée. Les êtres humains s’adaptent aux effets de l’hypoxie, mais jusqu’à une certaine altitude. Et personne ne peut vivre en permanence au-dessus de 5100 m. Les alpinistes qui atteignent les hauts sommets doivent souvent avoir recours à des bonbonnes d’oxygène. Et les médicaments ne préviennent pas le mal d’altitude, mais en allègent les symptômes. Or, ces médicaments sont diurétiques. « Et faire ses besoins dans la nature, surtout par une température très basse, ce n’est pas facile », explique Manal.
Et si le mal aigu de la montagne s’aggrave, la solution pour l’alpiniste est de descendre pour ne pas perdre la vie. En fait, ces facteurs ne semblent pas préoccuper les alpinistes, car l’important est d’atteindre le sommet et toucher presque le ciel. Là, les yeux s’illuminent malgré la fatigue et les sourires apparaissent face à un paysage d’une grande beauté .
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