Le printemps est passé, puis l’été. L’automne est bien entamé et l’hiver s’annonce… Les établissements scolaires viennent de rouvrir, avec du retard par rapport à chaque année, témoignant de l’impossible rentrée heureuse et sereine, sur fond de rebond du Covid-19. Chez Nachwa, traductrice et mère de deux filles âgées de 8 et 10 ans, l’ambiance est à l’insouciance. Oubliées l’orthographe, les tables de multiplication, les règles grammaticales et la lecture. Les tablettes, les téléphones portables, les playstations, les séries télévisées et les connexions virtuelles ont remplacé livres et cahiers et ont rempli leurs journées, installant de mauvaises habitudes dont il est difficile aujourd’hui de se défaire, lorsque la cloche a sonné de nouveau. « Cette situation inédite a chamboulé nos vies. Mes enfants veillent et font encore d’interminables grasses matinées. J’ai beau essayer de leur mettre livres et cahiers entre les mains, ils ne tiennent pas plus de 5 minutes. Après 7 mois de coupure, mes filles ont complètement décroché ! », explique Nachwa Abdallah, tout en ajoutant que c’est une période de fortes contraintes, liée à l’organisation du travail dans le cercle familial. Car si les fillettes ont peu d’enjeux scolaires, étant en cycle primaire, leur absence d’autonomie se fait pesante au quotidien. Impossible de les laisser seules sur une tâche à accomplir, il faut veiller et guider. « Aujourd’hui, cumuler mon emploi et les devoirs est épuisant. Impossible pour moi de suivre le rythme. Chaque journée, c’est au moins quatre heures. Je n’ai ni le savoir-faire pour faire apprendre, ni la patience. Quant aux professeurs, ils nous abondent d’exercices à faire aux enfants et cela ne nous permet pas de travailler », se désole Nachwa qui s’est fait reprendre par les deux maîtresses de ses enfants car elles ne rendent pas les devoirs à temps.
Idem pour Hala Mostafa, comptable, dont les enfants, en cycle préparatoire, utilisent le système D pour contrer les problèmes techniques. « La plateforme d’apprentissage électronique Edomodo est souvent saturée en raison de l’affluence sur les serveurs. Et l’enseignement à distance, également appelé e-learning, ne semble pas avoir été facile du côté des professeurs, d’où une certaine pagaille dans les informations délivrées aux familles », indique-t-elle, tout en ajoutant que, dès les premiers jours de l’école, leurs enfants ont croulé sous des quantités astronomiques de travail. Ils passent la journée face à l’ordinateur, et chaque prof pense être seul, envoie du travail sans trop de coordination avec ses collègues. Les enseignants mettent une pression si les devoirs ne sont pas rendus à temps. Ils donnent le double de travail par rapport à d’habitude, alors que la compréhension des leçons et la motivation sont beaucoup plus difficiles. « Nous ne sommes pas professeurs. Les nouvelles leçons, j’ai essayé de les expliquer, mais lors de la correction renvoyée par le prof, je me rends compte que ce n’est pas le bon procédé », souligne Doaa Adel, mère d’un garçon de 12 ans qui a du mal à se mettre à son bureau pour étudier et trouver un rythme. Lui, qui fréquente l’école trois jours seulement par semaine, se lève à midi, se couche à minuit et ne travaille que l’après-midi. « C’est assez difficile de me mettre au travail puisque je ne suis jamais habitué, ni eu l’occasion d’être autonome », lance-t-il à sa mère.
A situation particulière, rentrée particulière !
A la maison, les enfants ne sont pas concentrés, ils ont plutôt envie de jouer
et ne sont pas dans l’état d’esprit scolaire.
Selon Doaa, l’interactivité manque vraiment non seulement à son fils, mais aussi à tous ses amis du même niveau. « A la maison, les enfants ne sont pas concentrés, ils ont plutôt envie de jouer et ne sont pas dans l’état d’esprit scolaire. C’est très compliqué pour eux de suivre et de tout comprendre », témoigne une autre mère. Pour cette dernière, se mettre dans la peau d’un professeur du jour au lendemain n’est pas du tout évident alors qu’elle doit également assurer ses missions de travail de 9h à 17h.
Et si la scolarisation des enfants handicapés est toujours difficile dans notre pays, l’école à la maison est encore plus difficile pour eux. « Si vous avez un enfant souffrant de DYS (troubles cognitifs spécifiques), les choses se compliquent. Comment comprendre un cours sur les fractions exponentielles sans un exemple concret ? », s’interroge Heba Sami, une maman dont le fils en 5e primaire souffre de TSA (Troubles du Spectre Autistique). Pour elle, c’est un grand calvaire car elle doit centraliser toutes les informations, remplacer ses professeurs et son AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire). « Il faut le canaliser, le motiver, copier ses cours. Mais en vain, car les enfants écoutent souvent moins leurs parents », confie Heba.
En fait, cette année plus que jamais, la rentrée scolaire avait un goût d’inédit pour les élèves et leurs familles. Des groupes restreints de 20 à 25 élèves ont été formés pour faire respecter la distanciation physique au sein des classes. Cela dit, les élèves ne vont à l’école que deux ou trois fois par semaine pour éviter les rassemblements. Que ce soit au niveau des établissements publics ou privés, ces derniers font des acrobaties pour alterner entre cours à distance et en présentiel, mettre en place une organisation agile, afin de pouvoir dispenser à peu près normalement les cours. Pourtant, un véritable casse-tête, de plus en plus pour les parents.
Masques, gestes barrières, distanciation sociale : des mesures très strictes appliquées
par des écoles afin de lutter contre l'augmentation du Covid-19.
Autrement dit, gérer l’emploi du temps des enfants, l’école à la maison, le boulot, faire les courses, le ménage et les lessives. Les mères sont nombreuses à se sentir débordées. Et tout ça, tout en essayant de maintenir le cap, pour certaines, dans leur vie professionnelle et conjugale. Nahla Magdi, fonctionnaire dans une entreprise privée et mère de deux enfants en maternelle et 3e primaire, avoue vivre ces premières semaines de l’année scolaire entre crises, épuisement nerveux et physique et incertitude professionnelle. Comme beaucoup de femmes, cette mère voit sa charge mentale exploser: à commencer par la gestion quotidienne de la maison en passant par sa nouvelle mission de pédagogue et les problèmes de connexion jusqu’à son propre télétravail. « C’est impossible de tout concilier. Une collègue a dû m’aider à superviser mes dossiers. Même si mon patron est très indulgent, cela génère beaucoup de stress et de frustration », témoigne Nahla qui, pour elle, il est hors de question de confier les petits à leurs grands-parents, étant donné que le virus est toujours dans les parages et que le risque de contamination ne s’est pas volatilisé. Elle n’avait pas donc d’autre choix que de booker une baby-sitter pour garder les enfants un jour sur deux, en alternance avec le papa. Un casse-tête organisationnel et une pression économique supplémentaire. Cependant, Nahla est confiante que le fait que ses enfants retournent à l’école était la bonne chose à faire. « La vie doit reprendre de toute façon. Leurs profs et leurs amis leur ont beaucoup manqué. Un soulagement aussi de retrouver la régularité de l’école », assure Nahla, qui ne craint pas trop la maladie et suit une routine du retour à la maison assez stricte. « Dès qu’ils rentrent par la porte, ils se désinfectent les mains puis prennent leur douche avant le déjeuner. Il faut surtout continuer d’être vigilant et suivre les consignes sanitaires », affirme cette maman qui voit que le fait d’aller trois ou même deux jours par semaine dans ces conditions est toujours mieux que sept mois d’isolement collés à elle sans voir d’autres enfants.
Même son de cloche pour Asmaa, une autre maman qui s’est montrée également enthousiaste. « Ma fille a besoin de socialiser. L’école, ce n’est pas juste pour apprendre à lire et à compter, c’est aussi pour apprendre aux enfants à vivre ensemble et à interagir entre eux. Ce n’est pas quelque chose qui peut s’apprendre en ligne. C’est un équilibre psychologique alors que l’isolement est plus dangereux pour ma fille que le Covid-19 », explique-t-elle, tout en racontant comment sa fille de 6 ans avait très hâte de retourner à l’école, de revoir ses amies et d’être dans une classe. « Elle trouvait ça excitant, et était toute contente d’avoir essayé le masque que sa grand-mère lui a cousu », ajoute-t-elle.
Double inquiétude
Pour les mères, pas facile de se fondre dans ce nouveau métier de professeures.
Or, si plusieurs mères se sont réjouies du retour en classe, certaines sont encore inquiètes de la situation. C’est le cas de Nadia dont le fils de 10 ans est asthmatique. « A la maison, je peux tout maîtriser, mais à l’école, je ne sais pas à quel point les consignes vont être bien respectées », mentionne-t-elle, tout en ajoutant que quelques jours après la rentrée, des cas de contamination au coronavirus ont été multipliés dans les établissements scolaires. D’autres mères redoutent plus que jamais des fermetures d’écoles du jour au lendemain. « Cela serait l’enfer. Je ne veux pas le revivre une seconde fois, c’est impossible », lance Chérine Sabri, maman de quatre garçons qui utilise les consignes sanitaires connues comme outils pour se protéger de la maladie et se rassurer. « On ne peut pas contrôler la situation, mais on peut contrôler comment on y réagit. Rien ne serait pire que de ne pas scolariser votre enfant », assure-t-elle. Et d’ajouter : « C’est vrai que la propagation du Covid-19 a poussé les responsables à prendre de telles mesures et a chamboulé toutes les notions de l’apprentissage avec l’introduction de nouvelles technologies, mais aussi, il ne faut pas jeter la balle dans le camp des parents d’élèves pour les transformer en superviseurs éducatifs ».
Pressions de tous bords
Faire cours soi-même à ses enfants est devenu le quotidien de trés nombreuses mamans.
Avec autant de choses à penser et à faire, pas étonnant que certaines mères craquent et soient épuisées, d’autant plus en cette période des premiers jours de rentrée inédite. Les mamans concernées peuvent alors se sentir dépassées par la situation, et ne pas savoir par où commencer pour s’en sortir, alors qu’il est important d’agir face à cette charge mentale qui pèse. « S’occuper de leur enfant leur demande de l’énergie, et cette fatigue vient s’ajouter à celle qui existait déjà. Elles ont beau avoir la capacité à mener plusieurs tâches psychiques et physiques à la fois, cela ne les fatigue pas moins », explique Azza Hamed, psychologue, tout en précisant que le fait d’être auprès des enfants engage une présence physique et une disponibilité, coûteuse en énergie. Ensuite, il y a toutes les formes de pressions qu’elles ressentent, et notamment celles que leur donne la société. « Devoir s’accomplir dans la vie professionnelle, être une bonne mère et avoir une vie conjugale réussie. C’est une pression qui est énorme, dans une société qui va de plus en plus vite, et on vient en plus ajouter la pression des réseaux sociaux, qui permettent d’être très informé. Il y a donc la fatigue et le stress de pouvoir tout bien faire, et ce n’est pas une petite chose. Car si on est en train de perdre pied, il faut savoir s’arrêter, et il ne faut pas rester seule face à ce débordement, surtout s’il perdure », souligne la psychologue.
Un avis partagé par Nardine Alaa, celle-ci reste zen, positive et essaye de prendre les choses comme elles viennent, avec sérénité et philosophie. « Pourquoi se prendre la tête ? Maaliche, même si une année blanche était encore décrétée, ce n’est pas grave. A mes yeux, c’est la santé qui passe en priorité », lance-t-elle, tout en confiant avoir profité du confinement pour se reposer. « Personnellement, j’ai profité à fond de ces sept mois pour me reposer. Je faisais le chauffeur quatre fois par jour pour accompagner mes filles en classe et j’étais saturée par les insupportables bouchons », conclut-elle en souriant .
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