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Virée dans la citadelle du verre

Dina Bakr, Mardi, 18 août 2020

Sur les 13 500 habitants du village de Garah à Daqahliya, 4 000 travaillent dans la fabrication d’objets en verre. Une activité qui fait vivre le village, mais qui rencontre d’importantes difficultés. Reportage.

Virée dans la citadelle du verre
Quelques ateliers s’intéressent spécialement à la décoration des verres. (Photo : Hassan Ammar)

C’est sur une superficie de 2 000 m² que s’étend l’usine Al-Safa pour la fabrication et la décoration de verres à Garah, un village situé à 20 km au sud de la ville de Mansoura à Daqahliya dans le Delta. Là, des boîtes en carton sont empilées à même le sol, partout à l’intérieur de l’usine. Certaines sont encore vides, alors que d’autres contiennent un lot de 6 ou 12 verres et une carafe. Une variété de modèles et de couleurs qui répondent à tous les goûts. Des verres de table à usage domestique ainsi que pour les grandes occasions. Derrière chaque verre, une histoire qui commence par le maître verrier et se termine par les ouvriers chargés de l’emballage. Sans les artisans verriers, aucun verre ne serait fabriqué. Et grâce à l’expérience, ils ont acquis leur savoir-faire. Chaque jour, ils sont en contact direct avec la chaleur du four dont la température peut atteindre les 1 500 degrés Celsius. On entend déjà le crépitement du feu flamboyant avant de voir les bulles de verre jaune prendre forme. « Cette étape de fabrication du verre est la plus laborieuse. C’est pour cette raison qu’on est bien payé dans cette usine. Pour une journée de travail de 8 heures, je gagne 180 L.E. », explique Ahmad, 45 ans, maître verrier depuis une vingtaine d’années.

Souffler le verre, un art

Tenant avec habileté sa canne en forme de tige creuse, Ahmad prélève une masse de verre incandescent du four et souffle dans sa canne en la faisant tourner pour faire gonfler la boule de verre, puis, il la remet au four jusqu’à ce que sa couleur devienne rouge vif. Ensuite, il la place dans un moule pour lui donner la forme d’un verre ou d’une carafe. Un autre verrier serre le moule sur le verre quelques secondes pour lui donner la forme désirée, et voilà, la pièce est prête. Cependant, le travail n’est pas encore achevé. Un des ouvriers saisit l’objet à l’aide d’une pince conçue spécialement pour la fabrication du verre et le donne à un autre verrier qui est chargé d’enlever le surplus de verre sur les parois à l’aide d’un coupe-verre, relié à un chalumeau et une bonbonne d’oxygène pour maintenir les flammes vers le haut. Tous ces procédés sont accomplis sur chaque pièce et ne doivent pas dépasser les 5 minutes afin d’éviter que le verre ne se casse. La dernière étape consiste à faire cuire les verres. « L’objet fabriqué doit cuire à la température qui convient à ce matériau. Des dizaines de verres placés les uns à côté des autres vont glisser automatiquement sur une surface lisse jusqu’à la sortie, à l’autre bout du four. Au cours de cette étape, la température va baisser graduellement jusqu’à atteindre la température ambiante », indique Galal Chaabane, propriétaire de l’usine.

A l’extérieur, sur les parois de la mahmassa (four électrique), on peut voir des tableaux numériques indiquant le degré de température et le temps de cuisson. En fait, l’usine applique le système des trois-huit, c’est-à-dire que 3 équipes se relaient pour faire le travail, 24h/24. Une seule équipe peut fabriquer 200 douzaines de petits verres durant le shift, et si les verres sont plus grands, l’équipe peut fabriquer 150 douzaines.

200 ateliers

L’industrie du verre a commencé à Garah en 1986. Plus de 200 ateliers se sont spécialisés dans la fabrication et la décoration du verre et font travailler environ 4 000 personnes. L’industrie du verre a commencé à se développer dans le village de Samannoud à Gharbiya grâce à une verrerie qui portait le nom d’Al-Haraïri. Les anciens verriers reconnus pour la maîtrise de cet art ont travaillé à Samannoud, à l’exemple d’Al-Mahdi Abou-Saad, Ibrahim Chaabane et Mohsen Al-Mimi. « Leur savoir-faire, ils l’ont acquis, d’abord à Samannoud, ensuite, en Iraq où ils ont travaillé dans les années 1970. Après, ils sont rentrés au pays dans les années 1980, et ont ouvert des ateliers ou de petites usines de fabrication du verre », relate Samir, fonctionnaire au Centre de la jeunesse et qui a des proches qui travaillent encore dans l’industrie du verre. Amira, 30 ans, ouvrière dans un atelier, explique que les usines et les ateliers servent de gagne-pain aux habitants de Garah ainsi qu’à ceux des villages des alentours. Elle a travaillé dans une verrerie à l’âge de 12 ans, après les horaires de l’école, puis elle s’est arrêtée et a repris ce travail après la naissance de sa fille pour aider son mari financièrement.

Dans les ateliers de verrerie, le décor des verres a de l’importance bien plus que dans les usines de verre. « Ici, on possède un compresseur à air contenant du sable et qui permet de fabriquer les parties rugueuses. Un autocollant est plaqué sur chaque verre pour maintenir les parties lisses », explique Oum Ayman. D’autres artisans procèdent à la décoration des verres en utilisant une pierre de forme cylindrique branchée à l’électricité et alimentée en eau afin de graver le verre. « Huit heures de travail suffisent pour graver 480 verres. J’arrive à reproduire les dessins qui figurent sur les verres en cristal, que les jeunes mariées aiment acheter à prix d’usine pour remplir les buffets et vaisseliers des salles à manger. La douzaine coûte 90 L.E. », explique Abou-Asmaa, 59 ans, qui exerce ce métier depuis l’âge de 35 ans. D’autres verriers dessinent des motifs à l’aide d’une aiguille reliée à une petite bouteille plastique contenant diverses couleurs. Chaque couleur nécessite une certaine température pour la fixer sur le verre. Pour les verres avec dorures, la température est portée à 605 degrés C, et pour les couleurs foncées, il faut une température de 165 degrés C. Quant aux carafes, elles doivent passer dans le four électrique à 590 degrés C. « L’initiation à la décoration des verres se fait sur place. Il s’agit d’observer le travail des anciens artisans et procéder à des essais, seul, durant les moments de pause sur quelques verres, et si le maître verrier voit que l’ouvrier a fait un joli dessin, il décide de l’intégrer au groupe des décorateurs », indique Moustapha, 43 ans.

Des difficultés

Le gasoil ou le diesel est le carburant utilisé pour chauffer les fours. Chaabane explique que, dans le cadre de leur travail, il faut garder le four allumé 24 heures sur 24, car le fait de chauffer à nouveau un four après son refroidissement est un gaspillage d’énergie. Cela revient cher aux verreries et ralentit le rythme du travail. « Durant les jours fériés ou les vacances des fêtes, on réduit la température du four, mais on ne l’éteint jamais », explique-t-il. A part le gasoil, une quinzaine de bonbonnes de gaz sont consommées par mois et une trentaine de bonbonnes d’oxygène sont utilisées en même temps pour accomplir l’étape du polissage des verres. « Les matières premières, qui servent à la fabrication du verre, coûtent de plus en plus cher. Le produit qui blanchit les verres est importé et le kilo s’élève à 70 000 L.E. Chaque usine en utilise 2 kilos par mois. Par ailleurs, la marge bénéficiaire a nettement baissé par rapport aux années précédentes, et la concurrence est devenue féroce, car ce marché est ouvert à l’importation des verres provenant de plusieurs pays européens et asiatiques. Des verres de qualité meilleure grâce au développement de l’industrie du verre dans ces pays », affirme hadj Mahmoud, propriétaire d’un atelier à Garah. Il ajoute que si l’on achemine le gaz naturel dans leur village, cette industrie connaîtra une mutation et va réduire les frais occasionnés par l’achat des bonbonnes de gaz. En une journée de travail, les ateliers peuvent en utiliser 120, soit environ 12 000 L.E. par jour. « On ne peut pas compter sur les bonbonnes de gaz lors des dernières étapes de cuisson, car lorsque la bonbonne commence à se vider, la température diminue, ce qui peut entraîner des défauts dans la finition », explique hadj Mahmoud, en ajoutant qu’à la dernière phase de fabrication, l’usage de l’électricité est nécessaire pour assurer la qualité de la production en attendant l’acheminement du gaz naturel prévu dans 5 ans dans ce village. « Notre village est surnommé la citadelle du verre et les responsables sont au courant de nos problèmes. Malheureusement, nous ne sommes ni entendus ni soutenus », ajoute hadj Mahmoud.

Et bien qu’il existe une industrie qui maîtrise les différentes étapes de fabrication du verre depuis 2006, Garah manque d’infrastructures essentielles. « Nous voulons un centre de santé bien équipé, qui soit proche des ateliers. Les verriers sont exposés à des risques d’accident comme les brûlures et les blessures occasionnées par le verre cassé », dit Salem, propriétaire d’une usine de fabrication de boîtes en carton. Son usine fournit les emballages nécessaires aux usines et ateliers de fabrication de verres. Il ajoute qu’il n’existe pas de caserne de pompiers, alors que le risque d’incendie est la principale menace dans ce village. Salem relate qu’il a presque tout perdu, suite à un incendie qui s’est déclaré dans son dépôt et a détruit un quart de sa production. « Le village de Garah a toujours été autonome, mais il est temps pour que l’Etat fournisse les aides nécessaires pour développer cette industrie et garantir sa durabilité », relève hadj Aboul-Dahab, membre de l’Association de la surveillance sociale à Garah. Par ailleurs, Dalia Hassouna, responsable des médias au Centre de modernisation de l’industrie qui dépend du ministère du Commerce et de l’Industrie, déclare que plusieurs ateliers n’ont pas encore légalisé leur statut à Garah. « Ces quelques ateliers ont besoin d’avoir un registre commercial et une carte de taxe afin d’obtenir tous leurs droits et services de la part de l’Etat », dit-elle, tout en ajoutant que les usines et les ateliers, qui ont régularisé leurs papiers, ont déjà bénéficié d’un prêt à conditions préférentielles et dont le taux d’intérêt est inférieur aux taux du marché.

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